Des clés pour un avenir de paix

Jean-Baptiste de Foucauld - Commissaire au plan 1995

Ouverte à tous, la prochaine journée nationale de Pax Christi France, le 16 mars, propose une réflexion autour de l’encyclique du pape Jean XXIII « Pacem in Terris » dont c’est le cinquantième anniversaire. Rencontre avec Jean-Baptiste de Foucauld, ancien Commissaire au Plan, membre fondateur du « Pacte civique », qui interviendra sur les grandes perspectives de l’encyclique pour le XXIe siècle.
 
Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans l’encyclique signée le 11 avril 1963 « Paix sur la terre : sur l’établissement d’une paix universelle dans la vérité, justice, charité et liberté » ?

Je trouve l’encyclique très parlante. Même si elle frise parfois l’utopie, elle montre une direction claire et donne des bases théoriques assez précises pour fonder une action. Elle doit être source d’inspiration pour tout haut fonctionnaire ou homme d’État. En fait, il s’agit de l’un des premiers grands textes qui annonce, dès 1963, la mondialisation. Ses propositions sont très audacieuses, notamment lorsqu’il est évoqué le besoin d’une organisation qui définisse le bien commun universel et donc celui d’une autorité publique compétente qui aide à cette définition. C’était osé de dire ça en pleine guerre froide, au moment où il y avait d’un côté le monde communiste, d’un autre le monde développé et démocratique, et puis le tiers monde ! C’est une encyclique novatrice, qui tout en s’inscrivant dans la tradition, ouvre de nombreuses perspectives. L’intuition générale reste juste et peut être actualisée.

À quels changements l’encyclique s’est-elle trouvée confrontée ?

La mondialisation ne s’est pas tout à fait produite comme escompté. Le Pape Jean XXIII n’a pas vu l’effondrement du communisme, ni la montée de l’islam, ni celle du terrorisme qui est un obstacle à la mondialisation. L’Europe, laboratoire possible d’une mondialisation réussie, n’est pas évoquée. Le Pape est également peu loquace sur les violences économiques et financières. Or, la mondialisation est moins passée par un effort organisé de la paix que par la suppression des entraves aux échanges et par la progression du commerce qui a facilité le développement des pays émergents ou même pauvres, mais qui a engendré aussi crises financières et chômage massif. La violence économique a, en quelque sorte, remplacé les violences idéologiques.

Quelles sont les avancées notables depuis 1963 ?

Tout en se situant dans le cadre de la doctrine de l’Église, l’encyclique est en elle-même une avancée, dans la mesure où elle prône une vision de la mondialisation. Elle pose le principe d’un bien commun mondial. Elle demande une institution crée par un accord unanime des États : tout le problème est là. Il n’est pas facile pour les États de renoncer à leurs souverainetés. Mais l’idée du bien universel a gagné du terrain. Il y a une prise de conscience du fait que l’humanité est une sorte de vaisseau spatial spécifique dont les ressources ne sont pas illimitées et que nous sommes tous liés les uns aux autres. Même si nous en avons des visions différentes, l’humanité est une, c’est un progrès incontestable. Les mouvements de démocratie ont gagné peu à peu face aux dictatures communistes ou réactionnaires. Davantage de pays coopèrent au niveau international. L’O.N.U. a un peu progressé, les opérations de maintien de la paix évitent les drames. Le gouvernement économique mondial évolue à petits pas, l’Europe aussi. Autre point important : les relations se sont pacifiées entre chrétiens et non chrétiens. Avec cette encyclique, l’Église ne se présente plus en position dominante mais dans un esprit de collaboration. C’est un élément que je relie à la lettre du Cardinal Roy à Paul VI qui, dix ans plus tard, incite les chrétiens à s’engager en politique, en tant que citoyens, à côté des autres.

Quelles pistes présentes dans l’encyclique pourraient encore être mises en œuvre ?

L’encyclique insiste bien sur l’importance du changement de comportement individuel pour faire évoluer le collectif : les deux sont liés. Cette attitude a toujours du mal à entrer dans la culture politique, française notamment. L’idée de groupements régionaux qui recherchent des équilibres entre le rôle d’« État nation » et une institution universelle est une voie de passage nécessaire. D’autant que la question écologique, absente de l’encyclique, implique des solidarités mondiales. Il faudrait produire des institutions plus fortes. L’O.N.U. regroupe les États, avec les difficultés que l’on connaît : échec du renouvellement du protocole de Kyoto, échec de l’accord sur l’OMC, etc. Il manque un lieu où les peuples seraient représentés. Cette chambre des peuples n’aurait pas le rôle d’un législateur, mais elle définirait l’intérêt général planétaire, serait une instance d’étude et de proposition. Les États en seraient dynamisés, un peu à la manière dont la Commission européenne stimule les pays qui auraient tendance à se replier sur leurs prés carrés. Elle serait également un moyen de pression pour faire participer les pays non démocratiques à cette capacité de proposition, ce qui les inciterait à se démocratiser. Nous avons besoin d’une autre source de légitimité. L’État n’est pas la forme définitive du développement politique. D’autres formes sont à inventer.

En quoi « Pacem in Terris » encourage-t-elle vos actions ?

Avec le « Pacte civique », nous essayons de dire que le changement, qu’il soit local ou mondial doit être lié au comportement des personnes, au comportement des organisations, et à celui des institutions et des politiques. Même si le « Pacte civique » est laïc, nous sommes, en cela, très en phase avec ce qui est dit dans l’encyclique. Et si le citoyen a la possibilité de s’exprimer au plan local et au plan national, il manque un lieu d’expression international. Nous devons apprendre à articuler ces différents niveaux. La capacité de retrouver une vision globale est une condition de la paix. L’encyclique avait de l’avance sur la pensée dominante et elle avait été reçue comme telle. Alors qu’on se prend à reculer face aux problèmes sociaux, financiers et économiques, elle est un encouragement à voir au-delà du quotidien, à aller de l’avant, à chercher à élever le système plutôt que le défendre. Elle promeut une attitude anticipatrice, courageuse et pleine d’espérance.

 

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