« Le passé » d’Asghar Farhadi

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Mgr Pascal Wintzer, président de l’Observatoire foi et culture, partage une critique du film « Le passé », primé par le jury œcuménique au Festival du film 2013 à Cannes.
 
Derrière une vitre du hall d’arrivée d’un aéroport qui ressemble à tous les aéroports du monde, une femme attend puis regarde un homme qui recherche sa valise sur le tapis roulant. Malgré les signes qu’elle lui adresse, il ne la remarque pas ; il faut qu’un autre voyageur lui signale cette femme qui l’attend. Une première scène qui annonce ce que sera le film : des êtres qui sont empêchés d’entrer en relation par toutes sortes d’obstacles, physiques certes, vitre, mur, porte, mais surtout par cette irrémédiable solitude qui tiendra toujours les personnes à distance les unes des autres.

Cinéaste iranien remarqué par ses deux précédents films « A propos d’Elly » et « La séparation », Asghar Farhadi a choisi de tourner en France et en français ce film présenté dans les premiers jours du Festival de Cannes et sur les écrans depuis quelques jours. Iranien, il raconte des histoires universelles, où les sentiments, l’intime, sont le cœur d’un récit qui souligne d’autant l’exotisme des autres cinéastes iraniens contemporains. S’il est à Paris, l’aéroport qui ouvre le film pourrait être à Téhéran ou à Prague ; et la banlieue où se trouve la maison dans laquelle se déroule le film est à Sevran, elle pourrait être dans une autre banlieue d’une quelconque autre ville du monde. Le public occidental s’est éprouvé de plein pied avec le cinéma d’Asghar Farhadi ; il serait intéressant de connaître la réception qui lui est faite en Iran.

Ses films, dont « Le passé », sont le fruit d’un travail long et sérieux : multiples répétitions avec les acteurs, mouvements de caméra étudiés et fluides, décors à la banalité travaillée, ici peints de couleurs neutres et sans doute tristes : un camaïeu de marrons et de beiges, et aussi des ciels toujours sombres et pluvieux (mais, étant donné la météo française depuis plusieurs mois, pouvait-il en être autrement ?) et l’absence de toute musique, elle aurait été redondante lorsque les sentiments et les liens entre les protagonistes sont marqués par une telle passion.

 

Les enfants prisonniers des choix des adultes

Au cœur du film, une femme, très juste Bérénice Béjo, qui a connu au moins trois fortes liaisons amoureuses. Un homme, absent du film, résidant à Bruxelles : le père de ses deux filles, de dix ans et de dix-sept ans. Ensuite, le patron d’une petite teinturerie qui a quitté sa femme, dans le coma après une tentative de suicide, et qui est venu s’installer chez elle avec son fils ; elle attend un enfant de cet homme. Et enfin, le voyageur, un iranien qui fut son mari, reparti dans son pays après une dépression, et qui revient en France pour formaliser leur divorce. Bref, un trio amoureux, la femme, son ex et son nouvel amant, qui se déchirent, souffrent, et font souffrir.

En effet, au milieu de ce trio, prisonnier de secrets et de trahisons, les enfants. Ils sont les vrais héros du film (si tous les acteurs sont excellents, les enfants sont à mettre au tout premier rang). Au risque de me voir taxé de moralisme, ils sont les vraies victimes des tourments amoureux des adultes, ils sont les fruits décomposés d’une famille jamais vraiment recomposée. Alors que les adultes n’ont de règle que la seule recherche d’une paix et d’un bonheur dont leurs errements amoureux ne peuvent que les en priver, ces mêmes adultes veulent imposer aux enfants, ou des conseils moraux, ou des avis de sagesse, ou encore des ordres de bonne tenue. Comment pourraient-ils se faire entendre, même au sens propre de ce terme, lorsque leur vie et leurs paroles sont dans de perpétuelles contradictions.

Bien sûr Asghar Farhadi ne juge ni ne condamne ses personnages ; il se fait le portraitiste plein de sollicitude et de compassion de douleurs aussi violentes qu’intimes. Cependant, il laisse chacun s’interroger sur ce que produit ces choix d’adultes, sans doute « libres », mais si peu conséquents.

Mai 2013

+ Pascal Wintzer, Archevêque de Poitiers
Président de l’Observatoire foi et culture

 

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