Extraits de l’intervention de Mgr d’Ornellas sur le rapport parlementaire « Favoriser le progrès médical – Respecter la dignité humaine », mars 2010


1- L’intérêt de l’enfant à naître et la recherche sur l’embryon

Sur l’intérêt de l’enfant à naître, notons ici le progrès par la proposition 4 du rapport parlementaire qui suggère de « prendre en compte l’intérêt de l’enfant à naître » dans les décisions relatives à l’AMP. Cela répare un oubli puisque, selon le Sénateur Huriet, l’enfant est le grand absent des lois de 1994 et 2004. Cette proposition part d’une intention positive : il s’agit de maîtriser et d’orienter l’usage de la technique – avec ses possibilités variées – qui produit un enfant en mettant en avant son intérêt. Cette proposition vient de l’expérience qui a conduit à se poser des questions du genre : ne faut-il pas privilégier l’enfant à naître plutôt que le désir d’enfant ? Le désir d’enfant donne-t-il un droit à la technique ? (…)

Cela me conduit à dire un mot sur la proposition 26 selon laquelle la sélection de l’embryon porteur de la trisomie 21 serait « permise » dans le cadre du DPI. Notons que cette proposition 26 est non seulement contradictoire en elle-même puisque la sélection de la trisomie 21 contredit explicitement les principes du DPI rappelés dans le Rapport, mais aussi en contradiction avec les suggestions du  même rapport pour que le regard sur le handicap change de telle sorte que les personnes confrontées au diagnostic positif ne prennent pas automatiquement la décision de l’IMG ou de l’IVG. Si la proposition 26 était retenue dans le projet de loi et par le législateur, n’aurions-nous pas alors un Etat eugéniste ou « un véritable eugénisme légalisé » (p. 544) ? Dans les discussions subtiles qui aboutissent à affirmer qu’il n’y a pas d’eugénisme en France, ne pouvons-nous pas nous poser la question et la poser à nos interlocuteurs ?

A propos de la proposition 4, la question « quel est donc l’intérêt de l’enfant à naître ? » en cache peut-être une autre : « Quel est donc l’intérêt de la société de ne plus faire naître d’enfants handicapés ? » Face à cette question, deux réactions. D’une part, « la solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l’élimination », selon la formule des citoyens de Marseille ; pour la première fois, le Rapport propose que soit dégagé un financement pour la recherche relative à la guérison de maladie grave in utero (dont la trisomie 21). D’autre part, le « principe de vulnérabilité » a été rappelé (p. 540). (…)

Sur l’interdiction de la recherche sur l’embryon, le Rapport a situé la question de la recherche sur les cellules souches embryonnaire dans le domaine de la recherche fondamentale et lui a assigné une simple finalité « médicale ». Il est intéressant de noter que les deux conditions de la dérogation à l’interdiction de la recherche – intérêt thérapeutique majeur et absence de méthode alternative comparable – sont supprimées en s’appuyant seulement sur les conclusions de l’ABM qui justifie cette double suppression en précisant que les recherches en sont au stade fondamental (alors, la seconde condition est évidemment « superflue »). Aucune instance éthique n’est avancée dans le rapport pour cette suppression.

Il est possible de faire état de ces remarques à nos interlocuteurs qui l’ignorent et de leur donner aussi les résultats du colloque sur les cellules souches adultes qui s’est tenu à Monaco en novembre dernier. (…)

2- Réflexion sur les sciences émergentes

Le Rapport continue ainsi son analyse des tendances nouvelles : « La recherche sur les sciences émergentes s’est accélérée et mérite que l’on s’interroge sur leur utilisation. Parce qu’elles ne répondent pas à la démarche réparatrice traditionnelle de la médecine mais ont pour ambition affichée, dans la perspective d’une société « posthumaniste », d’améliorer l’être humain, elles pourraient avoir de très nombreuses implications sur lesquelles la représentation nationale et à travers elle l’ensemble des citoyens se doit d’être éclairée. »

Il semble intéressant de nous arrêter un bref instant sur les sciences « émergentes », c’est-à-dire sur les neurosciences et sur les nanotechnologies. (…)

Apparaît un nouveau champ de l’éthique : la recherche. Celle-ci ne peut plus être considérée comme neutre, l’éthique ne s’appliquant qu’à leurs applications. M. Jacques Bordé, directeur de recherche au CNRS, a précisé à l’occasion du débat sur les nanotechnologies : « on ne peut rechercher sur tout. » L’interdiction du clonage est une première éthique : on a interdit à la recherche ce qu’elle ne savait pas encore faire. Aujourd’hui, devrait se développer la notion de responsabilité éthique du chercheur. « Derrière tout programme de recherche, il y a toujours un problème métaphysique. » Le scientifique Richard Ersnt dit : « celui qui ne connaît rien d’autre que la chimie ne comprend pas vraiment la chimie. » C’est pourquoi, M. Bordé a ouvert au CNRS une école pour les chercheurs : « liberté et responsabilité ». Ceux-ci ne sont pas habitués à de tels questionnements qui sont pourtant indispensables

(1) Voir aussi Jean-Pierre Dupuy : « La science, en tout cas, ne peut plus échapper à sa responsabilité. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faut lui donner le monopole du pouvoir de décision. Aucun scientifique ne le souhaite. Cela veut dire qu’il faut obliger la science à sortir de son splendide isolement par rapport aux affaires de la Cité. La responsabilité de décider ne peut se concevoir que partagée. Or c’est de cela que les scientifiques, tels qu’ils sont formés et tels qu’ils s’organisent à présent, ne veulent absolument pas. Ils préfèrent de beaucoup s’abriter derrière le mythe de la neutralité de la science. Qu’on les laisse accroître les connaissances en paix et que la société, sur cette base, décide de là où elle veut aller. Si tant est que ce discours ait jamais eu une quelconque pertinence, il est aujourd’hui irrecevable. » In « Pour une évaluation normative du programme nanotechnologique », 19 décembre 2003.

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