Homélie de Mgr Lacrampe, Archevêque de Besançon à l’occasion du départ du Tour de France

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Chers amis,

Grande est notre joie d’être rassemblés aujourd’hui en cette église, dans la diversité de nos provenances !
Je voudrais vous saluer tous.
Que ce temps de recueillement et de prière donne sens à nos responsabilités et à cette journée que nous allons vivre dans la ville de Pontarlier en fête.

Jour après jour, je ne cesse de m’émerveiller de la manière dont l’Evangile est en adéquation avec notre quotidien et ce, même dans les plus petites choses, deux mille ans après qu’il a été écrit. C’est une fois encore le cas aujourd’hui. Au retour de leur première mission Jésus a invité ses disciples à venir à l’écart pour se reposer dans un endroit désert et Marc nous dit comme incidemment: « De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger ».
 

J’espère que nous saurons trouver un moment pour nous restaurer mais il est vrai que les Francs-comtois se pressent nombreux aujourd’hui à Pontarlier comme ils l’étaient hier déjà à Besançon et sur les étapes du Tour où des milliers de spectateurs et téléspectateurs sont venus à la rencontre des coureurs et des milliers de personnes du Tour de France qui, chacune à leur niveau de responsabilité, concourent au succès de cette grande manifestation sportive. Je voudrais ici saluer le travail des équipes de télévision, des journalistes qui nous font découvrir les pays traversés, certes, mais aussi les aspects humains de cette grande manifestation sportive.

Et il est bon que par notre présence à cette célébration qui nous rassemble ici, au beau milieu d’un événement de portée internationale, nous disions la volonté de l’Eglise d’être là, au cœur des réalités humaines, de toutes les réalités humaines, douloureuses hélas parfois ou festives comme ce matin.
 

On comprend sans peine la faveur populaire que recueille cette épreuve de la « grande boucle » comme on l’appelle parfois où qu’elle passe – Monaco, Andorre et aujourd’hui chez nos amis et voisins de Suisse – au-delà du spectacle qui est donné pour la plus grande joie de tous, petits et grands, plus loin que le suspense engendré par la compétition avec ses stratégies finement élaborées, ses coups de théâtre soudains, ses revers cruels et ses péripéties quelquefois dramatiques – il arrive hélas qu’on meure sur le Tour de France – le sport cycliste comme tout sport de haut niveau sans doute est porteur de valeurs que nous reconnaissons tous, chrétiens ou non.

Certes il y a des sportifs chrétiens et des chrétiens sportifs mais je crois profondément que ce qui est demandé à un sportif n’est pas si éloigné qu’on pourrait peut-être le penser au premier abord de ce qui fait un chrétien : dans l’un et l’autre cas, n’est-il pas question en effet, d’exercer les capacités que l’on a reçues, qu’elles concernent son corps, son cœur, son intelligence et sa volonté ? Avec quel objectif ? Celui de s’élever vers cette dimension autre de soi-même, de faire advenir cet homme ou cette femme qu’il y a en chacun de nous, plus grand que ce qui apparaît immédiatement.

Cela ne va pas sans efforts, sans persévérance et fatigue, abnégation et sacrifices : sans même chercher à devenir des champions, ils savent bien ceux qui pratiquent un sport combien certains matins on préfèrerait rester douillettement chez soi plutôt qu’aller se faire mal sur les pistes ou les pelouses d’un stade. De même, depuis que l’on a essayé d’atteindre à cette dimension transcendante de l’homme parce qu’on a pensé cette entreprise possible et souhaitable on a bien vu qu’il n’est pas si aisé que cela de se défaire du vieil homme. Il suffit de lire l’Ancien Testament ou les philosophes de l’Antiquité et les Pères du désert pour s’en persuader !
 

Il est un autre rapport que je voudrais établir entre le sport et notre qualité de chrétiens. Les textes dont nous avons entendu la lecture aujourd’hui vont nous y aider : ils nous parlent en effet d’espérance, vertu chrétienne par excellence et dimension incontournable de toute démarche sportive. Moins explicitement, ils nous parlent aussi de paix.

Dans l’extrait du prophète Jérémie, la situation qui se présente est difficile, le contexte politique troublé, les chefs ont conduit au désastre, Jérusalem est presque détruite, le temple rasé, le peuple déporté, dispersé parmi les nations.
Pourtant, dit-il, Dieu n’abandonne pas les siens. Il veut reprendre les choses en main et, comme un bon berger, il rassemble le troupeau épars, lui donne de bons pâturages, veille sur chacune de ses brebis, notamment les plus faibles : aucune ne sera perdue.
Bien sûr, cela ne se fera pas tout seul, il faudra que les hommes prêtent leurs bras à Dieu qui exercera cette fonction de Bon Pasteur par l’intermédiaire d’un vrai Roi. Sous son autorité bienveillante, les gens du Nord et ceux du Sud seront rassemblés en un seul Royaume, uni comme au temps de David.

Le texte de Jérémie trouve sa prolongation dans le psaume où une brebis dit sa joie d’avoir un bon berger qui sait trouver les bons endroits. Sur elle plane cependant la menace du ravin de la mort. Elle n’a pourtant pas peur car elle a confiance en son berger.
 

Dans l’Evangile de Marc, cette promesse de Jérémie prend corps avec Jésus, le Bon Berger. Quelques temps auparavant il a envoyé ses disciples à leur première mission et nous avons entendu dans l’Evangile lu dimanche dernier, qu’ils ont appelé les gens rencontrés à se convertir, ils ont chassé les démons et guéri les malades. Aujourd’hui, ils sont de retour et ils rendent compte de ce qu’ils ont fait. En bon maître économe des forces de ses troupes, Jésus les invite à souffler un peu et à prendre du repos à l’écart, avant sans doute de les engager sur d’autres chemins pour une nouvelle mission. Pressé par la foule Jésus cherche à les entraîner dans un lieu désert dit le texte mais là aussi ils sont devancés par tous ceux qui, accourus de toutes parts sont déjà là.

Et Jésus nous dit Marc « se sent plein de compassion pour ces gens car ils font penser à des brebis sans berger. » Jésus, le Bon Berger, a de la tendresse pour ses brebis, il comprend leurs besoins et il leur donne ce dont elles ont besoin, ce dont elles ont le plus besoin, la Parole de Dieu. Cette Parole fera comprendre à ces gens de quel amour ils sont aimés, elle suscitera en eux l’espérance en les éclairant sur la route qu’ils auront à prendre. Après seulement, il multipliera pour eux les pains et les poissons.
Cela vaut pour nous aujourd’hui. Notre vie de foi peut-elle aller sans nos rassemblements communautaires dominicaux? Ils nous permettent de rencontrer nos semblables, d’écouter avec eux les textes qui sont lus et commentés.
 

 
Ce ne sont pas simplement de belles histoires dont on ferait simplement mémoire une fois par semaine. Ce sont des récits fondateurs par lesquels nos avons à nous laisser transformer pour accomplir ensuite, en paix avec nous-mêmes et par conséquent avec les autres, les tâches de la vie sociale, professionnelle, familiale et citoyenne qui nous incombent.

Dans une de ses épîtres, l’apôtre Paul dit de Jésus qu’il est « notre paix, il a détruit le mur de séparation, la haine et les deux mondes sont devenus un seul. » Sans doute en disant cela fait-il allusion au mur d’enceinte qui alors interdisait l’accès des non-juifs au Temple. Mais nous le savons bien, il n’y a pas que ces murs-là, nous en connaissons bien d’autres à travers le monde jusques et y compris dans nos vies.

Nous ne saurons jamais assez travailler à ce que règne la paix. Le sport peut y contribuer. Rappelez-vous la manière dont jadis les premiers contacts ont été repris entre Chinois et Américains, au sortir d’une longue période de tension : par le biais d’une compétition de ping-pong ! Oui, dans notre volonté de promouvoir la paix, toujours et partout, de grandes manifestations sportives comme le Tour de France, peuvent jouer un rôle considérable.
 

Pas seulement parce qu’elles ont une dimension internationale comme c’est le cas aujourd’hui à Pontarlier où sont rassemblés coureurs, techniciens, soigneurs, entraîneurs, chauffeurs, mécaniciens, logisticiens de toutes nations et des journalistes qui vont diffuser au monde entier les images et les commentaires des faits marquants du jour à des millions d’auditeurs et téléspectateurs qui vont les recevoir en une dizaine de langues différentes. Non, pas seulement pour cela mais parce que le sport est une occasion de rencontres et de dialogues qui renversent les barrières linguistiques, ethniques, culturelles. Parce que, au-delà de la compétition, au-delà des sacrifices consentis et des souffrances endurées, on a éprouvé la solidarité vécue, l’amitié.

Au cours de cette célébration dominicale qui nous rassemble, nous porterons dans notre prière les noms de tous ceux que la direction du Tour de France m’a rappelés :
Que le Christ ressuscité les accueille dans la paix de Dieu.