Shakespeare, le grand connaisseur de l’âme humaine

shakespeareFiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC 2017, n°3) sur le dramaturge et poète anglais William Shakespeare (1564-1616), à l’occasion du 400e anniversaire de sa mort.

Shakespeare est mort le 23 avril 1616. À l’occasion du 400e anniversaire de sa mort, il est bon de s’arrêter, même avec quelques mois de retard, sur la vie et l’oeuvre sur ce dramaturge remarquable.

Les pièces de Shakespeare ne sont pas jouées seulement à Paris, mais aussi beaucoup, chaque année, en province. Ainsi, au théâtre du Jour, à Agen, en cinq années consécutives, on a pu apprécier la représentation de La tempête, du Roi Lear, de Hamlet et du Songe d’une nuit d’été.

Jean-Luc Jeener, comédien et metteur en scène, directeur du théâtre du Nord-Ouest, à Paris dit de Shakespeare : « Je crois qu’il a peint la nature humaine comme aucun auteur ne l’avait jamais fait. L’orgueil, la jalousie, la lâcheté, l’ivresse du pouvoir, l’ambition dévastatrice, la perfidie, l’inconstance, la colère, la concupiscence, la trahison, le meurtre… tout ce qu’il y a de noir en l’homme lui était familier. De même que tout ce qu’il y a de grand et de beau en lui : l’amour, l’amitié, la joie, l’émerveillement, le désir, le don de soi. Il a célébré les beautés de la nature et les plaisirs de la terre. Il a exploré le vertige de la folie et du suicide. Il a dépeint le racisme (Othello), il a même fait de l’ambiguïté sexuelle le thème d’une pièce (Songe d’une nuit d’été). Il donne le sentiment d’embrasser le réel et la vie humaine dans leur infinie complexité, bien et mal confondus » (Famille chrétienne n° 1997, 23-29 avril 2016).

Shakespeare est encore très joué partout dans le monde. On peut chercher les raisons d’un tel succès jamais démenti. Sans doute, le dramaturge nous fait-il entrer dans les vrais problèmes de l’existence afin d’opérer une sorte de remontée vers une sorte de lumière. C’est ce qui touche les spectateurs.

Shakespeare était catholique mais il n’a jamais fait de pièces chrétiennes dans le style de Polyeucte, d’Athalie, du Soulier de satin. Il avait un don inouï pour se mettre à la place de l’autre. Il savait très bien entrer dans la peau de ses héros et faire voir le monde à travers leurs yeux. Ses personnages sont des incarnations d’émotions, de désirs, d’impulsions. Chez lui, les intrigues sont souvent complexes parce que la vie est complexe.

Chez les classiques français, nous sommes ouvertement dans un monde chrétien. Alors que, chez Shakespeare, nous sommes dans un monde plus complexe, où les vertus chrétiennes entrent en collision avec un monde païen.

Ce qui est aussi très étonnant, c’est que Shakespeare n’a laissé derrière lui aucune trace écrite. Il a abandonné son oeuvre aux comédiens alors qu’il aurait pu la contrôler. Il s’est retiré à Stratford, en 1611, alors qu’il était en pleine gloire, fortune faite. Il n’a pas réuni d’archives. Il s’est effacé derrière son oeuvre. Denis Podalydès, comédien et metteur en scène dit de la retraite soudaine de Shakespeare : « Il me fait penser à Rimbaud, à tous ces génies dotés de tous les dons du monde, et qui se retirent dans le confort d’un quotidien banal, tels des parvenus. Maître d’une oeuvre gigantesque, ils se révèlent petits hommes entre les hommes, qui les valent tous, n’importe qui. » (La Croix, jeudi 21 avril 2016).

La fin décevante de Shakespeare ne fait qu’accroître la fascination à son sujet. Évoquons deux pièces majeures :

hamlet_globeHamlet et le vide de l’existence

La représentation d’Hamlet de Shakespeare se déroule sur quatre heures de spectacle à la fois drôle et tragique ! Véritable interrogation sur le sens de l’existence humaine, cette pièce aborde le thème du doute à travers le questionnement intérieur inlassable d’un homme : Hamlet. Ce dernier voit ses nuits hantées par le spectre de son père qui, lui révélant quelques vérités, l’exhorte à le venger.

Hamlet pose la question essentielle : « être ou ne pas être ». C’est une pièce qui parle du personnage que l’on est parfois amené à jouer dans la vie comme en témoignent les citations suivantes : « Affectez du moins l’apparence de la vertu. » ; « L’on m’a dit aussi que vous vous fardiez. Fort bien ! Dieu vous a donné un visage, et vous vous en fabriquez un autre. »

Hamlet nous donne sept monologues, tous centrés sur les grands thèmes existentiels : le vide de l’existence, le suicide, la mort, la souffrance, l’action, la crainte de la mort qui retarde les décisions les plus fermes, la crainte de l’au-delà, l’avilissement de la chair, le triomphe du vice sur la vertu, l’orgueil et l’hypocrisie de l’être humain, la difficulté d’agir sous le poids d’une réflexion « qui fait de nous des lâches ».

La mort rôde aussi tout au long du spectacle. Le spectre de la mort fait son apparition dès le début. C’est en fait une pièce sur le doute par rapport à soi-même, par rapport à une transcendance.

Enfin, on peut apprécier, le langage frôlant l’absurde. Les mots parfois ne veulent rien dire. La langue est admirablement belle. Shakespeare était amoureux des mots. Ces monologues sont des morceaux de poésie pure, écrits en vers libres, soutenus par une cadence pleine d’une mélodie tantôt douce, tantôt rocailleuse, d’un rythme lent ou rapide, nous offrant en tout cas des surprises à chaque vers.

midsummer_night_dream• Avec Le Songe d’une nuit d’été, fraîcheur, humour et rêve

Résumé de la pièce : deux couples d’amoureux transis, une dispute entre le roi des elfes et la reine des fées, Puck et sa potion qui s’en mêlent, et une troupe de comédiens amateurs qui préparent une pièce pour le mariage d’un prince, tous vont s’entrecroiser dans cette forêt étrange, un peu magique, le temps d’une nuit d’été ensorcelante qui ressemble à un rêve.

Voici ce que dit un commentateur sur Internet : « C’est une comédie de l’émerveillement. Dans l’émerveillement, la réalité n’est plus jamais décevante – bien au contraire, elle est celle sur laquelle on va constituer rien de moins qu’un nouveau monde fondé sur le pardon et la réconciliation. Approuver le réel, c’est en effet renouveler son moi de fond en  comble en se débarrassant de tout le ressentiment et de tous les instincts de vengeance qui jusqu’à présent le constituaient. « Socialement » parlant, cela signifie que l’on est prêt de créer une nouvelle communauté où rois et reines, fées et elfes, artisans et comédiens vont tous pouvoir vivre en paix et en utopie.

Et si les humains ne sont pas assez sages pour s’aimer ou s’accepter, on aura alors recours à la magie… Et c’est là que cette utopie apparaît réellement comme telle. La leçon improbable du Songe est que sans sortilège, la paix sociale n’est pas possible. »

Songe d’une nuit d’été est une sorte de parodie de Roméo et Juliette. Shakespeare présente dans cette pièce une sorte de théâtre dans le théâtre, avec les artisans d’Athènes. En réalité, au temps de Shakespeare, pour faire du théâtre on avait besoin de charpentiers et de drapiers pour les décors et de bien d’autres corps de métier.

Il y a dans cette pièce trois univers proposés par William Shakespeare. Il y a d’abord l’univers fantastique avec des fées, des rois, des lutins invisibles. Le deuxième univers est le comique, le burlesque offert par les artisans d’Athènes. Ils répètent une pièce Pyrame et Thisbé. Leurs maladresses créent un comique époustouflant. Enfin le troisième univers est le celui des amours : qui aime qui ? Qui désespère qui ?

Mgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen

Président de l’Observatoire Foi et Culture (OFC)

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