« La mémoire catholique est inscrite chez les académiciens », interview Mgr Dagens

Mgr Claude Dagens

Il vient de présenter à Lourdes le document « Indifférence religieuse, visibilité de l’Eglise et Evangélisation »*. Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, membre de l’Académie française, sera le 21 novembre à Tours, l’invité des Journées du livre chrétien.

Dans notre histoire récente, quels ouvrages ont été des événements symboliques forts témoignant de la vitalité de l’inspiration catholique ?

La question de la place du catholicisme dans la culture et la société française n’est pas nouvelle : elle resurgit chaque fois qu’un siècle commence. Ainsi, en 1802. La Révolution française a profondément ébranlé notre pays et les interrogations se bousculent : serait-ce la fin du catholicisme ? Est-ce que la raison des philosophes des Lumières va chasser les obscurantismes de la religion ? C’est alors que paraît le retentissant « Génie du christianisme » de Chateaubriand célébrant les beautés de la religion chrétienne. Avec talent et intelligence, l’auteur évoque la fécondité inépuisable de la foi et de l’Église, à travers les dogmes, la liturgie, l’art, l’importance du sentiment religieux autant que de la raison pour connaître Dieu. Après la Révolution, le christianisme, politiquement affaibli, est donc reconnu comme une source d’inspiration spirituelle, ce qui est un paradoxe.
Ce phénomène se reproduit en 1905. C’est la date historique de la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat. La « guerre des Deux France », selon l’expression de l’historien Emile Poulat, semble devoir durer longtemps. Combattus, affaiblis, les catholiques ont du mal à se situer. Au même moment, un renouveau catholique se manifeste dans le domaine de la culture. De grands noms illustrent ce rayonnement de la foi catholique : les poètes Claudel et Péguy, les philosophes Bergson et Maritain, puis, plus tard, les romanciers Bernanos et Mauriac. Là encore, il y a paradoxe entre l’affaiblissement politique et le rayonnement culturel et spirituel.

Et à l’époque actuelle ?
Pour être honnête et réaliste, je dirais que les temps sont contrastés. La sécularisation a fait son œuvre. Elle interdit aux religions de régenter la société. L’historien et politologue René Rémond parle même du surgissement d’un anti-christianisme brutal. D’autres observateurs tels que Marcel Gauchet ont une appréciation différente. Il estime que la sécularisation oblige les traditions religieuses et en particulier la tradition catholique à se manifester autrement : c’est de l’intérieur de leurs convictions, à partir de leurs sources, que les croyants ont à manifester ce que la foi chrétienne a de spécifique, en particulier l’attachement à la dignité unique, inaliénable et irréductible de la personne humaine. Cela vaut pour l’embryon dans le ventre de sa mère, pour la personne âgée ou malade en fin de vie, et aussi pour ces hommes et ces femmes menacés d’être manipulés comme des objets en fonction des exigences exclusives de la rentabilité financière ou des lois d’un marché sans contrôle. Ce Dieu qui s’est révélé comme miséricorde, ce Dieu qui a signé une alliance fidèle avec l’homme, nous devons, catholiques, apprendre à en parler avec d’autres. Je remarque, lors de mes visites pastorales, combien de personnes sont intéressées par cette parole, par ces convictions. Nous devons donc vaincre nos peurs pour dire qui nous sommes et en quel Dieu nous croyons.

Quels seraient, pour les temps d’aujourd’hui, vos conseils de lecture ?
Je cite avec joie le « Petit éloge du catholicisme » de Patrick Kéchichian. C’est une merveille de délicatesse et un appel à l’assurance chrétienne. J’ajoute Didier Decoin et son « Dictionnaire amoureux de la Bible ». Il y a également le livre de François Taillandier et Jean-Marc Bastière « Ce n’est pas la pire des religions ». Si j’avais à donner des noms de romanciers : Sylvie Germain, bien sûr, et Christian Bobin. Pour les philosophes, Jean-Louis Chrétien et Jean-Luc Marion qui occupera à l’Académie française le fauteuil du cardinal Lustiger et que je recevrai prochainement. Parmi mes confrères à l’Académie, je recommande Frédéric Vitoux et son roman « Clarisse » évoquant une institutrice et son ministère de bonté, François Cheng, Jean-Marie Rouart avec son livre très beau quoique paradoxal « Libertin et chrétien », et aussi Max Gallo, qui sait l’importance de la foi chrétienne dans l’histoire de notre nation, et bien d’autres. Car dans ce lieu prestigieux qu’est l’Académie française, je mesure à quel point la mémoire catholique est profondément inscrite chez beaucoup de ses membres, y compris chez ceux qui ne partagent pas notre foi. L’approche culturelle de la foi y est très présente. A l’heure même où certains se désolent de la crise d’identité du catholicisme se dessine ainsi une redécouverte de la nouveauté chrétienne au delà des ruptures de tradition que nous avons connues.
 

Les journées du livre chrétien se tiennent à Tours du 20 au 22 novembre 2009 sur le thème Espérance et littérature contemporaine.
Mgr Claude Dagens interviendra le samedi 21 novembre à 18h30 sur le sujet Espérer en des temps de crise: le témoignage de la littérature.
Lancées en 1987 par le père Jean-Marie Onfray, les journées ont lieu tous les trois ans et sont organisées par des chrétiens, catholiques, protestants et orthodoxes.

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