Intervention de Mgr Defois, lors de la prière à Algeciras durant le séminaire international de Justice et Paix Europe

Nous sommes ici pour faire mémoire de tous ceux qui sont venus mourir sur cette plage que nous surplombons. Ils croyaient à une vie meilleure en Europe ; ils ont sombré avant de toucher notre terre.
Nos frontières ne seraient-elles que des lieux où l’on meurt ? Ne sont-elles que des murs, des barbelés érigés entre les hommes, comme à Ceuta ? Ne sont-elles pas par tradition le lieu de la rencontre de l’autre, le lieu où deux cultures s’ouvrent l’une à l’autre, se parlent pour s’enrichir ?

Nous sommes particulièrement touchés, émus par ces drames. Nous sentons cette tragédie jusque dans notre chair, non pas parce que nous avons de bons sentiments chrétiens, mais nous savons que nous sommes un peuple d’itinérants, nomades d’hier et de demain. Nous sommes un peuple de pèlerins, qui au sens premier du mot, traversent les frontières.
Nous sommes les destinataires de l’appel fait à Abraham « quitte ton pays et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai ». Nous sommes les héritiers de ce peuple en marche dans le désert vers la Terre promise. Pour tous ceux qui sont venus échouer aux portes de l’Europe, elle est devenue terre de désolation. Ils y sont morts avec leurs rêves.
Cette mer Méditerranée, si riche de ses échanges au cours de l’histoire, est devenue lieu de fracture. Pour les migrants quittant les côtes africaines, la traversée de la Méditerranée est devenue signe de mort, alors que la traversée de la Mer Rouge était pour le peuple Hébreux signe de libération.

Nous ne pouvons nous taire. Nous ne pouvons nous porter caution d’une Europe qui se construit en dressant des barrières et des murs. Ce n’est pas ce qu’ont voulu ses fondateurs, Schuman et Adenauer. Ces hommes de frontières savaient par les guerres mondiales ce qu’il en coûte du rejet de l’autre. Pour nous, ils ont fait le choix de la solidarité. Pour eux la différence n’était pas un fardeau mais reconnue source de richesses. Ce ne sont pas des paroles naïves. Les analyses objectives montrent que l’immigration a des conséquences globalement positives sur le développement des pays d’accueil. L’échange entre les cultures il déplace et féconde, il devient l’avenir d’une culture vivante, capable de se renouveler en permanence.
Mais à l’heure de la mondialisation des échanges, la migration apparaît comme le chaînon manquant de nos liens d’interdépendance.

Il nous faut oser une politique de solidarité et de gratuité pour que l’homme soit l’homme, nos sociétés des territoires d’humanité, de liberté et de responsabilité, de fraternité.

Dieu le sait, nous ne pouvons étouffer le cri de la misère du monde ;
Dieu le sait, nous ne pouvons refouler tant de déni d’espoir et de passion déçue ;
Dieu le sait, nous ne pouvons mépriser tant de rêves noyés dans les flots de nos suffisances ;

Europe, terre d’évangile, souviens-toi des valeurs du cœur et des joies de l’amour ;
Europe, terre d’humanisme, sauras-tu témoigner d’une solidarité sans frontières, ni murs, ni barbelés ?
Europe, terre de mémoire, ose relier dans la justice ceux que tu as trop privé des promesses de la paix.
 

Mgr Defois,archevêque émérite de Lille et président de Justice et Paix Europe
le 19 septembre 2009