» J’attends une parole politique claire et forte « , interview de Bernard Lemettre

 

Bernard LemettreSix colloques se sont tenus en France à l’occasion des 60 ans de la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. La démarche portée par le Mouvement du nid, association chrétienne militant pour l’abolition de la prostitution, se conclura le 11 février à l’Assemblée nationale. Bernard Lemettre, président du Mouvement du nid, revient sur les enjeux d’une telle initiative.
En 2009, le Mouvement du nid a accompagné une série de colloques liée au 60e anniversaire de la Convention de 1949. Quelle en était l’ambition ?
Nous souhaitions provoquer la parole et attirer l’attention sur la large question de la prostitution : trafic des êtres humains, réinsertion, délit de racolage, etc.
La Convention du 2 décembre 1949 a une importance considérable à nos yeux. Ses auteurs ont évité deux écueils : le prohibitionnisme qui nie l’existant et la réglementation qui reconnaît la prostitution. Ils ont construit une convention qui ouvre l’avenir. Et l’avenir, c’est travailler à l’éducation, la sensibilisation, l’information. Qui détient les clefs du changement et qui fabrique la prostitution si ce n’est l’opinion publique ? Pour certains, la prostitution est vue comme le plus vieux métier du monde. Derrière ce discours se cachent ceux à qui la prostitution rapporte. D’autres pensent qu’il faut adoucir la condition des personnes prostituées. De nombreuses associations les renomment en travailleurs du sexe, c’est-à-dire qu’elles les enferment dans la prostitution. Or, la prostitution constitue l’enfermement et la destruction de la personne. C’est aussi le cas des maisons closes. Il n’existe pas de lieu pour bien se prostituer car on est toujours dans le mépris et la violence. Nous posons donc une troisième voie en travaillant pour que les personnes prostituées aient un avenir hors de la prostitution. Il faut changer les mentalités, y compris celles des politiques.

La rencontre du 11 février à l’Assemblée nationale, épilogue de votre travail, sera primordiale dans cette optique, en particulier pour faire entendre les orientations issues des colloques.
Nos orientations portent sur les quatre acteurs de la prostitution : la personne prostituée, le proxénète, l’opinion publique et le client. Ce dernier rend possible la prostitution par son argent. Nous souhaiterions qu’un interdit existe pour faire comprendre qu’être client n’est pas un acte banal. Il faut qu’une loi permette de punir le client et non la personne prostituée. J’attends une parole politique claire et forte dénonçant la prostitution et reprenant le préambule de la Convention de 1949. En France, la ratification de ce texte a été globalement oubliée.
Le vote d’une loi constituerait une prise de conscience de la question de la prostitution. Je ne veux toutefois pas d’une loi sans un accompagnement pédagogique du client. Il faut mener une réflexion globale sur la question car un client doit travailler sur lui pour « soigner » les conséquences liées à son acte : disparition de l’argent du ménage, violence liée à des regards, des discours, etc.

La convention a été ratifiée par de nombreux pays, mais peu de choses ont changé, notamment en France. Qu’est-ce qui nourrit encore votre travail ?
Je suis passionné par la question de la lutte contre la prostitution car elle touche au fondement même de la liberté humaine. Réfléchir à la prostitution oblige à s’interroger sur la liberté et la dignité. Je considère ce que je vis comme une grande diaconie de l’Église en France et en Europe, car servir c’est porter son regard sur l’avenir.
Je viens de lancer un travail d’études pour montrer comment l’Écriture éclaire la vision du Mouvement du nid d’une société sans prostitution. Nous partons du martyr d’Étienne qui mourrant voit le ciel grand ouvert (Ac 6,8-10 ; 7,54-59). Il regarde ce que je vois dans ma foi, ce monde sans prostitution. Je le vois d’ailleurs chaque fois que quelqu’un se lève pour refuser la prostitution. C’est une personne qui sort du tombeau, d’un lieu innommable.

A l’occasion du 60e anniversaire de la Convention des Nations Unis pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, le Mouvement du nid a souhaité réaliser « le bilan des politiques publiques françaises en matière de prostitution au regard de l’engagement abolitionniste français. » Plusieurs thématiques ont été abordées lors de colloques nationaux organisés par l’association partout en France (lutte contre le proxénétisme, politique de prévention, prostitution et droits sociaux, etc.)Le 11 février 2010 à l’Assemblée nationale, l’association présentera aux associations de lutte contre la prostitution et aux parlementaires les conclusions de ces colloques auxquels ont participé avocats, responsables politiques, psychiatres et citoyens. Le Mouvement du nid y évoquera les quatre orientations retenues : renforcer l’information du public, faciliter le parcours de réinsertion de la personne prostituée, poser un interdit au fait d’être client, renforcer les moyens de lutte contre le proxénétisme.

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