« Les chrétiens d’Irak ont un rôle important à jouer pour construire un avenir de paix », interview de Mgr Stenger

Stenger Marc - Troyes

Du 10 au 17 septembre 2009, Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, président du mouvement Pax Christi France et membre du Comité international de Pax Christi, s’est rendu en Irak, accompagné d’une délégation internationale du mouvement. Il s’était déjà rendu dans le pays en février 2008 à l’occasion de l’opération Pâques avec les chrétiens d’Irak, au cours de laquelle il avait eu un premier contact avec la communauté chrétienne réfugiée au Kurdistan. Durant son séjour, il a rencontré des communautés à Karamlesh et Karakosh en compagnie de Mgr Georges Casmoussa, archevêque syriaque-catholique de Mossoul, visité la mosquée de Kirkuk et rencontré des leaders religieux en compagnie de Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen-catholique de Kirkuk, parcouru, sous la conduite de Monseigneur Rabban Al Qas, évêque d’Erbil et d’Amadiyah, les diocèses du Kurdistan où vivent de nombreux réfugiés.
Dans quel état se trouve la communauté chrétienne ?
J’y étais il y a un an et demi, il y a des changements dans le nord du pays, et en même temps, on assiste toujours à des kidnappings, des enlèvements, des explosions de voiture, et des personnes tuées. Ce ne sont pas des affrontements religieux, mais des affrontements politiques, de pouvoir, d’appropriation des territoires et des ressources. Les chrétiens sont au milieu de ces affrontements, avec quelques autres minorités, comme les yezidi, qui sont une petite religion de source zoroastrienne. Ils ont besoin de sécurité, qui n’existe pas pour le moment, de sécurité économique, de travail et d’écoles pour leurs enfants. Le rêve de beaucoup est de partir.

Quel message avez-vous donné aux chrétiens d’Irak ?
Un message de solidarité avec un peuple qui est dans une grande souffrance, une souffrance qui ne diminue pas. Ils ne peuvent pas se défendre. Les armes des chrétiens ne sont pas la violence, mais la paix, la réconciliation, l’amour, la tolérance. Nous leur avons dit que nous étions solidaires du combat qu’ils mènent pour créer la réconciliation. Beaucoup de chrétiens s’en vont, vers la Syrie, la Jordanie, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France dans une moindre mesure. Certains cherchent à s’abriter derrière des forces politiques. D’autres s’investissent dans un travail de dialogue et de réconciliation. Si les religions parviennent à se concerter et à s’entendre, c’est un atout pour la paix. Il y a quelques tentatives, comme à Kirkuk où l’archevêque est promoteur de dialogue avec l’Islam de façon très claire et reconnue. La même chose du côté d’Erbil où Monseigneur Rabban travaille à favoriser cette tolérance mutuelle. Les chrétiens doivent pouvoir rester afin de jouer ce rôle de pont entre les religions et les cultures.

Que s’est-il passé depuis votre précédent séjour en février 2008 ?

J’ai constaté que le Kurdistan s’est beaucoup développé économiquement, et il y a une réelle recherche de coexistence entre les confessions dans cette région. Ailleurs, certains aspirent à ce que les chrétiens puissent vivre entre eux pour assurer leur tranquillité, à ce que dans les zones chrétiennes il n’y ait pas de musulmans. Les chrétiens ont besoin de sécurité pour bien vivre. Avec une forte présence de l’Islam, ils ne seront pas en sécurité. Ce qui a changé aussi, c’est que malgré tout, des personnes sont revenues, car les infrastructures politiques paraissent un peu plus sûres, même si ce n’est qu’une apparence. Le gouvernement reste très faible. La veille du jour où nous nous sommes rendus à Qaraqosh, un village musulman a été ravagé par des explosions. Officiellement, personne ne sait qui a commis ces crimes. On reste dans un climat d’insécurité. L’Eglise en Irak insiste fortement pour que les chrétiens restent dans leur pays, car ils ont un rôle important à jouer pour construire un avenir de paix. Ils peuvent être des acteurs de réconciliation et de dialogue entre les religions et entre les hommes. Les évêques disent clairement que c’est rendre mauvais service aux chrétiens que de favoriser leur départ. Si les chrétiens s’en vont, ce pays n’a plus d’avenir, il deviendra une poudrière permanente, un champ clos de violence. La faiblesse et la force des chrétiens est qu’ils n’ont pas d’armes pour se défendre.

Comment faire pour que les chrétiens restent en Irak ?
Pour nous un des défis à relever est de découvrir ce que nous pouvons faire en tant que Pax Christi. Nous pouvons leur permettre d’avoir des ressources pour vivre, pas seulement matériellement, mais pour que leur vie ait un sens. La vie de beaucoup de ces réfugiés n’a pas de sens, ils n’ont aucune perspective. Si nous voulons les aider à avoir un avenir, il faut par exemple favoriser la création de micro-entreprises. Ils ont aussi besoin de solidarité, de savoir que nous sommes à leurs côtés et que nous ne les oublions pas. Pax Christi France a lancé une opération de jumelage entre les communautés d’ici et les communautés là-bas. Les premières réalisations commencent à se faire jour. Nous avons passé l’avant dernière soirée avec un groupe de jeunes étudiants de la paroisse de la cathédrale chaldéenne d’Erbil. Ils nous ont beaucoup parlé de leur jumelage avec la paroisse Notre-Dame du Rosaire de Saint-Maur des Fossés. Ils rêvent de liberté, de pouvoir aller ailleurs que là où ils sont, de connaître d’autres personnes. Ce contact est une occasion de vivre un peu plus de liberté. Ils m’ont beaucoup parlé de la visite de trois jeunes de Pax Christi France au moment des JMJ en 2008. Pax Christi peut également leur faire partager son expérience et sa ‘compétence’ en matière de dialogue et d’élaboration d’une culture non violente.

Où en est la campagne Pâques avec les chrétiens d’Irak ?
Les jumelages sont une des suites de cette campagne. Des communautés continuent à prier, nous recevons des messages à ce sujet. Un groupe pilote des projets de solidarité : nous avons créé un groupe d’organismes humanitaires, composés du Secours catholique, du CCFD, de l’Œuvre d’Orient, l’Aide à l’église en détresse, Pax Christi et nous avons sélectionné quelques projets symboliques pour offrir du travail et de l’éducation. Enfin, nous sommes en train de créer un Observatoire sur la situation des minorités religieuses dans le bassin méditerranéen, qui inclura tous les pays où la situation des chrétiens est difficile, avec un réseau d’observateurs autour de la Méditerranée.

Comment développer ces relations entre l’Eglise d’Occident et les Eglises d’Orient ?

Ces relations peuvent se faire à deux niveaux : les petites communautés qui établissent des relations fraternelles entre divers groupe et constituent des initiatives de rencontres. A un deuxième niveau, les Eglises doivent s’impliquer. Pax Christi va lancer un appel aux conférences épiscopales pour que des délégations d’évêques se rendent en Irak.

Quel message souhaiteriez-vous donner aux chrétiens de France ?

Nous avons découvert il y a un an que nos frères sont en souffrance et qu’ils ont besoin de prière et de solidarité. Nous ne devons pas les oublier. C’est très important pour eux que nous soyons revenus, c’est le signe que nous continuons à penser à eux et à être proche d’eux. L’enjeu pour eux est de vivre et de construire sur place, pour permettre la réconciliation dans leur pays. En le faisant, ils nous donnent un témoignage, car nous avons tous une mission de paix : ‘Heureux les artisans de paix’ (Math 5,9). En les soutenant là-bas, nous sommes des artisans de paix. Et posons-nous la question : qu’avons-nous à faire ici pour la paix, notamment dans le dialogue avec les autres religions ? J’ai rencontré en Irak des personnes prêtes au dialogue, elles sont un témoignage pour nous aussi, dans ce dialogue entre les religions, qui est une forme importante de dialogue entre les hommes.
 

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