Mgr André Vingt-Trois : Les vérités d’un cardinal

Nous publions l’interview accordée par Mgr André Vingt-Trois au Journal du dimanche du 20 décembre 2009, dans laquelle il revient sur de nombreux thèmes d’actualité.
 
Crise économique, débat sur l’identitté nationale, laïcité: le président de la Conférence des évêques de France affirme des convictions sans concessions à la veille des fêtes de Noël.

Pour la cinquième année, le cardinal André Vingt-Trois, 67 ans, va présider les célébrations de la naissance du Christ à Notre-Dame de Paris. « Noël ? La foi dans l’attachement que Dieu porte à l’humanité annonce que l’avenir de l’homme ne passe pas par la mort et la malédiction, mais par la vie et la bénédiction. » Il le fera à sa manière, plus discrète, plus sereine, que son prédécesseur, Jean-Marie Lustiger, dont il avait été le plus proche collaborateur. Cette personnalité, à la rondeur parfois abrupte, a choisi de tracer sa route, indifférente à toute comparaison. Il est devenu en quelques années un rassembleur. Il préside depuis deux ans la Conférence des évêques de France. Ses fonctions l’ont conduit ces derniers mois, au Vietnam, à Rome, à un synode avec les évêques africains où il a entendu ses confrères raconter les ravages de la corruption. A Paris, l’archevêque doit préparer ses ouailles aux vaches maigres. A ses prêtres, il demande d’être témoin de la foi en étant « serein ». Cela ne l’empêche pas d’affirmer des convictions fermes sur les débats politiques du jour.

« L’économie sans moteur »

J’ai été stupéfait par le caractère soudain de la crise : un orage dans un ciel serein ! Cela laisse beaucoup d’interrogations sur la lucidité des experts d’un système présenté comme très perfectionné. Si les spécialistes de la circulation ferroviaire avaient connu les mêmes errements, nous aurions beaucoup d’accidents de train ! Cette crise ne manifeste pas simplement des dysfonctionnements partiels dus à des erreurs tactiques. Elle met à nu l’éloignement du système financier de l’économie. Le système de production s’est polarisé sur le rendement financier plus que sur la production elle-même. Ce qui devait être un instrument est devenu le moteur principal.

« La recherche du gain, seul objectif »

Nous sommes dans une culture où le revenu financier est le seul critère de réussite, sans le contrepoids d’une responsabilité et d’une mission de service. Que quelqu’un gagne beaucoup d’argent en développant une entreprise, ce n’est pas scandaleux. Ce qui l’est, c’est quand la recherche du gain devient un objectif pour lui-même, contraire à des objectifs de production et de service.

« La solidarité des Français n’a pas faibli »
La crise a permis de revitaliser un système d’entraide et de solidarités familiales ou associatives. La contribution des Français à la solidarité privée, par la collecte de dons, n’a pas vraiment faibli au regard de la gravité de la situation. Nous observons dans les paroisses un rajeunissement des demandeurs d’aide et une plus grande vulnérabilité de ceux dont les situations familiales sont précaires.

« A Copenhague, les feux de l’enfer »

Pendant longtemps, on a reproché à l’Eglise de brandir les feux de l’enfer pour obliger les gens à vivre autrement. Aujourd’hui, la médiatisation unilatérale du catastrophisme est censée nous inciter à vivre autrement. Je suis sceptique sur ce chantage à la mort par lequel on essaye de répandre la bonne parole. C’est une bonne chose que les états se concertent pour affronter ensemble les défis écologiques et mettre en place des moyens de régulation. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne décision de brider le développement de certains pays, émergents, au nom de l’écologie pendant que d’autres, développés, continueraient de polluer à tout va. Il ne s’agit pas seulement de toucher au portefeuille par des taxes : il faut avoir le courage d’appeler à changer nos manières d’être et de vivre.

« Notre système tourne en rond »
Les gouvernements ont fait face pour enrayer la crise. Cela remet en valeur la responsabilité politique face aux mécanismes économiques. Mais bien des initiatives ont visé davantage à aménager le système qu’à le changer réellement. Nous sommes dans une société dont le principal ressort est de développer la consommation pour justifier la production. Ce système tourne en rond. J’en appelle à une vraie réflexion sur nos modes de vie. Sommes-nous prêts à sacrifier une part de notre qualité de vie pour gagner 100 euros de plus? Une organisation économique au service de l’existence humaine doit intégrer, comme l’explique Benoît XVI, la dimension de la gratuité et du don, qui est une aspiration humaine profonde.

« Identité nationale: des intégrations réussies »
Il y a un besoin de clarification sur le calendrier, les motivations, la méthode. Il y a un manque de préparation, contrairement à la manière dont ont été menés les états généraux de la bioéthique: sur l’impulsion du président de la République, on a obtenu un vrai résultat après un long travail en vue d’expressions diverses. Cela dit, il n’est pas illégitime de se demander comment nous nous reconnaissons membre d’une communauté nationale et quels points de repères nous sommes capables d’énoncer. Depuis l’occupation romaine, une des forces de la nation française a été sa capacité, non pas d’absorber mais d’intégrer des populations qui se reconnaissent dans ce qu’est la France. Dans la première moitié du XXe siècle, l’immigration européenne a été intégrée, parfois dans la douleur. Et au final, l’intégration maghrébine des Trente Glorieuses n’a pas été si mal réussie. Mais si la France a eu la capacité d’intégrer des identités différentes, cela s’est fait sur un projet. La question de l’identité nationale est donc celle du projet qui peut faire l’unité des Français.

« La laïcité, ce n’est pas l’islam des caves »
Je ne crois pas que l’islam soit la question principale en France. En tout cas, elle ne recouvre pas celle de l’immigration. Les immigrés d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou d’Europe centrale ne sont pas tous musulmans, que je sache. Et la société française ne connaît pas de conflit interreligieux grave : les oppositions sont déclenchées et montées en épingle par les mouvements qui veulent réduire les religions au silence ou les instrumentaliser. On ne peut pas être pour la liberté religieuse et refuser que les musulmans aient droit à des lieux de prière dignes. La laïcité, ce n’est pas encourager l’islam des caves. Et je n’ai pas remarqué que les associations musulmanes en France avaient des projets de minarets qui dominent le paysage urbain. Dans certains pays islamiques, il arrive qu’on utilise la religion et des motifs religieux pour conduire une stratégie politique. Mais cela ne veut pas dire que l’islam est réductible à ce travers.

« L’Eglise à Paris: plus de cent communautés ethniques »
L’Eglise catholique a l’expérience concrète de la mise en œuvre d’une identité confessionnelle en intégrant la diversité culturelle. A Paris, nous avons plus de cent communautés ethniques différentes, toutes catholiques. Il n’y a pas une paroisse à Paris sans une proportion d’étrangers. Souvent, ils sont le point d’appui de leurs communautés parisiennes, sans rejet.

« Nous sommes plus écoutés »
Nous avons un potentiel de fidélités et d’engagements considérables dans toutes les générations. L’Eglise est la seule organisation à réunir des centaines de milliers de personnes chaque semaine. Par leur vie personnelle et leurs engagements dans la vie sociale, elles montrent qu’elles apportent quelque chose à la société. Notre situation est plus ouverte qu’il y a vingt-cinq ou trente ans: dans la culture, la vie sociale, la bioéthique, nous pouvons exprimer des vues qui n’auraient pas été écoutées avec le même intérêt. Peut-être la crise actuelle provoque-t-elle une demande de sens, c’est ce que disent les sociologues. Mais ça, nous le saurons plus tard. Une chose est sûre: Dieu n’abandonne jamais!

Avec l’aimable autorisation de son auteur Olivier Jay, du Journal du dimanche

 

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