« Entrons en carême », par Mgr Sankale

Le Carême nous enseigne que l’on va à Dieu par Dieu. Cette leçon annuelle n’est jamais superflue.
À l’approche de Pâques, voici 40 jours pour redécouvrir cette merveille : notre conversion réjouit tant le Seigneur qu’il nous donne tout ce dont nous avons besoin pour la réussir, un peu comme ces parents qui fournissent à leur enfant les pinceaux responsables des aquarelles qu’ils seront ensuite heureux de recevoir de sa main. À ceci près que la main de Dieu, elle, ne se contente pas de nous équiper : elle va jusqu’à envelopper la nôtre (Ph 2, 13) et, sans jamais faire le travail à notre place, elle se charge, chaque fois qu’il le faut, de nous rappeler que sans lui nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5), pas même revenir à lui.

Entrons en Carême comme on entre en apprentissage. Cette articulation entre l’action de Dieu et celle de l’homme pose un sérieux problème à la théologie morale. Il serait plus facile, comme l’ont fait certains philosophes, d’imaginer un monde sans Dieu, ou encore un Dieu qui agirait sans nous et serait donc seul responsable de tout, surtout du pire. Plus facile ? Pas si sûr. En tout cas notre foi nous dit autre chose. Dieu est amour. Il ne veut ni nous abandonner à notre sort, ni agir à notre place. Il veut agir avec nous. Pour cela il attend de nous la coopération que la voile offre au vent, la bonne terre au semeur, le sarment au cep. Cette coopération, Dieu va jusqu’à la susciter en nous. C’est lui qui nous en rend capables et nous en dote. Elle s’appelle foi, don de soi, recueillement, humilité. Toutes ces dispositions sont à l’oeuvre dans le passage de l’Évangile que nous lisons chaque Mercredi des cendres. Ce sont elles qui nous permettent d’agir non pas en cachette, mais dans le secret du Père, qui n’est autre que son Verbe, quand nous prions, quand nous jeûnons ou faisons l’aumône (Mt 6 ; Col 3, 3). Ces dispositions sont déjà un don de Dieu. Elles nous permettent de faire le chemin qui mène à lui en nous rendant capables de hisser notre voile dans la bonne direction.

Entrons en Carême comme on entre en dialogue. Nous ne pouvons suivre Jésus au désert sans croiser tôt ou tard le chemin d’une question cruciale : Comment vais-je coopérer à l’oeuvre de Dieu de telle sorte que ma conversion soit au rendez-vous ? Notons que cette question contient une partie de la réponse, puisqu’elle ne se pose pas en termes d’alternative (Dieu ou moi). Elle met au contraire en lumière une coopération réelle, respectueuse de chacun, entre deux êtres aussi disproportionnés qu’inséparables (Dieu et moi). Il faut le dire, cette question a constitué un véritable casse-tête pour des générations de théologiens. L’on sait de quelle manière le futur auteur du Traité de l’amour de Dieu en vint à bout, ouvrant à une foule de baptisés les chemins d’une sainteté accessible à tous, près de quatre siècles avant que le concile Vatican II ne s’empare à son tour de ce sujet. Soyez patient avec tout le monde, répétait l’évêque de Genève, mais surtout avec vous-même. Évoquer saint François-de-Sales au seuil du Carême, c’est renvoyer dos à dos un pélagianisme fort en bras (moi sans Dieu) et un quiétisme incapable de retrousser ses manches (Dieu sans moi).

Les yeux fixés sur Jésus Christ, entrons dans le combat de Dieu, insiste la liturgie. L’adage prier comme si l’action était inutile et agir comme si la prière était insuffisante trouve ici toute sa place. Prière et action vont ensemble. Nos résolutions ne seront bonnes que si elles viennent de Celui qui seul est bon (Mt 19, 17). À vouloir nous passer de lui pour arriver jusqu’à lui, nous nous découragerions en chemin, à moins que le dimanche de lætare ne vienne nous aider à garder coeur. Entrons en Carême comme on prend la route, sans nous y installer, en l’empruntant le temps d’un exode.

+ Louis Sankalé
Évêque de Nice
 

Sur le même thème