« Individu, sujet et communauté » par Jean-Marie Donegani

Pastorale d’appartenance et pastorale d’identité

Toussaint

(…) La pastorale à laquelle nous sommes habitués fonctionne dans une logique d’appartenance. C’est une pastorale de transmission qui fait passer un héritage de génération en génération. Mais l’on comprend que cette pastorale qui est instinctivement la nôtre est en décalage profond avec la culture que je viens de décrire. Elle ne dispose plus des évidences premières que transmettait la culture d’appartenance. Elle ne peut plus compter sur des troupes nombreuses et des forces d’encadrement. Elle ne peut plus s’appuyer sur la permanence des cadres de vie et sur la fixité des habitudes. Elle ne peut plus même s’inscrire naturellement dans l’éducation familiale à un moment où la famille elle-même change de nature et fait signe vers un idéal d’authenticité plus que vers un modèle de stabilité institutionnelle.

Passer à une pastorale plus conforme à la logique d’identité que j’ai décrite, s’ouvrir à la pastorale dite d’engendrement comme l’appellent Philippe Bacq et Christoph Théobald, c’est changer complètement d’univers.
Cette pastorale part du principe qu’il y a des gens qui font des demandes à l’Église, que ces gens ne sont pas simplement des demandeurs, qu’ils sont aussi porteurs de sens et que dès lors, il y a quelque chose de l’ordre de l’identité de l’Église qui se révèle dans les demandes qui lui sont adressées.

De l’appartenance à l’engendrement

Mais la pastorale de l’engendrement ne s’intéresse pas d’abord au maintien de l’institution, elle s’intéresse à la constitution des sujets. La pastorale d’engendrement a l’audace de dire que Jésus de Nazareth n’a pas eu pour première vocation de faire des adeptes ; il a eu des disciples, mais il y a eu aussi tous ceux qu’il a accueillis sans en faire des disciples et qu’Il a renvoyés chez eux, ceux à qui il a dit simplement : « Ta foi t’a sauvé » (le centurion, la femme hémorragique…).
Dans l’Évangile, il y a l’intuition que des gens, sans le savoir, sont des hommes et des femmes du Royaume. Sans le savoir, c’est-à-dire sans appartenir aux disciples de Jésus.

Dans les Béatitudes, il n’est pas question d’appartenir ; quand Jésus dit : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait », il laisse entendre que le salut ne vient nullement d’une appartenance.
Cela signifie que l’on peut être homme et femme du Royaume sans le savoir, et que ce qui est en jeu dans cette attitude-là et qui est radicalement étranger à la pastorale de la transmission et à la logique d’appartenance, c’est comment des hommes et des femmes peuvent advenir à la vie. Il s’agit de comprendre que la première marche de l’accès au salut, c’est d’être vivant et que les chrétiens ne peuvent pas se désintéresser de la vie. Le message évangélique, c’est : « Soyez vivants » ! Et par surcroît : « Comment être vivants au-delà de la mort ? ». Cette pastorale d’identité se désintéresse dans un premier temps de faire des disciples, même si des disciples, il peut y en avoir bien sûr ! Elle s’intéresse à la question de l’engendrement, c’est-à-dire comment des sujets viennent à la vie et comment leur advenue à la vie, leur naissance d’en haut nous intéresse, nous concerne, nous implique.

Pour ceux qui sont pénétrés de cette générosité de l’intuition évangélique, la Révélation n’est pas d’abord un contenu, c’est simplement une expérience, une expérience qui peut être faite par n’importe qui, par n’importe quel moyen et dont il est important qu’elle soit reçue, qu’elle soit tenue pour vraie par un autre, qu’elle soit accueillie.

La pastorale de l’engendrement n’est pas la transmission d’une doctrine, c’est le recueil, c’est l’accueil des signes portés par des sujets demandeurs, des signes de ce qu’ils sont devenus ou en passe de devenir sujets, qu’ils sont dans le sens de la vie, qu’ils sont en vue du Royaume.

Le Royaume, c’est un « entre-nous », ce n’est pas un lieu ; le Royaume est un non-lieu, il est précisément la relation. La Révélation est une expérience de relation.

La pastorale de l’engendrement, c’est simplement cela. Elle n’est pas facile à mettre en œuvre. C’est un mouvement qui anime toute sollicitude envers les êtres, c’est une attitude d’accueil de la vie en chacun. C’est quelque chose qui repose fondamentalement sur l’idée que je ne sais rien de la foi d’autrui, que je n’ai aucun projet sur lui. De ce point de vue, ce qui est la rectitude éthique de cette attitude pastorale, c’est que je ne peux me dire ni père, ni maître, ni docteur. En d’autres termes dans cette attitude pastorale, il n’y a plus un évangélisateur et un évangélisé, il y a de l’Évangile entre les deux, de la Bonne Nouvelle dans ce qu’ils s’entre-disent et dans ce qu’ils s’entre-reconnaissent.

Peut-être la Parole avec un grand « P » advient-elle pour ce moment-là, entre ceux- là, et c’est uniquement de cela qu’il est question dans l’évangélisation (…).

Par Jean-Marie Donegani, professeur à l’Institut d’études politiques, chargé d’enseignement à l’Université catholique de Paris.

Source : Eglise et vocations N°2 (mai 2008) Propédeutique, Année de fondation spirituelle. Disponible au Service National des Vocations.

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