« Les personnes aidées ont du potentiel », interview de Jérôme Vignon

Les prochaines semaines sociales, qui se dérouleront du 20 au 22 novembre à Villepinte au nord de Paris, auront pour thème : Nouvelles solidarités, nouvelle société. Jérôme Vignon est le président des Semaines sociales de France depuis 2007 et ancien directeur chargé de la protection sociale et de l’intégration sociale au sein de la direction générale de l’emploi à la Commission européenne. Interview.
Comment se présentent ces semaines sociales dans ce contexte de crise ?
Les inscriptions sont conformes aux autres années. Nous attendons entre 3000 et 3500 personnes. Je m’attends à une présence de jeunes plus importante et des chrétiens engagés dans les mouvements diaconaux comme le Secours catholique ou le CCFD. Nous avons invité 150 jeunes de pays européens. On retrouve dans ces journées le message de l’encyclique Caritas in veritate. A quoi sert l’action charitable ? Quelle est son fruit ? Quel signe donne-t-elle ? En quoi rencontre-t-elle des besoins fondamentaux ? Ce sont des interrogations d’ordre intellectuel qui trouveront leur réponse pendant ces trois jours et qui répondront à l’attente des militants du Secours catholique, du CCFD, de la Cimade, d’ATD Quart-Monde et d’autres associations avec lesquelles nous avons préparé cette session.

Quel est l’enjeu de ces semaines sociales ?

Un des enjeux de cette session est de voir si l’on peut établir un pont entre la créativité des solidarités volontaires, nées de la liberté d’initiative du monde associatif et les solidarités organisées, qui constituent le rempart principal contre l’exclusion et la pauvreté. Nous aurons ainsi un atelier sur le thème de l’accès au logement. Le père Bernard Devert a créé à Lyon l’association Habitat et Humanisme, ayant pour objet de permettre à des familles de se loger en plein cœur de la ville, dans des appartements achetés par l’association. Cela permet d’éviter la concentration des difficultés dans les mêmes barres d’immeuble et d’engendrer les solidarités locales entre les habitants de l’immeuble. Un accompagnement est assuré pour aider ces familles à trouver un emploi et une école aux enfants. Habitat et humanisme tente de s’attaquer aux défaillances de l’Etat social, qui ne parvient pas à éviter les ghettos, les zones de relégation, les poches localisées de pauvreté et d’exclusion géographique. Elle va à l’encontre de cette concentration de l’exclusion par une démarche volontaire et professionnelle. Cela peut intéresser des mairies confrontées à des poches d’exclusion et des quartiers à l’abandon.

Quelles sont ces nouvelles solidarités ?
Ce sont des solidarités nouvelles au sens où les relations qu’elles établissent avec les personnes aidées sont fondées sur la réciprocité. On compte beaucoup sur l’implication des personnes aidées, sur le fait qu’elles ont un potentiel et des choses à dire. Cette manière de vivre la solidarité sera très illustrée dans cette session, avec la présence d’ATD Quart-Monde et du Secours catholique. Des personnes en situation de pauvreté prendront également la parole. Ces nouvelles solidarités misent sur le dialogue, l’écoute et se rattachent au primat des droits fondamentaux. Paul Bouchet, historien et juriste qui a beaucoup œuvré pour le développement d’ATD Quart-Monde, nous expliquera ce lien entre nouvelles solidarités et droits de l’Homme.
Le second aspect de ces nouvelles solidarités illustre fortement l’un des aspects de la dernière encyclique, Caritas in veritate. Il ne faut pas séparer la diaconie, c’est-à-dire l’action caritative volontaire, de la redistribution, organisée et institutionnelle, c’est-à-dire l’Etat social. Ces nouvelles solidarités illustrent bien la fécondité de cette relation étroite entre l’institutionnel, qui reste l’expression de la justice par la redistribution et la prévention de la pauvreté, et la solidarité associative qui mise sur l’humain, le don et la gratuité. Ce sont deux dimensions complémentaires.
Les entreprises peuvent aussi se lancer dans ces solidarités nouvelles. Nous aurons un débat entre Pascale Coton, secrétaire générale adjointe à la CFTC et Geoffroy Roux de Bézieux, président de l’Unédic, autour de cette responsabilité sociale de l’entreprise. Peut-on avoir confiance dans les entreprises lorsqu’elles se donnent délibérément une mission sociale, sans y être contraintes par la loi ? Dans un contexte de mondialisation, les entreprises sont proches du terrain et observent des possibilités que la loi ne peut pas voir. Emmanuel Faber, directeur général délégué de Danone, à l’origine du projet Danone.communities et Elena Lasida, professeur à l’ICP, spécialiste d’économie solidaire, représenteront deux incarnations de ces nouvelles formes de solidarité.

Dans votre introduction à ces 84e semaines sociales, vous dites, « la solidarité s’avèrera autant morale et politique que strictement économique. Ainsi mesurera-t-on l’apport révolutionnaire du message chrétien qui fait justement de la pauvreté et du manque de ressort d’un lien de fraternité.» En quoi ce message chrétien est-il révolutionnaire ?

Il est révolutionnaire pour la conscience française, laïque, neutre, qui a voulu se débarrasser du religieux pour pouvoir mieux atteindre l’universalité. Dans la tradition française, la solidarité est fondée sur la réciprocité. Nous donnons, nous payons nos impôts. Grâce à la réciprocité organisée au sein de la société, les plus vulnérables ne sont pas laissés au bon vouloir de la compassion de quelques-uns. On dépasse la situation du 18e et du 19e siècle où la solidarité était le résultat d’une initiative charitable, donc précaire. C’est la loi qui organise sur le motif de la réciprocité entre tous les citoyens le fait que les jeunes payent pour les personnes âgées et les biens portant pour les malades. La solidité de la société française vient de cette dimension de solidarité, qui est inattaquable. Ce ressort aujourd’hui est affaibli parce que ce sentiment que l’on est dépendant les uns des autres est affaibli. Pascale Coton nous disait que le syndicat CFTC s’inquiète de l’absence de solidarité entre les salariés d’une même entreprise, car ils ont des statuts très différents. La question de la réciprocité n’est plus suffisamment solide pour motiver la solidarité. La révolution chrétienne est qu’elle offre un moteur qui ne s’épuise pas à la solidarité, qui est la fraternité. La fraternité est inépuisable, car on n’a jamais fini de réaliser la richesse que constitue le fait d’être frère et sœur en Jésus-Christ. Une fraternité chevillée dans le don, par la réciprocité, vous fait vivre. C’est là que ce message est révolutionnaire, et apporte une réponse radicale à une question qui est toujours en débat : la réciprocité suffit-elle à établir la solidité du corps social ? Pour que les gens choisissent d’être solidaires, ils doivent se laisser gagner par le don, qui s’enracine lui-même dans la fraternité. En expulsant la religion de l’espace public, les pouvoirs publics se privent d’une contribution très importante qui est celle d’éveiller le corps social au sens de la fraternité. Mère Thérésa et l’abbé Pierre ont été des figures populaires car elles incarnaient la gratuité et le sens de la fraternité.

Quel est votre point de vue sur l’encyclique Caritas in veritate ?
Nous retrouvons des points de jonction entre cette encyclique et notre session. Les nouvelles solidarités infusent dans le fonctionnement de la société, des entreprises, de l’Etat, un esprit de gratuité nécessaire pour régénérer ces vieilles structures, et réciproquement, ceux qui font profession de charité doivent se soumettre à cette purification de leur action par l’esprit de vérité. Dans l’encyclique, l’esprit de vérité nous vient de l’amour et de la foi et de toutes les formes de l’intelligence humaine. La vérité est ordonnée à la vocation de l’homme, regardée par Dieu et aimé par lui, mais cette vérité se laisse contextualiser par la connaissance des réalités humaines qui viennent des sciences sociales et de l’intelligence de l’homme. Cette encyclique nous invite à approfondir notre connaissance des réalités sociales, en apportant le regard de l’Evangile et en se laissant interpeler par les connaissances humaines. L’article 2 de l’encyclique comporte une forme de critique de l’action caritative impensée, qui est dans la spontanéité et l’autojustification. Il peut y avoir une tentation de l’action caritative de se laisser porter par l’enthousiasme et l’émotion. Le pape nous dit qu’il faut convaincre par l’intelligence de notre action. Il dit aussi dans le chapitre 3 que les entreprises et l’Etat doivent se laisser interpeller par la gratuité et que la diaconie, c’est-à-dire les volontaires de l’action de la solidarité, ne peuvent pas être dispensés de la rigueur de leur gestion. Ils doivent être soumis à un critère d’efficacité et de bonne gestion. Cela fait partie de la vérité.

Il est encore possible de s’inscrire en ligne à la session.

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