« La culture et la vie » par Mgr Wintzer

Président de l’Observatoire Foi et Culture, Mgr Pascal Wintzer, Administrateur apostolique de Poitiers, a clôt le deuxième colloque public de l’Observatoire Foi et Culture qui s’est tenu le 10 décembre 2011. Extraits de sa conclusion.
 

Le christianisme, fait culturel

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Parlant du christianisme et de la culture, le point d’instance ne porte pas sur l’antécédence d’un terme sur un autre. Après 2000 ans d’histoire chrétienne en occident, on constate que celui-ci, les mots, les images, les idées, qu’il véhicule, demeurent inspirateurs pour les cultures et les sociétés.
Le christianisme, au risque de renier son identité, se doit de continuer à regarder et à écouter les sociétés et les cultures au sein desquelles vivent ceux qui l’ont pour foi et pour loi.
Si un risque existe, il réside dans l’oubli, la disparition, voire la négation de la conjonction de la foi et de la culture. Des cultures qui ne se reçoivent d’aucune histoire perdent toute vitalité, de même une foi chrétienne qui, faute d’écouter, ne saurait plus parler à personne.
Le chemin à suivre est celui de la fécondation : plutôt que d’interdire la nouveauté, il la promeut, puisqu’il donne de la percevoir comme telle au regard d’une histoire qui n’est pas ignorée.

Le christianisme ne saurait se comprendre comme un idiome qui serait né « par l’opération du Saint-Esprit ». Tous les mots de sa théologie sont issus de philosophies et même de théologies qui lui étaient étrangères.
On ne naît pas chrétien, on le devient. Ainsi des personnes, ainsi de la parole chrétienne.
Si les artistes d’aujourd’hui continuent à interpréter ce que leur transmet la culture, y compris le donné chrétien de cette culture, les chrétiens continuent pour leur part à dire leur foi avec les mots reçus de leur tradition, mais également avec ceux qu’ils reçoivent des cultures du présent. Dieu ne parle aux hommes qu’en employant des langues qui sont les leurs.

La « sanctuarisation » des images, des idées ou des mots de la foi chrétienne contribue à les affubler d’un copyright qui les met sous une protection telle qu’ils deviennent impropres à garder leur capacité à être entendus dans leur élan de vie.
Si l’on préserve la foi du choc des cultures, on la tue. Surtout on laisse entendre qu’elle est tenue pour incapable de vivre ce choc et d’être audible en dehors du cercle restreint de quelques affidés.
La foi ne vit et ne croît que dans la rencontre des cultures. C’est son identité native, comme c’est celle de notre continent, l’Europe.
« Ce qui fait l’unité de l’Europe – écrit Rémi Brague -, ce n’est pas la présence en elle d’un seul élément, mais bien de deux […].Ces deux éléments sont d’une part la tradition juive, puis chrétienne, et d’autre part la tradition du paganisme antique » (Europe, la voie romaine, Critérion, 1992 ; Gallimard, Folio Essais, 1999-2009, p. 37-39).

En ces domaines comme en bien d’autres, la parole des chrétiens et parmi eux des évêques doit être reçue comme une parole diversifiée et qui doit le rester, y compris lorsque tel ou tel évêque prend la parole ou la plume.
L’évêque comme le pape n’a pas qu’une seule manière de s’exprimer, qui serait le discours dogmatique, voire la déclaration solennelle revêtue du caractère d’infaillibilité.
Bien de leurs paroles ont pour autorité non celle d’une institution, mais celle d’une argumentation réfléchie et construite.
Ces paroles sont dès lors offertes à la réflexion, à la réception, à la discussion, au refus même, si tant est que celui-ci prenne aussi le même chemin de l’argumentation rigoureuse.

Pour l’Eglise catholique, entrer dans la modernité, c’est se situer et situer la parole de ceux qui y exercent une responsabilité dans un concert où il n’y a pas de chef d’orchestre ni de partition préalablement écrite.
C’est se situer dans un monde où les autorités sont multiples, pour autant que l’une d’entre elles n’est pas oubliée : je veux parler de la tradition, c’est-à-dire de l’inscription dans une histoire de culture et de société de laquelle nous nous recevons.
 
(…)

Les bienfaits du dogme

Si le christianisme inspire et féconde la culture, il ne peut le faire que par le cœur de ce qu’il est : le dogme.
Entendons-nous, non le dogme réduit aux nécessaires formules dogmatiques qui le servent, mais ce dogme fondamental qu’Israël appelle la Loi ; c’est-à-dire ce qui précède et qui fonde.
C’est la Loi dont le Premier Testament chante la grandeur dans le psaume 118 ; et c’est le dogme dont, certainement, le christianisme recueille l’essentiel lorsqu’il parle de Trinité et de péché originel.
La Trinité comme disant la relation fondatrice de toute chose ; dans la thématique de notre colloque, c’est la relation à l’histoire et à la tradition.
Et le péché originel comme affirmant que l’espérance chrétienne n’est pas une nostalgie mais un élan.
Parler du dogme nous situe face à une décision, celle de l’existence. Le chemin que nous choisissons d’emprunter relie le cœur de la foi au cœur de l’homme.
Monsieur Maurice Vidal, prêtre de Saint Sulpice à qui je dois beaucoup, m’a fait connaître cette observation aiguë de Maurice Merleau-Ponty. Il la fit en 1952 dans son Eloge de la philosophie. « C’est autre chose de trouver un sens et un mérite historique immense au christianisme et de l’assumer à titre personnel. Dire oui au christianisme comme fait de culture ou de civilisation, c’est dire oui à saint Thomas, saint Augustin, Occam, Nicolas de Cuse, Malebranche… mais cet assentiment de nous coûte pas une once de la peine que chacun d’eux a dû prendre pour être sans défaillance lui-même » Eloge de la philosophie, Gallimard, 1952, p. 205-206.

Il y a quelques années, face au nouvel équilibre, heureux et nécessaire, de l’homme et de la femme, tant dans la famille que dans la société ; pour l’Eglise, je vous en laisse juges, surtout si vous considérez ceux qui se sont succédés à cette tribune ; plusieurs s’interrogeaient sur la disparition de la figure du père.
Sans doute, mais n’est-ce pas l’effacement de la figure parentale dans son ensemble, qui est le trait fondateur des « modernes » que nous sommes ? Parents biologiques, mais aussi parents que sont l’histoire, la culture, la tradition, la langue.

Ce sont ces parents, critiqués certes, mais regardés avec gratitude, amour même, qui nous font, nous construisent.
Or nous avons du mal à nous recevoir, nous peinons à être des fils.
Ainsi que l’écrit Jean-Daniel Causse « La filialité, comme catégorie anthropologique, constitue une définition de notre propre humanité. Elle signifie qu’il n’y a pas d’humain qui soit la source de lui-même. Personne n’est l’origine de lui-même, mais chacun a été institué dans l’humanité par un autre que lui-même. Le registre de la filiation renvoie ainsi à une affirmation simple, mais décisive : l’être humain, à quelque moment qu’on ne prenne dans l’histoire, n’est jamais le premier d’une série. Il n’y a jamais eu d’être humain qui ne soit pas d’abord, premièrement, un  »fils » ou une  »fille ». Chacun est donc toujours précédé » Jean-Daniel Causse, Figures de la filiation, Cerf, 2008, p. 13.

Le christianisme, en inscrivant dans la mémoire des hommes, dans leur culture, le nom de l’innomé, en l’appelant Père, nous désigne d’autant : nous sommes « fils ».
 

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