« L’essentiel, c’est l’homme » par Mgr Michel Dubost, évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes, président de Justice et Paix-France
Dans les jours qui viennent, un nouveau garde des sceaux va être nommé par le président de la République. Tout changement invite à regarder vers le futur et à reformuler des objectifs.
L’objectif premier de ce ministre doit être la défense de la dignité de l’homme. Défendre la dignité de l’homme, de tout homme, c’est d’abord, même au prétexte de la lutte contre le terrorisme et contre le grand banditisme, ne pas faire du soupçon une règle, ne pas surveiller chaque mouvement, chaque communication des personnes, ne pas faire figurer indéfiniment sur des fichiers des manquements supposés, et même réels, sans des possibilités de révision et des limites dans le temps.
Défendre la dignité de l’homme, de tout homme, c’est modifier les règles qui régissent l’examen d’une éventuelle culpabilité : les gardes à vue, les mises en examen et en détention, le menottage sont devenus trop nombreux pour être justifiés et proportionnels aux risques encourus par nos concitoyens. L’importance donnée aux statistiques ne saurait être le premier critère pour l’évaluation de l’efficacité des personnels de police et de gendarmerie.
Défendre la dignité de l’homme et de tout homme, c’est reconnaître les drames des victimes et leur donner, autant que faire se peut, les moyens de surmonter psychologiquement et pécuniairement les dommages subis… Mais ce n’est pas respecter la dignité des victimes que de céder aux appels à la vengeance et à l’aggravation des répressions. Chaque crime ou délit brise un ordre que la justice doit réparer, mais elle ne peut pas le faire en créant un désordre plus grand.
Défendre la dignité de l’homme et de tout homme, c’est donner à chacun des conditions qui permettent d’avoir des raisons de vivre
Défendre la dignité de l’homme et de tout homme, c’est donner à chacun des conditions qui permettent d’avoir des raisons de vivre, et donc un espoir : la dignité humaine suppose le respect de sa langue, de sa religion et de son besoin de travailler ; elle suppose aussi le maintien, quand c’est possible, des liens familiaux et amicaux, l’acquisition de compétences, la connaissance des évolutions du monde, le sentiment d’être traité en personne ayant un futur.
Défendre la dignité de l’homme et de tout homme, c’est donner aux diverses associations oeuvrant dans l’univers carcéral une place encore plus grande : elles sont très souvent un lien essentiel entre l’intérieur et l’extérieur, elles permettent d’adapter les aides nécessaires pour que chacun trouve sa place, elles peuvent, au sein de la détention, vivre un rapport humain différent de celui des personnels. L’aumônerie catholique, parmi les aumôneries des différents cultes, est un des signes que la société donne du respect aux personnes. À sa place, elle permet de vivre, dans le domaine religieux, une liberté qui est fondatrice de toutes les libertés.
De plus, elle donne à certains la possibilité d’accepter leur culpabilité, tout en leur signifiant qu’un avenir est possible et que leur personnalité n’est pas réduite à leur faute.
Défendre la dignité de l’homme et de tout homme, c’est, pour tout gouvernement, reprendre l’examen de la loi pénitentiaire et manifester ainsi son respect pour les personnes engagées dans le domaine de la justice : magistrats, avocats, personnels de l’administration pénitentiaire, personnes détenues, membres d’associations. Il est urgent de mettre notre législation en accord avec les normes européennes.
Mais l’opinion publique a aussi un rôle à jouer : la demande de sécurité à tout prix nuit à la véritable sécurité lorsqu’elle risque de broyer les personnes les plus fragiles. Il est bien de s’exprimer – notamment au moment des élections -, mais il est mieux de lutter pour qu’à chaque instant, les gardiens de la justice se sentent investis de la confiance du peuple.
Tribune parue dans La Croix le 08 juin 2009