« La fraternité fait partie de la tradition chrétienne avant d’être au fronton des mairies », interview de Mgr Hubert Herbreteau
Lorsque j’ai commencé, en 2006, l’écriture de ce livre sur la fraternité, des amis m’ont exprimé quelques réactions quelque peu désabusées. Ce mot n’est pas révélateur d’une société à la recherche d’un consensus mou. Pour fuir les vrais problèmes du monde (crise économique, menaces sur l’environnement, conflits sociaux et internationaux, immigration, chômage, violences de toutes sortes), la fraternité est un concept commode et chargé d’illusion.
Je suis resté malgré tout motivé pour mon projet. J’ai alors été attentif à l’utilisation abondante de ce concept chez les politiques au moment de l’élection présidentielle, chez les humanitaires, mais aussi les philosophes ou les éducateurs. Dans l’Église catholique elle-même, le mot est souvent présenté à la fois comme un idéal à poursuivre et une réalité présente dans les communautés chrétiennes. Il y a donc un air du temps mais qui demande une analyse. Pourquoi la fraternité retrouve-t-elle des couleurs après avoir été considérée comme ringarde ?
Je constate qu’en 2009, le médiologue Régis Debray, écrit un livre à ce sujet pour, dit-il, « sortir de la naphtaline » le troisième terme de la devise républicaine. Selon lui cette « vieille cousine que l’on n’invite plus à danser » ouvre au domaine du sacré. De son côté, le pape Benoît XVI, dans sa 3e encyclique Caritas in veritate, développe abondamment le thème de la fraternité universelle.
Comment parler de « fraternité » de façon spécifiquement chrétienne sans être suspecté de « récupération confessionnelle » ?
La fraternité fait partie de la tradition chrétienne avant d’être au fronton des mairies. Cependant, pour éviter la récupération confessionnelle, il faut tout d’abord l’aborder de manière anthropologique. C’est ce que j’ai essayé de faire tout au long de mon ouvrage.
La fraternité est constitutive de l’être humain. Celui-ci est un être de relation, capable de sollicitude pour autrui, appelé à vivre la compassion et la solidarité. De ce point de vue, les récits mythiques et les récits bibliques nous apprennent beaucoup sur cette donnée originelle, même s’ils commencent souvent par la description d’un fratricide.
Dans mon livre, je décris aussi quatre lieux d’application de la fraternité aujourd’hui : la ville, le sport et la musique, la relation éducative, l’hospitalité (accueil des malades et de l’étranger). Dans les deux derniers chapitres du livre, je parle de l’Église comme d’une fraternité. Les auteurs chrétiens des premiers siècles, en particulier Cyprien de Carthage, désignaient ainsi l’Église.
Enfin, il me semble que la fraternité est un aspect important de la vie spirituelle. Je donne trois exemples de témoins qui comptent beaucoup pour moi : François d’Assise, Ignace de Loyola, Madeleine Delbrêl.
En quoi le ministère épiscopal et la rédaction d’un tel ouvrage s’éclairent-ils mutuellement ?
Ma réflexion prend appui sur mon expérience pastorale d’évêque d’Agen depuis quatre ans. Je fais souvent référence au Lot-et-Garonne. J’ai essayé de montrer que l’évêque est un passionné de fraternité, envers ses prêtres d’abord mais aussi envers le peuple qui lui a été confié.