Cardinal Tauran : « Le dialogue interreligieux contribue au bien commun de la société »

Le 23 novembre 2010, avant de recevoir les insignes de Docteur Honoris Causa de l’Institut catholique de Paris, dans la soirée, le cardinal Jean-Louis Tauran, Président du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux à Rome, a tenu à répondre à l’invitation du Père Christophe Roucou, Directeur du Service pour les Relations avec l’islam (SRI) de la conférence des évêques de France.
 

En quoi consiste la mission que vous a confiée le pape Benoît XVI ?

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C’est de coordonner les activités relatives au dialogue interreligieux. Le dialogue interreligieux ne se déroule pas à Rome mais dans les Eglises locales. Ce sont les fidèles, les évêques, les prêtres qui sont les acteurs de ce dialogue. Nous coordonnons, nous orientons, nous pouvons aider les uns ou les autres mais c’est sur place que cela se passe. En Iran, nous avons vécu une semaine de contacts. Ce qui a été très important pour moi, c’est à la visite à Qom. C’est un centre de vie intellectuelle très intense. La philosophie y est enseignée. Cela donne une grande qualité au dialogue interreligieux et peut-être même une dimension théologique qu’il n’a pas ailleurs. Nous allons, j’espère, donner naissance à une collaboration académique.
 

Comment percevez-vous trente ans de dialogue islamo-chrétien en France ?

Nous vivons dans des sociétés pluri culturelles et pluri religieuses. On parle de « religions », au pluriel. Le dialogue interreligieux n’est pas le dialogue entre les religions : c’est le dialogue entre les croyants. Ce sont des hommes et des femmes bien concrets qui ont des problèmes, que nous connaissons tous, des problèmes de citoyens. Tout croyant est à la fois croyant et citoyen. Ce dialogue interreligieux avec nos frères musulmans est important car il nous incite à être cohérents par rapport à notre propre foi. On ne peut pas dialoguer sur de l’ambiguïté. Cela nous oblige à approfondir notre foi, à avoir une identité spirituelle bien définie, de manière à pouvoir rendre raison de notre foi aux autres, et également de découvrir les richesses des autres religions. Nous savons que Dieu est à l’œuvre dans chaque homme et dans chaque femme. C’est un appel à la cohérence de notre part et aussi à découvrir l’œuvre de Dieu au cœur de chaque homme. Cela ne veut pas dire que toutes les religions se valent. Nous ne pourrons jamais renoncer à dire que Jésus-Christ est le Fils de Dieu et le Sauveur du monde. Un musulman ne pourra pas renoncer à dire que Mahomet est le seul Prophète. Ce qui est important, c’est d’avoir un regard religieux sur des réalités qui nous sont communes : l’école, la famille, la justice sociale… Nous pouvons alors ensemble proposer à la communauté humaine notre collaboration. Finalement, le dialogue interreligieux contribue au bien commun de la société et il rappelle à tout le monde que l’homme ne vit pas seulement de pain.
 

Vous avez rendu visite au Service pour les Relations avec l’islam (SRI). Pourquoi ?

Il s’agissait d’abord d’encourager cette équipe. Je crois qu’au niveau européen, cette structure de la Conférence épiscopale est une des meilleures. Ce sont des personnes sérieuses, dévouées, ouvertes. Le Père Roucou, son Directeur, fait un très bon travail. Ils m’ont dit ce qu’ils faisaient. Je pense qu’avec Mgr Michel Santier – évêque de Créteil, Président du Conseil pour les relations interreligieuses, NDLR – c’est une référence de qualité pour les chrétiens. Ce sont tous des gens qui ont été sur le terrain, qui ont étudié l’arabe et qui ont servi dans des pays à majorité musulmane : ils savent de quoi ils parlent. Ils le font, comme dit Saint Pierre, avec « respect et délicatesse ».
 

Distingué pour vos travaux aujourd’hui à l’Institut catholique de Paris, avez-vous un message à destination de l’étudiant de 2010 ?

Cette distinction Honoris Causa me donnera l’occasion de dire certaines choses. Le titre que j’ai donné est : « Le dialogue interreligieux, utopie ou ressource ? » Je vais essayer de montrer que ce n’est pas une utopie ! Nous avons un message à donner au monde. Il y a trois défis à relever. Le défi de l’identité : « Ne pas avoir peur qui nous sommes et ce en quoi nous croyons », le défi de l’altérité : « Qui croit d’une manière différente de nous n’est pas automatiquement un ennemi » et le défi du pluralisme : « Accepter que Dieu soit à l’œuvre dans le monde, d’une manière inattendue, tout en reconnaissant qu’en tant que chrétiens, nous croyons que Jésus est la Révélation du Dieu Père ». C’est ce qui nous différencie des musulmans. Pour eux, Dieu est avant tout le Juge. Comme chrétiens, nous avons à témoigner de cette tendresse de Dieu qui s’intéresse à l’homme dans la vie de chaque jour. Il est essentiel que pendant leur formation, les étudiants acquièrent une connaissance de l’islam, qu’ils aient lu le Coran et quelques ouvrages fondamentaux, de manière à pouvoir dialoguer en connaissance de cause.
 

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A Paris, visite du cardinal Jean-Louis Tauran au Service pour les Relations avec l’islam

C’est la première fois dans l’histoire de ce service, créé en 1973 par les évêques de France, que le président du dicastère romain rend visite au SRI au titre de sa charge pour le dialogue interreligieux.

Au cours d’un échange de près de deux heures, le cardinal a apporté un soutien chaleureux à l’action menée par les membres du SRI, reprenant une formule qu’il aime citer : « Nous n’avons pas d’autre choix, nous sommes condamnés au dialogue ».

Il les a encouragés à travailler pour que le dialogue vécu au niveau des responsables catholiques et musulmans descende à la base. Soulignant qu’après chaque moment de tension ou action terroriste, il nous faut renouer les fils du dialogue.

Il leur a redit que, dans le contexte actuel, le champ d’action prioritaire était celui de l’éducation, à travers les établissements d’enseignements et les universités et qu’il convenait d’y combattre l’ignorance des personnes tant sur leur propre religion que sur celle de l’autre. Former les jeunes catholiques, comme les futurs prêtres, à la rencontre et au dialogue avec l’autre est, selon lui, une priorité.

Enfin, le cardinal a insisté sur l’exigence intellectuelle et spirituelle qui doit guider ceux qui construisent ces relations entre catholiques et musulmans.

C’est ainsi que les deux heures d’échanges se sont achevées dans l’eucharistie célébrée par le cardinal Tauran avec les membres du service dans la chapelle des sœurs dominicaines.

Père Christophe Roucou
Directeur du Service pour les relations avec l’islam
 

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