Joël de Rosnay : « Je cherche à comprendre … les codes cachés de la nature »

livre_affiche_490Ce livre est le dernier en date écrit par Joël de Rosnay, scientifique bien connu non seulement par ses publications mais peut-être plus encore par ses nombreuses interventions publiques, en particulier à la radio et à la télévision.

L’auteur a eu un parcours scientifique exceptionnel : docteur ès sciences, il fut chercheur au Madison Research Institute (MIT) où il découvrit l’ancêtre d’Internet. Revenu en France comme directeur des applications de la Recherche à l’Institut Pasteur (1975 – 1984), il est actuellement Président exécutif de Biotics International, chargé de prospective et d’éducation dans les secteurs d’Internet et des biotechnologies. Il est également Conseiller du Président de la Cité des Sciences et de l’Industrie à la Villette. Ayant, selon ses propres dires, passé l’âge de pouvoir travailler utilement dans un laboratoire, il considère de son devoir (apparemment, c’est aussi son plaisir) de partager ses réflexions et prospectives.

Dans les deux premiers chapitres, Joël de Rosnay nous entraîne dans sa contemplation de la nature : il s’émerveille devant les vagues, la structure des coquillages ou encore, par exemple, devant les taches du léopard, mais, non content d’admirer, il se pose des questions, tente de décrypter les « codes secrets de la nature » et s’interroge sur son unité. D’où vient cette unité sur laquelle s’interrogeait déjà Pythagore (500 ans avant J.C), convaincu du fait que le monde est « une combinaison de nombres qui tend à l’harmonie » ?

Ces codes secrets, différents chercheurs ont essayé de les percer. Parmi ceux-ci, on peut citer Leonardo Fibonacci (1170 – 1245) à qui l’on doit la découverte du « nombre d’or » ; Alan Turing (1912 – 1954) qui a eu très tôt l’intuition que des codes chimiques étaient à l’origine de toute genèse de formes vivantes (cf son ouvrage concernant les codes chimiques de la morphogénèse The chemical basis of morphogenesis. Chacun d’entre nous peut se poser des questions : pourquoi la salinité des océans est-elle toujours identique ? Comment la température moyenne du globe est-elle réglée ? Existe-t-il, au départ une volonté créatrice ou bien, au moins dans certains cas, une autorégulation ? De fait, des phénomènes d’autorégulation se produisent dans différentes espèces animales ou végétales, en relation avec leur environnement. La salinité des océans est l’un des exemples cités par l’auteur : théoriquement, l’eau de mer devrait être de plus en plus salée puisque l’eau s’évapore. Or, on n’observe pas de variations. En effet, les éléments chimiques de l’océan sont ingérés par des micro-organismes marins qui les utilisent pour leur squelette. À leur mort, le calcaire va se retrouver sous forme de sédiments au fond des mers. De plus, les gouttelettes d’eau de mer transportées par les embruns, assurent une autorégulation.

Et que dire des différentes observations concernant la vie des insectes ? Celle des fourmis, des termites ou encore celle des abeilles ? Prenons l’exemple des fourmis : pour chercher de la nourriture, elles empruntent toujours le chemin le plus court de façon à épargner leur énergie vitale pour la survie de l’espèce. Leur code chimique est constitué par les phéromones. Ce code est déposé par chaque fourmi en se déplaçant. Chaque insecte doit être capable de détecter les odeurs. Ensuite, le signal doit persister suffisamment longtemps dans l’environnement. Les fourmis vont se concentrer à l’endroit le plus riche en phéromones. Le signal codé est préservé dans l’environnement et va être primordial pour la survie de l’espèce. Les insectes semblent avoir pris bien de l’avance sur l’espèce humaine en matière de réseaux de communication !

Et pourtant, on peut observer que les organisations humaines répondent aussi à des codes. Ainsi, pour le chercheur américain Geoffrey West du Santa Fe Institute, la ville est conséquence et support de l’homme qui l’habite et de son environnement. Là aussi, il fait une comparaison : la structure de la ville paraît comparable à celle des capillaires sanguins, amenant de l’énergie et de l’information dans ses ramifications.

Pouvait-on imaginer que ce sont toutes ces comparaisons, toutes ces similarités mettant en évidence l’unité de la nature sous-tendue par l’existence de ces codes cachés, et sur lesquels Joël de Rosnay s’interroge, qui sont à l’origine de l’intelligence artificielle (IA) ?

Pour expliquer l’évolution du monde actuel, l’auteur commence par une réflexion : depuis l’âge de pierre, l’homme a fabriqué des outils lui permettant de maîtriser son environnement. En évoluant, il a cherché des outils de plus en plus performants. L’intelligence artificielle est l’aboutissement le plus spectaculaire de ces évolutions, avec ce que l’on peut appeler le revers de la médaille, puisque certains s’interrogent sur les dangers éventuels : le robot ne va-t-il pas remplacer l’homme ? Telle est la crainte d’économistes, d’industriels, de sociologues. Fin 2014, un certain nombre de personnalités, tel Bill Gates, fondateur de Microsoft, ont fait part de leurs inquiétudes : le développement des robots et de l’IA ne risque-t-il pas de conduire à la fin de l’humanité ?

Il est intéressant de constater que ces interrogations, partagées par les médias, ont fait l’objet de débats lors des Primaires de la gauche. Des titres tels que « Faut-il avoir peur des robots ? » ou encore « L’intelligence artificielle change déjà nos vies » apparaissent même dans des journaux régionaux. Les peurs peuvent s’expliquer facilement, car, à l’inverse d’outils qui étaient simplement des extensions de l’homme, on a assisté à l’avènement d’outils « mettables » ou « jetables ». Grâce à ces extensions, à cette symbiose, dit l’auteur, l’homme devient outil connecté et augmenté. Pensons à toutes les utilisations possibles d’un smartphone par exemple. Il est évident que les capacités de l’homme sont augmentées, et nous craignons que les créations humaines se retournent contre nous. Alors, y a-t-il lieu de s’en inquiéter ?

Joël de Rosnay porte sur cette question un regard délibérément optimiste. Il fait le constat de différences d’appréciations en fonction des civilisations : au Japon, par exemple, les robots (certains ont une apparence humaine) sont perçus comme des assistants qui libèrent l’homme. Un jeune français, Paul Duan, 24 ans, fondateur de Bayes Impact souhaite, grâce aux algorithmes, résoudre le problème du chômage en France. La question se pose de façon prégnante dans différents domaines, y compris dans le monde médical. En
effet, les algorithmes, les Big datas, permettent de poser des diagnostics de façon plus rapide et plus fiable que ne le fera un clinicien seul. Cela signifie-t-il, à terme, la disparition des médecins ? Non, mais cette évolution suppose certainement un grand changement dans le type de formation des praticiens qui, en plus de l’acquisition de connaissances approfondies, devront, de plus en plus, faire preuve de grandes qualités humaines (il est du reste intéressant de noter que la médecine chinoise, vu sa nature, est destinée à
échapper aux algorithmes).

Un autre aspect positif et important à envisager est celui de l’intelligence collective, c’est-à-dire la possibilité de résoudre des problèmes par une interconnexion avec un ensemble d’internautes.

Ainsi, Joël de Rosnay invite à l’émergence d’une nouvelle humanité, à ce qu’il appelle «hyperhumanisme». L’auteur est ici bien loin du courant de pensée « transhumaniste » et des travaux qui y sont consacrés. Il invite l’homme à devenir de plus en plus humain grâce à tous ces nouveaux outils qui envahissent notre monde et nous effraient parfois.

Comment ne pas être séduit par ce regard positif et constructif sur le monde qui vient ? La rédaction de cet ouvrage a été pour l’auteur un chemin de réflexion. L’ordre caché de la nature lui échappe toujours. Sans y adhérer, il respecte les visions des croyants mais continue à s’interroger. Il n’exclut aucune réflexion et reconnaît avoir trouvé au travers de son cheminement une certaine forme de spiritualité.

Toutes les observations décrites, le regard émerveillé de l’auteur sur les beautés de la nature, son appréciation positive sur le monde qui se construit, tout cela rend, à mon goût, la lecture de cet ouvrage particulièrement passionnante.

Cécile Lahellec