Regards croisés sur l’Église et la sexualité
Monseigneur Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon, a publié avec la sexologue Thérèse Hargot et le journaliste Arthur Herlin : « Aime et ce que tu veux, fais-le !» Un ouvrage dans lequel les questions de sexualité, d’engagement, du mariage ou de la fidélité sont abordés. Entretien avec Monseigneur Gobilliard.
Quel fut le point de départ du livre ?
La sexologue Thérèse Hargot et le journaliste Arthur Herlin étaient à Rome à l’automne 2017 pour le Pré-synode des jeunes en vue du Synode des évêques de 2018. Ils se sont étonnés que la question de la sexualité ne soit pas abordée. Ayant projeté d’écrire un livre sur le rapport entre l’Eglise et la sexualité ils m’ont alors contacté pour savoir si j’acceptais de donner le point de vue de l’Eglise. Réticent au début, je me suis laissé convaincre par Albin Michel, sensible au fait qu’il s’agissait d’un éditeur non chrétien, et donc que la richesse de l’enseignement de l’Eglise sur ce sujet pouvait être annoncée à ceux qui ne la connaissent pas ou la caricaturent. J’avais aussi demandé conseil à Monseigneur Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France (CEF) qui m’a encouragé à répondre favorablement.
Pourquoi vous ont-ils choisi ?
Probablement en raison de mon âge, pour que le livre puisse toucher un public jeune mais aussi parce que j’avais déjà rédigé un essai sur la pudeur en 2012 qui était un travail universitaire ainsi qu’un livre témoignage sur mon expérience à Madagascar, le Journal de Tanjomoha où une des lettres concerne principalement la question du célibat sacerdotal. J’ai aussi été formé à l’institut pour le mariage et la famille sur ces questions de théologie du corps, où j’ai appris à connaître la richesse et la nouveauté de l’enseignement du pape Jean Paul II.
Comment avez-vous procédé pour la partie rédactionnelle ?
J’ai reçu par email les questions d’Arthur Herlin qui pilotait le projet à distance. Nous ne nous sommes jamais vus pendant la phase rédactionnelle. J’ai pris plusieurs jours à l’automne, durant lesquels j’ai rédigé et envoyé mes réponses. Les lecteurs s’imaginent que nous étions tous les trois dans la même pièce à dialoguer mais je ne savais pas ce que Thérèse Hargot allait répondre et elle ne connaissait pas mes réponses. Arthur a ré-agencé les chapitres. Un vrai travail d’organisation ! Il nous a seulement demandé d’interagir sur trois ou quatre questions.
Pourquoi l’éditeur a-t-il choisi les regards croisés sur l’Eglise et la sexualité ?
L’éditeur a préféré les « regards croisés » au dialogue ou au débat. L’idée était d’avoir des éclairages avec trois points de vue différents. Nos profils sont divers. Arthur Herlin, journaliste, n’est pas de tradition catholique. Thérèse est sexologue non catholique mais de culture chrétienne. Je suis prêtre et évêque. L’objectif était d’aller au bout de ce que nous voulions dire, de développer notre pensée. Il s’agissait aussi de répondre aux questions d’un jeune, en proposant d’un côté le point de vue plus professionnel de la sexologue et de l’autre le point de vue de l’homme de foi.
Vous êtes parti un an à Madagascar en tant qu’enseignant au séminaire interdiocésain de Fianaransoa et accompagnateur de jeunes handicapés de Tanjomoha. Vous aviez rédigé lors de ce temps des lettres personnelles, dont une sur le célibat, qui n’avaient pas vocation à être publiées. Est-ce pour cette raison qu’Albin Michel vous a choisi ?
Ces lettres ont eu grand retentissement sur le web. Je ne souhaitais effectivement pas les publier. Un jour, un journaliste m’a provoqué en me précisant que les prêtres ne parlaient jamais de leur célibat. Je pensais que ce sujet n’intéressait personne mais il m’a mis au défi de les publier sur le site de la cathédrale du Puy. J’ai posté celle qui évoque le célibat. Je ne l’avais fait lire à personne pas même à mes parents. Deux heures après, il avait été partagé 689 fois. Le soir, j’avais trois propositions éditoriales.
Quel était votre objectif en choisissant de partir à Madagascar ?
J’ai souhaité partir à Madagascar car j’avais besoin de me retrouver. Je vivais, sans le savoir, la crise de la quarantaine. J’avais perdu le sens profond de ce que je faisais. Le meilleur moyen de réagir n’était pas d’aller voir ailleurs mais de me remettre en question. À Madagascar, j’ai vécu une conversion personnelle, celle du renouvellement de ma relation avec le Christ et avec l’Eglise. Je souhaitais dans ces lettres raconter la joie d’un ministère que j’avais l’impression de redécouvrir au bout de vingt ans de sacerdoce.
Le livre a été publié par Albin Michel, un éditeur non chrétien qui donne pour la première fois la parole à un évêque…
J’ai demandé à des documentalistes de réaliser une enquête pour savoir quand les évêques avaient pris des positions sur la sexualité. À chaque fois, les livres avaient été édités dans des maisons d’éditions catholiques. Je ne crois donc pas qu’un évêque français ait déjà publié un ouvrage sur les questions de sexualité, en particulier en abordant ces questions à propos du célibat consacré, auprès d’un public non catholique.
Avez-vous traité tous les sujets ?
Je ne pense pas que nous ayons été exhaustif sur la question ! Mais j’ai répondu à toutes les questions qui m’avaient été posées : la rencontre, l’engagement, le célibat, le mariage, la procréation et l’homosexualité… Arthur Herlin était un peu hésitant sur le sujet de la pédophilie. J’ai souhaité qu’on aborde cette question. La société attend de l’Église des réponses qui ne doivent pas être uniquement spirituelles.
Comment expliquer le succès du livre : « Aime et ce que tu veux, fais-le ! » ?
Le grand public s’intéresse à ces questions. Les lecteurs – très curieux – se demandent ce qu’on va bien pouvoir leur raconter. Arthur pose des questions simples comme « Faut-il mieux avoir un divorce heureux qu’un mariage malheureux ? Par ailleurs, quand je rencontre des lecteurs, leur première question est de me demander : « De quel droit un évêque peut-il parler de sexualité » ? En général, je réponds « De mon droit à être vivant ».
En tant « qu’être vivant », prêtre et évêque, que pouvez-vous exprimer de spécifique sur le célibat ?
La sexualité s’exprime de différentes manières. Pas seulement dans la relation sexuelle. Concernant le célibat, il y a plusieurs modes d’expression comme par exemple celui de valoriser son ministère et de découvrir que l’Église est une épouse. La relation au Christ peut remplir la vie, le désir d’aimer et d’être aimé. Avoir une vie équilibrée est très important. Il faut faire attention aux compensations qui peuvent parfois être source d’enfermement.