« Le carême, un combat spirituel » par Mgr Jordy

Vincent Jordy

Le mercredi des Cendres, la prière de l’Eglise nous faisait dire : « Accorde nous, Seigneur, de savoir commencer saintement par une journée de jeûne, notre entraînement au combat spirituel : que nos privations nous rendent plus forts pour lutter contre l’esprit du mal ».
Cette insistance de l’Eglise à l’égard du combat spirituel fait parfois sourire.

Pourtant qui ne saurait ignorer la manière dont le mal sous la forme du cynisme, du mépris de l’homme continue à se répandre dans tous les domaines de la vie ; pensons simplement au domaine de la vie économique où tous les coups sont aujourd’hui permis et toutes les turpitudes possibles. Comme l’a écrit récemment un économiste : « ni la richesse, ni l’éducation ne rendent meilleur un homme qui est mauvais ». En d’autre terme, s’il est vrai que les structures sociales, l’injustice sociale ou scolaire peuvent blesser le cœur de l’homme il n’en demeure pas moins que c’est au fond du cœur de chaque homme que le choix se fait pour le bien ou pour le mal. Si les chrétiens s’entraînent pour le combat spirituel c’est bien pour apprendre à être plus libre, pour apprendre à résister au mal et agir selon la volonté de Dieu

Ce chemin de la lutte contre le mal, Jésus lui-même l’a vécu.

L’évangile du premier dimanche de Carême nous met en effet en lumière la tentation que Jésus lui-même a vécu avant de commencer sa mission publique. Il est important pour nous de méditer ces tentations du Christ, car elles sont d’une certaine manière le modèle de toutes les tentations ; ces tentations de Jésus nous apprennent à traverser nos tentations.

Jésus vient de vivre son baptême et emplit de l’Esprit Saint, conduit par cet Esprit, il part au désert. C’est au bout de 40 jours, quand Jésus commence à avoir faim que le tentateur s’approche de lui ; la tentation est donc un phénomène qui s’appuie avant toutes choses sur nos faims, nos manques, sur les besoins qui sont les nôtres.

Le tentateur va alors s’adresser à Jésus et le tenter à trois reprises, en progressant en subtilité. Il commence avant tout par tenter Jésus sur le plan du manque matériel, de la faim corporelle : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Et Jésus va répondre par la lumière que Dieu a donné à l’homme, sa Parole : « Il est écrit : ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre ». Le tentateur va alors passer à une autre dimension, non plus celle du manque matériel, corporel, mais celle du manque intellectuel, de la faim du pouvoir : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela ». Et Jésus, une seconde fois répond en s’appuyant sur la Parole : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras ». Le tentateur va revenir vers Jésus une troisième fois pour le tenter non plus au plan des besoins corporels ou intellectuels mais sur le plan de la faim spirituelle. Puisque Jésus l’a chaque fois vaincu, il va même s’approcher du Christ avec la tentation la plus subtile, la tentation des tentations, celle qui consiste à utiliser la Parole de Dieu elle-même, à se servir de cette Parole, à la manipuler, à l’asservir pour son profit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ». Et comme si cela ne suffisait pas, le tentateur, grand expert de l’Ecriture va avancer une seconde citation : « Et encore : Ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre ». Jésus répond une dernière fois en usant de la Parole « : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». C’est alors que le tentateur s’éloigne comme nous dit l’évangile en précisant : « ayant épuisé toutes les formes de tentations ».

La tentation qui concerne le corps, celle qui concerne l’esprit et celle qui concerne la vie spirituelle sont les trois formes de tentation expérimentées par Jésus; il n’y en a pas d’autres.

Les tentations vécues par Jésus doivent donc nous apprendre à vivre le combat spirituel.

Ce que Jésus a vécu, chacun d’entre nous est appelé à le vivre. Nous sommes ses disciples ; c’est à nous qu’il dit, « Celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». La tentation est donc un phénomène normal de la vie spirituelle. Comme l’observent de nombreux auteurs spirituels, celui qui n’a jamais de tentation dans sa vie est tout simplement un homme qui n’a pas de vie spirituelle. Le fait qu’une vie chrétienne soit sans combat spirituel est bien souvent le signe que cette vie n’est chrétienne qu’en apparence : on ne secoue pas un arbre qui ne porte pas de fruits ; si nous sommes secoués, c’est que notre vie en porte.

Parce que nous sommes disciples à la suite du Christ nous connaissons la lutte spirituelle dans les trois domaines que Jésus a eu à vivre lui-même. Nous sommes tentés dans les domaines de la vie où nous avons faim : il y a nos faims matérielles (les faims de nourriture, de boisson, d’accumulation de biens matériels), nos faims intellectuelles (celles du pouvoir, de la curiosité, de la domination sur autrui, d’avoir réponse à tout) et nos faims spirituelles (forcer Dieu à intervenir en notre faveur, faire de lui une idole, en mettant la main sur lui, en faire un « distributeur à grâce » à notre disposition).

Jésus nous donne le seul chemin pour résister à ces tentations, pour nous en délivrer, pour prendre la distance par rapport à elle et grandir en liberté véritable. Ce chemin c’est celui de la Parole de Dieu ; c’est avec cette Parole qu’il rappelle au tentateur qu’elle est la volonté de son Père. Mais cela ne suffit pourtant pas ; nous l’avons vu, la dernière tentation que Jésus a vécu est une tentation au cœur de laquelle le tentateur lui-même s’est servi de la Parole, l’a manipulée en sa faveur. Pour lutter contre le mal, connaître la Parole ne suffit pas car elle peut être instrumentalisée, mise au service d’une idéologie ; le tentateur connaît la Parole ; pourtant cela ne lui sert à rien. Par contre ce qui fait la force de Jésus, c’est qu’il lutte avec la Parole, mais une Parole dont il vit sous l’action de l’Esprit Saint et qu’il partage avec un autre, son Père. Voilà le cœur de la vie du Christ. Jésus est l’envoyé du Père ; il est Celui qui est la Parole du Père, qui vit de la Parole ; mais il peut en vivre en plénitude, de manière juste et vraie parce qu’il est celui sur qui repose l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui le conduit, c’est l’Esprit qui l’éclaire, c’est l’Esprit qui lui donne force. C’est l’Esprit qui fait d’un texte, celui de l’Ecriture, une Parole vivante, une Parole de vérité.

C’est là le chemin sûr pour nous. Pour entrer dans le ce temps du combat spirituel nous avons besoin d’une part de goûter souvent la Parole de Dieu, de la lire afin qu’elle éclaire nos cœurs et nous donne de vivre de manière juste et vraie. Mais cette lecture de la Parole ne portera des fruits que si nous lisons cette Parole sous la conduite de l’Esprit. Et où est-il cet Esprit ? Il est bien entendu en chacun d’entre nous ; nous l’avons reçu au jour de notre baptême. Mais l’avoir reçu ne suffit encore pas. Avoir reçu l’Esprit ne garantie de rien ; un sacrement n’est pas un acte magique. Encore faut-il vivre de cet Esprit, le prier et cela se reconnaît progressivement à des signes, les fruits de l’Esprit dont parle l’apôtre Paul. Enfin, l’Esprit n’est pas un don que nous avons reçu individuellement. L’Esprit est un don fait à l’Eglise tout entière au jour de la Pentecôte ; si la Parole peut m’éclairer personnellement, au cours de ma prière par exemple, j’ai aussi besoin de frères et de sœurs pour authentifier les lumières reçues. C’est alors que la Parole pourra me conduire de manière sûre et me garder du mal.

Frères et sœurs nous sommes entrés en Carême, dans le combat spirituel. Que le Seigneur nous donne le goût de lire, de fréquenter sa Parole ; qu’il nous donne des frères et des sœurs pour déchiffrer cette Parole et la mettre en pratique dans nos vies.

+ Mgr Vincent JORDY
Evêque auxiliaire de Strasbourg
Pulié sur INXL6.org le 8 mars 2010

 

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