Bâtisseurs de ponts de paix au Rwanda

Marie-Marcelle_Desmarais

20 ans après le début du génocide au Rwanda, la blessure reste vive. Marie-Marcelle Desmarais, religieuse de la Congrégation de Notre-Dame, dirige l’Institut de formation humaine intégrale de Montréal (IFHIM). Elle partage les chemins d’espérance déjà tracés. Témoignage.
« J’ai connu le Rwanda en 1987. J’y suis allée plusieurs années de suite pour des sessions en lien avec la formation que nous dispensons à l’Institut de Formation humaine intégrale de Montréal. À ce moment-là, le Rwanda semblait bien se porter. Du moins, apparemment. Il était important d’aider les personnes à se rencontrer au-delà des différences. Il fallait faire découvrir que le vrai développement psychosocial, celui dont nos peuples, leur peuple, avaient besoin, était ce développement de la personne qui rend capable d’aimer de façon universelle. Chaque personne est une personne, non un objet, et cet amour m’engage à regarder et à traiter chaque personne au-delà des différences. Nous parvenions à faire saisir l’urgence de cette ouverture. En 1989, je me souviens avoir espéré que le Rwanda puisse s’engager sur ce chemin pour que d’autres s’engagent à sa suite. La guerre a éclaté en 1990.

J’y suis retournée en 1992 pour une session avec des personnes des deux ethnies, mais désireuses de paix. Là encore, il s’agissait de créer les conditions pour que ces gens se découvrent entre eux, avec leurs forces vitales humaines, avec leur amour en actes. J’ignorais que le génocide allait éclater et frapper plusieurs des personnes présentes à la session. Je ne faisais pas une analyse de la société rwandaise. Je ne cherchais pas à situer l’Église au Rwanda. Je voyais l’urgence que les personnes se regardent comme des personnes, au-delà de leurs ethnies et des autres différences. C’était le chemin de la paix.

En 1994, au début du génocide, j’ai voulu rejoindre nos anciens étudiants qui étaient au Rwanda. Leur signifier notre soutien au cœur de ce drame. Je n’ai pu avoir qu’un contact téléphonique mais il m’a permis de découvrir comment réconforter les personnes qui vivent des expériences traumatiques. Il y a le drame, mais aussi la personne qui y fait face. Si elle est ouverte, elle tentera de protéger la vie, de sauver la vie. Au moment où l’on met en lumière cette participation active et engagée de la personne au cœur du drame, elle se relève.

Ibakwe, au secours de la paix

J’ai immédiatement relancé les personnes que nous avions formées à l’IFHIM et qui se trouvaient dans les pays limitrophes, comme au Rwanda, pour qu’elles apportent leur contribution dans cette démarche de restauration. Je suivais les événements. On nous envoyait les nouvelles et nous pouvions percevoir l’ampleur et l’horreur du drame. Quand j’ai rassemblé nos anciens étudiants en Europe pour qu’ils prêtent main forte aux religieuses réfugiées, j’étais consciente de la situation complexe. Jean-Marie Destrée, alors directeur des urgences au Secours Catholique (France), nommait cela « une nouvelle forme d’aide humanitaire ». J’accompagnais les personnes pour qu’elles deviennent des relais auprès des personnes traumatisées. C’était un chemin pour aider à « sortir du tombeau »… Devant la tragédie, sa complexité, ses origines, il fallait des volontaires sur le terrain pour accompagner les rescapés, être également présent auprès des réfugiés pour tenter d’aider la vie à l’emporter sur l’hostilité et la violence.

Dès 1995, j’ai fait appel aux supérieures majeures pour que des sœurs rwandaises approfondissent leur formation dans notre Institut et deviennent des « Bâtisseurs de ponts de paix ». Plusieurs rwandaises et quelques prêtres se sont formés. Mais les femmes avaient un rôle particulier à jouer dans la reconstruction de leur peuple et de chacun. Une expérience de profonde maternité psychique les attendait. Des religieuses engagées allaient se former et repartir vers leur pays meurtri. Un groupe est né de ce cheminement. Il se nomme Ibakwe. Depuis 2001, il forme des « secouristes de paix », des « bâtisseurs de ponts pour la paix ». Ce choix est devenu une source d’espérance. Les faits parlent. Des murs tombent. Des ponts se construisent. Des familles de paix naissent et témoignent.

Le drame du Rwanda a révélé des contre-forces cachées et alimentées collectivement. Mais il a aussi mis en lumière l’amour en actes de centaines de personnes rwandaises. »

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