Commémoration : un an après la mort du Père Hamel
Un an après l’assassinat du Père Jacques Hamel (26 juillet 2016), prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray, nous vous proposons plusieurs réflexions sur ce que cet assassinat a changé – ou non – dans notre société et dans l’Église. Regards croisés d’Hubert Wulfranc, député de Seine-Maritime, ancien maire de Saint-Etienne-du-Rouvray et de Monseigneur Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes et président du Conseil pour les relations interreligieuses et nouveaux courants religieux.
Hubert Wulfranc, député de Seine-maritime, ancien maire de Saint-Etienne-du-Rouvray.
Le meurtre du Père Jacques Hamel, au cœur de l’été, quelques jours après l’attentat de Nice, a abasourdi l’ensemble des Stéphanais qui pensait être à l’abri de la menace terroriste. Aussi, tout un chacun a été marqué dans son être, les stéphanais dans toute leur diversité, ceux de longue date, comme les nouveaux résidents, les croyants comme les non croyants.
Cet assassinat politique, car c’en est un, avait pour ambition de fracturer la communauté nationale et en premier lieu, les Stéphanais. Passé l’onde de choc traumatique de cet événement au retentissement international, les habitants de la commune, fidèles à leurs valeurs de solidarité, se sont mobilisés nombreux spontanément pour opposer, chacun à leur manière, un message de paix et de fraternité à ceux qui entendent souffler sur les braises de la peur pour distiller la division et la haine.
Passer la nécessaire phase de recueillement en hommage au père Hamel et aux autres victimes de l’attentat du 26 juillet, l’ensemble de la communauté de vie stéphanaise s’est donc rapidement ressaisi pour consolider le vivre-ensemble. Élus et agents municipaux, responsables associatifs et religieux, enseignants, citoyens engagés dans la vie locale, parents d’élèves, jeunes… chacun a pris sa part d’initiative pour fortifier le message de paix indispensable à la vie en société.
Ainsi, la rentrée scolaire a été marquée par une série d’initiatives pour la promotion de la paix, notamment la réalisation d’une œuvre d’art conçue avec un millier de grues de papier réalisée par les élèves des écoles de la ville. Les animateurs chargés des activités périscolaires ont multiplié les initiatives pour promouvoir auprès des enfants la culture du dialogue et de l’écoute. Parce qu’elles étaient visées en premier lieu par l’attentat, les communautés religieuses locales ont intensifié leurs échanges et moments de partage pour fortifier davantage encore les liens fraternels qui unissent les croyants et les humanistes. Dans ce sens, les représentants religieux de la commune et l’exécutif municipal ont été invités au repas de rupture du jeûne à la mosquée Yahia située à proximité immédiate de l’église Sainte-Thérèse à l’occasion du dernier jour du ramadan.
La sculpture républicaine « Toute personne IV » réalisée en hommage au père Jacques Hamel, commandée par la municipalité se veut pour sa part, être un lieu de recueillement ainsi qu’un vecteur de questionnement sur nos engagements en faveur de la paix pour stimuler la fraternité.
Cette sculpture reprend les articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DDHC) de 1948 tels que l’article 18 qui dispose que « Toute personne a le droit de pensée, de conscience et de religion… » ou encore l’article 29 qui déclare que « L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein, développement de sa personnalité est possible ».
Le traumatisme lié à l’assassinat du père Jacques Hamel cicatrise lentement. La plaie ouverte le 26 juillet 2016 restera à jamais marquée dans notre histoire commune. Aussi, faisons en sorte que sa mort ne soit pas vaine et qu’elle puisse renforcer les liens qui unissent les Stéphanais et au-delà, pour un monde d’égalité et de fraternité.
Monseigneur Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes et Président du Conseil pour les relations interreligieuses et nouveaux courants religieux.
Soyons clairs : l’assassinat du Père Hamel n’a rien changé de fondamental. Certes, ce fut un choc. Énorme. Mais, après ce choc, d’autres attentats ont été commis ou préparés. L’état d’urgence a été prolongé. Les musulmans de France ont continué à être blessés profondément par le soupçon qu’ils pensent exister à leur égard. Une partie importante de la population continue à dénoncer le communautarisme maghrébin, et à refuser de considérer la plupart des musulmans comme des concitoyens comme les autres. Une infime minorité a tenté de récupérer l’évènement pour alimenter sa suspicion. Mais cette suspicion était antérieure. Le Conseil français du culte musulman (C. F. C. M) qui, pourtant, a été écouté dans les heures qui ont suivi l’attentat, n’est pas mieux reçu aujourd’hui qu’hier par beaucoup de musulmans et beaucoup de non musulmans en France. L’émotion passée, on ne peut pas dire qu’existe une véritable flambée de rencontres et d’actions en commun. Ici et là, quelques personnes sont venues s’ajouter à celles qui se rencontrent habituellement. C’est tout.
Pourtant, l’atmosphère n’est plus la même. Des chemins semblent pouvoir s’ouvrir. Il n’y a rien de vraiment nouveau, mais l’assassinat – et les réactions qui l’ont accompagné- ont permis de mettre en lumière des évolutions qui existaient mais n’étaient pas conscientes.
Le Père Hamel a été reçu comme la figure d’une certaine France chrétienne, bonne, ouverte, simple, une France que l’on avait oubliée dans le fracas des affaires médiatisées, et dont l’existence a été soudain rappelée. La réaction des catholiques a impressionné par son calme, son sens de la responsabilité, son caractère pacifique, mais cette attitude est, depuis longtemps, celle des évêques de France et du Pape François : cette « sagesse » a pu être admirée sur le coup, mais elle n’était pas nouvelle. Il y a longtemps, par exemple, que la conférence épiscopale s’était dotée d’un service de relation avec l’islam !
L’horreur du meurtre d’un homme de Dieu a poussé beaucoup de musulmans à manifester avec davantage de force leur dégoût d’être assimilés aux assassins… et leurs visites aux catholiques le dimanche suivant ont rendu leur solidarité plus visible. Monsieur Kbibech n’aurait jamais pu lancer cette invitation – et n’aurait jamais été écouté – si, depuis longtemps, n’avaient pas existé de multiples liens entre musulmans et chrétiens. Dans les mois qui ont suivi l’attentat, les médias semblent avoir été davantage attentifs aux recherches qui traversent le monde musulman, et à la lente progression de son acceptation de la liberté de conscience (liberté pour les chrétiens en pays à majorité musulmane, égalité des droits dans les mariages mixtes, etc…).
Les discours peuvent être grandiloquents, ils ne changent pas la réalité de notre pays fracturé, où chacun vit à côté de l’autre, quelquefois en bonne intelligence, quelquefois en méfiance…. La mort de Jacques Hamel a cependant convaincu – et devrait convaincre encore davantage – qu’il faut aller au-delà des mots pour bâtir notre société… En maints endroits, de petits groupes catholiques et musulmans se sont réunis (autour du 25 mars) pour être « ensemble avec Marie ». Bien entendu, la prière ne gomme ni les différences, ni même certaines hostilités, mais, pour des croyants, cette prière est un chemin sûr vers une fraternité certaine. Le Père Hamel est mort pendant une messe. C’est un signe et peut-être un appel.
† Michel Dubost
Évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes