Patriarche Younan : « Suivre le Christ, même sur le Chemin de la Croix »

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A Paris pour la messe annuelle de l’Oeuvre d’Orient, le 15 mai 2011, S.B. Ignace Youssef III Younan, Patriarche d’Antioche pour l’Église syriaque-catholique, apporte un autre regard sur le « Printemps arabe ». S’il encourage les chrétiens du Moyen-Orient à rester enracinés dans leur terre d’origine, il appelle les gouvernements européens à prendre des mesures concrètes et les chrétiens à la solidarité.
 

Quel regard portez-vous sur le « Printemps arabe » ?

Si j’avais à regarder ces événements populaires dans d’autres pays pour lesquels je sais qu’il existe des problèmes graves d’ouverture au peuple, de participation des différents partis au gouvernement, alors je dirais que c’est un réveil populaire pour les libertés. Mais il faut aussi aller regarder au fond des choses pour comprendre qu’une partie de la population veut prendre le pouvoir des mains d’une autre qui accapare soi-disant l’autorité. En ce qui concerne la Syrie, on parle d’une majorité religieuse dont l’adhésion va à l’Islam sunnite et qui veut reprendre le pouvoir dans un pays convaincu que l’autorité a été usurpée par une minorité. Or cette minorité a été – durant des siècles- bannie et même abusée, car elle n’est pas de la même famille religieuse. On comprend pourquoi on manifeste surtout après la prière du vendredi. Il s’agit donc de remplacer un pouvoir par un autre. Mais cet autre pouvoir n’est pas un parti. Ces gens demandent leurs droits civils au nom d’une majorité religieuse. Celle-ci pourrait jouer un rôle de réunificateur sur la base de la religion. Certains disent que les Syriens pourront trouver leur voie dans la démocratie. Ce n’est pas si clair. Un changement n’est pas toujours pour le mieux. Un changement empreint de vengeance serait vraiment catastrophique dans un pays aussi complexe que la Syrie.
 

Quelle est la situation des chrétiens en Syrie ?

Avec aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants, l’alphabétisation en Syrie est plus répandue que dans d’autres pays arabes. Il existe une certaine ouverture mais un seul parti gouverne, avec quelques alliés. Les chrétiens sont le segment de la population le plus vulnérable. Il y a d’autres minorités religieuses, comme les druzes et les ismaéliens, et des minorités ethniques, comme les kurdes. Pour les fanatiques, les chrétiens sont une réminiscence du pouvoir colonisateur. Pourtant ils sont là depuis des milliers d’années. Malheureusement, parce que l’Islam est une « nation », ils pensent que les chrétiens font partie des nations à l’héritage chrétien en Occident. Le risque est que les chrétiens soient chargés de tous les maux des pays arabes et du Moyen-Orient. Jusqu’à présent, 90% des musulmans – arabes ou pas – pensent que toute intervention de l’Occident dans leurs affaires, même si c’est pour les aider, relève d’un intérêt politique ou économique. Car, pour eux, au Traité de Versailles (1919), les chrétiens de l’Occident ont divisé le monde islamique.
 

Quel message souhaitez-vous transmettre à l’occasion de votre venue en France ?

Il faut faire attention, ne pas prendre tout en bloc, regarder surtout les conséquences d’un chaos certain. Au fond du cœur de ces gens, il n’y a ni pardon ni compromis. Ils veulent se venger : « Vous nous avez gouverné par la force pendant 45 ans. C’est maintenant à notre tour, au nom de ce qu’on appelle la démocratie ». Or la démocratie à l’européenne ne peut et ne doit être exportée. A la Révolution, les Français se sont révoltés contre la royauté et contre l’Eglise. Contre les gens d’Eglise qui, pour le peuple, n’étaient pas d’authentiques représentants du Christ et de l’Evangile. Tandis que là, c’est avec l’appui des imams qu’on manifeste. Pour nous, c’est une inquiétude. Si les manifestants demandent des droits civils, pourquoi insister à ce point sur le rôle de la mosquée dans ces revendications ?
 

Vous suggérez à l’Union Européenne des observatoires sur le terrain ?

Quand j’ai rencontré le Ministre italien des Affaires Etrangères Franco Frattini et son homologue français de l’époque, Michèle Alliot-Marie, je leur avais suggéré d’avoir des représentations de l’Union Européenne pour être observatoires des pays sur les droits civils.
Pourquoi ne pas être authentiques et fidèles aux principes de démocratie, de liberté de religion et de conscience ? Mais certains pays dans l’Union Européenne ne veulent pas en savoir plus. Catherine Ashton (la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité, ndlr) n’est pas intéressée. On veut remettre ça à un moment plus opportun. C’est ce qu’on appelle un langage politiquement correct et j’ajoute : « économiquement opportun ».
 

Que peuvent faire les chrétiens en France ?

« Dire la Vérité dans la Charité », comme enseigne le Saint-Père. Dire la vérité avec respect. Il faut à tout prix dire cette vérité et ne pas avoir peur des réactions. Si l’on dit cela, les chrétiens seront encore plus persécutés, etc. Non ! Nous avons déjà notre lot de souffrance. Pourquoi ne pas avoir le courage de faire plus de pressions sur le gouvernement pakistanais et sa loi anti-blasphème ? Le seul ministre chrétien dans ce gouvernement a été assassiné. On doit prendre des mesures concrètes et fortes. L’Europe compte aussi des extrémistes qui pourraient influencer ceux qui sont neutres. C’est là le danger pour l’Europe. Nous, au Moyen-Orient, avons bu la coupe de la persécution. Nous craignons fort pour l’avenir de l’Occident et des autres pays fondés sur l’éthique, la civilisation et la culture judéo-chrétienne de la liberté.
 
Messe annuelle de l’Oeuvre d’Orient à l’intention des chrétiens d’Irak

« Emouvante », la célébration a eu lieu, le 15 mai dernier, en la cathédrale Notre-Dame remplie de fidèles, en présence du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et Ordinaire des Orientaux en France, et de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris. La messe avait lieu 7 mois après le massacre du 31 octobre 2010 dans la cathédrale syriaque-catholique de Bagdad. « Nous avons donné un témoignage de ce qu’est la vocation chrétienne : suivre le Christ, même sur le Chemin de la Croix, pour arriver à la Résurrection, commente le patriarche. Nous avons rappelé à nos frères et sœurs leurs responsabilités d’être solidaires avec les Chrétiens du Moyen-Orient. Nous encourageons les Chrétiens d’Orient à rester enracinés dans leur terre d’origine. Quand une famille part, elle rend ceux qui restent plus faibles et plus vulnérables. Cela crée une sorte de climat de peur ».
 

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