Jacqueline Barthes, L’humain un drôle de genre

Fiche de L’observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 18 avril sur Jacqueline Barthes : « L’humain un drôle de genre ».

BarthesQu’est-ce qu’un être humain ? D’emblée, l’auteur répond : « un être étrange » en ajoutant … « et j’en suis un » ! Pour approfondir cette « humanité » qui nous distingue parmi les êtres vivants et tenant à procéder sans « a priori », Jacqueline Barthes va s’efforcer d’observer le réel tout comme elle l’avait fait précédemment pour les caractéristiques du corps féminin ; il s’agit ici d’une démarche scientifique en accord avec sa formation d’ingénieure mais elle va plus loin. En effet, à partir d’une interrogation qu’elle avait en elle, sans qu’une réponse semble s’imposer à ses yeux, elle nous conduit, au gré de son cheminement vers une clarté qui lui permet en quelque sorte d’ « accoucher » d’elle-même et nous aussi, ses lecteurs, nous sommes aussi amenés à découvrir notre être, dans sa grandeur.

Observer en elle, telle est donc sa méthode. S’arrêtant au départ sur l’histoire de l’émergence de l’homme dans le monde, elle va s’attacher à un regard plus intérieur ; elle cherche, au travers d’elle-même une clef d’accès qui permettrait de comprendre ce qui nous unit, nous les humains … un long travail d’approche ! Elle ne peut que constater le mal qui est en nous, mais aussi l’appel du bien, un besoin d’amour, notre revendication de liberté, notre fragilité aussi. Puis sa réflexion part sur une piste originale : voir ce qui se passe quand nos êtres « craquent », quand, submergés par l’émotion, ils perdent la maîtrise d’eux-mêmes. Et cela la conduit à s’arrêter sur nos larmes, pour, en final, se centrer sur la rencontre de l’Amour.

Dans ce contexte, et avant d’approfondir ce qui fait l’unité de notre nature humaine, Jacqueline Barthes ne pouvait éluder un point important, à savoir la scission importante et longtemps admise de l’humanité en deux « camps », homme et femme ; comment, en effet, trouver des dimensions communes au-delà de cette division ?

Dans une première publication (« Le féminin, un drôle de genre ». Éditions Léger, 2013) l’auteur s’était penchée sur cette question. Elle avait commencé par observer les caractéristiques du corps de la femme en prenant uniquement en compte les éléments de nature universelle et avait constaté que tous convergent : ce corps est prêt à accueillir ; elle avait alors pris conscience des rapports très concrets de ce corps avec le temps, la nature, ses rythmes… des réalités incontournables que toute femme, se révélant ainsi à elle-même, doit accepter avec humilité ; de ce fait, la façon dont l’être des femmes est posé dans le monde va impacter profondément l’appréhension qu’elles en feront… ce qui marquera et, pour une part, spécifiera bien souvent leur comportement dans la société. Ceci permet, du reste, de donner un sens aux « à priori » dont souffrent les femmes, mais aussi à leur dépendance souvent acceptée…

Bien entendu, les hommes, posés dans le monde d’une façon autre qui leur est propre du fait de leur corps sexué, auront aussi une appréhension du monde qui leur sera spécifique ; sans doute ont-ils été placés d’office (et ne continuent-ils pas à l’être ?) dans une position sociale qu’ils n’ont pas choisie ; quoi qu’il ensoit, sans doute sommes-nous à une période « charnière » de l’histoire où à la fois l’homme et la femme,dans la richesse conjuguée de leurs spécificités et leur diversité, peuvent, en cohérence avec ce qu’ils sont, marcher ensemble vers une plus grande humanisation du monde en pleine évolution.

L’Amour, mot unique dont nous disposons dans la langue française, recouvre en fait un champ très vaste, car c’est bien d’Amour qu’il s’agit non seulement lorsque nous parlons de la relation amoureuse relation homme-femme mais aussi quand il s’agit de nos relations avec les autres, de nos échanges marqués d’une confiance qui consolide car l’Amour est la condition première de toute vie humaine, mais il a aussi le pouvoir d’engager l’être sur un chemin de déplacement de lui-même ; ainsi, l’amoureux débordé, se voit conduit à se décentrer de lui-même, à sortir de cette bordure qui le délimite pour, à partir de cet élan premier de pur désir qu’est l’éveil de l’amour, découvrir que le bonheur de celui qu’il aime fait son propre bonheur. Il se surprend alors à désirer le bien de cet autre avant le sien. Et il voit s’ouvrir à lui un monde nouveau. « Un monde inconnu,… mais reconnu », dira-t-elle. Un monde qu’il reconnaît comme sa véritable patrie.

Pour l’auteur, il s’agit là de notre structurelle référence à l’Amour, et ceci malgré la présence du mal en nous que nous ne pouvons voiler. Ainsi dira-t-elle « Nous connaissons tous des personnes en manque d’Amour, en imploration d’Amour. Mais connaît-on des personnes en imploration de mal ? » Des pensées aussi diverses que celles de Teilhard de Chardin, Jean-Luc Marion, François Cheng vont ensuite la conduire bien au-delà encore. À leur lumière, l’Amour apparaît, non seulement comme le lieu d’ancrage et le moteur de toute vie humaine, mais encore comme le moteur du monde. Ainsi Teilhard voyant l’Amour « comme le sang même de l’évolution spirituelle » ; ainsi François Cheng évoquant, au-delà du seul « vouloir vivre », ce désir qui habite l’homme de « rejoindre le Désir initial grâce auquel l’Univers est advenu » ; ainsi Jean-Luc Marion voyant combien « j’aime avant même que d’être » et que tout élan de vie est un élan d’Amour.

Cet Amour qui irrigue le monde serait ainsi la marque de notre créateur, Lui qui n’est qu’Amour, Lamarque de sa création par Amour, mais aussi de notre tension pour Le rejoindre. Ce livre finira par une poésie, une prière, des élans mystiques. L’auteur entraîne chacun de nous grand Amour, à s’émerveiller de soi-même, de cette Référence à l’Amour, au grand Amour qui est la sienne, à s’émerveiller de ce désir de beau, de bon, de vrai… de Dieu finalement… qui refuse de s’éteindre en lui ! Et elle conclura en balisant la voie de notre bonheur par les mots de saint Augustin : « Aime et fais ce que tu veux »

Outre cette belle méditation intérieure à laquelle il nous conduit, ce livre est précieux à l’heure des débats sur la bioéthique et le transhumanisme. L’homme ne se définit pas par son pouvoir et son intelligence : il est, avant tout, un cœur. C’est à travers sa vulnérabilité que se révèle en lui de façon éblouissante cette référence totale à L’Amour qui fait son « humanité ».

Voici quelques références à son sujet :
Réactions de 2 académiciens :
– François Cheng : « Entre ces lignes palpite une parole frémissante »
– Jean-Luc Marion : « Ma gratitude pour l’envoi de cette méditation, et pour l’heureuse surprise de ce
complément qu’elle propose à ma pensée … »

Ce livre a été retenu (à la rubrique « Anthropologie ») dans la bibliographie du Concours Général de Théologie 2017-2018, organisé par les Bernardins, dont le thème est : « Homme et Femme dans le dessein de Dieu. »

Interview de l’auteur du 13 février 2018 sur Radio Notre Dame (Émission « Le Grand Témoin ») : https://radionotredame.net/emissions/legrandtemoin/13-02-2018/

Cécile Lahellec