Regard du P. Saintôt sur le cas de M. Vincent Lambert
Alors qu’à Strasbourg, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) se prononce, ce 5 juin 2015, sur la conformité avec la Convention européenne des Droits de l’Homme avec la loi Leonetti, interprétée par le Conseil d’Etat, explications du P. Bruno Saintôt, s.j., responsable du département Ethique biomédicale du Centre Sèvres, Faculté jésuite de Paris. Il s’agira d’une décision juridique et non pas éthique.
La situation de Vincent Lambert aujourd’hui. « Il n’est pas en fin de vie, rappelle le P. Bruno Saintôt, s.j. S’il est alimenté et hydraté, il continue à vivre. Certes, son état s’est dégradé de l’état pauci-relationnel à l’état d’éveil sans réponse (état végétatif) mais l’alimentation artificielle n’est pas inutile puisqu’elle maintient en vie ».
Le rappel des faits. En 2012,les soignants ont interprété les crispations corporelles de M. Lambert pendant la toilette comme « une sorte de refus de soin et de refus de vie ». « Le déclenchement de la procédure collégiale pour statuer sur l’obstination déraisonnable que constituerait le maintien de l’alimentation artificielle est venu de là. Or, et le Conseil d’Etat et son médecin de l’époque ont bien dit que cet argument n’était pas valable car on ne sait pas interpréter la signification de ces manifestations. Il reste donc l’argument de l’expression antérieure de sa volonté ».
La souffrance. « Dans le Considérant 28 de sa décision, le Conseil d’Etat mentionne que, d’après le rapport des différents experts, le comportement de M. Lambert ne peut témoigner d’un ‘vécu conscient de souffrance’. C’est très important car cela signifie aussi que l’alimentation artificielle n’est pas disproportionnée au sens où elle causerait de grandes souffrances ».
Les 3 critères de l’obstination déraisonnable. Alimentation et hydratation artificielles sont-elles inutiles ? « Non, puisqu’elles contribuent au maintien en vie de M. Lambert » répond le P. Saintôt. Est-ce disproportionné ? « Non d’après ce que nous avons dit ». L’alimentation et l’hydratation artificielles n’ont-t-elle d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ? « C’est le critère le plus problématique. L’état végétatif, par lui-même, relève-t-il du « seul maintien artificiel de la vie ? » Si c’était le cas, il faudrait arrêter de prendre soin de toutes les personnes en état végétatif ! Le Conseil d’Etat ne dit pas cela ! Toute la difficulté, qui est liée à l’image personnelle et collective que nous entretenons vis-à-vis des personnes dont les capacités et la conscience sont altérés, est de qualifier le « seul maintien artificiel en vie ». Le « maintien artificiel en vie » est bien accepté, par exemple, pour les dialyses et l’usage du respirateur artificiel mais quand bascule-t-on dans le « seul maintien artificiel en vie » ? Il faut recourir à une analyse fine de la situation et pas à des catégories de patients ! »
L’avis de l’équipe médicale de M. Lambert. Si le médecin a jugé, après large consultation collégiale, que le traitement n’avait d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, le P. Saintôt estime, lui, qu’on n’a pas créé pour Vincent Lambert « de grandes souffrances ou mobilisé des traitements disproportionnés. D’ailleurs le médecin reconnaît que l’argument décisif est celui de l’attestation de la volonté de M. Lambert. »
L’expression de la volonté de M. Lambert. Sur ce point, la famille est divisée. « C’est le « noyau dur » de l’argumentation que retient le Conseil d’Etat, même en constatant la division de la famille. L’argument est central au niveau juridique mais, en l’absence de preuves certaines, peut-on faire fi des déchirements familiaux d’interprétation dans la pratique médicale ? Le médecin n’a-t-il pas aussi une mission de « réconforter l’entourage » comme le dit l’article 38 du code de déontologie ? »
L’arrêt du Conseil d’Etat. « Il dit seulement que la décision prise par le médecin du CHU de Reims n’a pas été illégale. Les procédures et la qualification des arguments ont été respectées. Il ne dit pas qu’elle est bonne ou éthique : ce n’est pas son travail. Néanmoins, dans le Considérant 17, le Conseil d’Etat souligne que la décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles « doit se fonder sur un ensemble d’éléments médicaux et non-médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient ». Autrement dit, il insiste sur la nécessite de faire du cas par cas. Cette décision du Conseil d’Etat est importante pour lever les peurs quant au caractère systématique ou catégoriel d’une décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation artificielles ».
Le rôle de chacun dans cette affaire. « Le juge dit seulement si la décision est légale ou non. Il ne dit pas si elle est morale ou éthique. Le législateur doit donner un ensemble de règles juridiques, garantes du respect des personnes, de leur volonté, des interdits fondamentaux – en France: « Le médecin n’a pas le droit de donner délibérément la mort » (art. 38 du code de déontologie). Lorsque le patient n’est pas conscient, il revient au médecin de décider, après une procédure collégiale qui permet une pluralité de points de vue pour affiner le jugement, si tel traitement relève d’une obstination déraisonnable ou non. Le juge ne se substitue pas au médecin mais doit pouvoir contrôler la légalité de sa décision ».
La Cour européenne des Droits de l’Homme. « On peut souhaiter que la CEDH garde la même prudence que le Conseil d’Etat. Si elle statue sur la non contradiction de la décision du Conseil d’Etat avec la Convention, le cas pourra être revu par le nouveau médecin en charge. C’est le plus probable. Si elle statue sur la violation du « droit à la vie », c’est moins probable, il faudra revoir la décision du Conseil d’Etat. Si elle statue sur l’obligation de respecter la volonté de M. Lambert, elle mettra en cause la loi Leonetti ».
Du nouveau pour Vincent Lambert. « Un nouveau médecin est en charge du patient. Celui-ci pourrait décider de réévaluer le cas si la Cour ne décide pas d’une violation de la Convention. Ce serait une manière de se sortir d’une situation conflictuelle et difficile. Il pourrait décider de réévaluer le cas, de transférer éventuellement M. Lambert dans une autre unité, de prendre en compte autrement le désaccord familial, par exemple, en tentant une médiation. Il faut surtout éviter la collusion entre décision de la CEDH et arrêt simultané de l’alimentation et de l’hydratation artificielles. Ce serait entretenir, à tort, l’idée d’une décision juridique de « faire mourir » M. Lambert et les autres personnes dans le même cas. Il faudrait éviter cette confusion source de grandes inquiétudes. »