Mgr Rault : « Frère Christian a été le véritable catalyseur d’une profonde communion »

Très proche du Frère Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, Mgr Claude Rault, Père Blanc, évêque de Laghouat (Algérie), poursuit l’expérience de dialogue islamo-chrétien qu’ils avaient fondée ensemble en 1979. Entretien paru dans La Croix, le 6 septembre 2010.

En 1979, vous avez cofondé, avec le Frère Christian de Chergé, un groupe de réflexion islamo-chrétien, Ribâtel-Salam (« Le lien de la paix »). Dans quelles conditions ?

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En 1979, j’étais enseignant dans une école publique à Touggourt. Avec mes amis musulmans, nous avions des relations profondes, spirituelles, sur nos points de rencontre comme sur nos points de divergence. Et Frère Christian, à Tibhirine, vivait la même chose. L’un et l’autre, nous aspirions ainsi à un dialogue véritablement spirituel, pas uniquement interreligieux, théologique et dogmatique, mais plutôt fondé sur nos expériences. Un tel lieu, constitué pour « accrocher » ce type de partage, n’existait pas. Au printemps 1979, nous avons eu nos premières rencontres, au monastère de Tibhirine. Nous étions sept, religieux, religieuses et laïcs. Nous voulions rassembler des hommes et des femmes de bonne volonté, pas forcément des savants. Et travailler une approche intérieure de la tradition musulmane. C’était pour nous à la fois un groupe et une vocation, dans une approche volontairement positive et ouverte.
 

Comment avez-vous associé des musulmans ?

Ribât-el-Salam signifie « le lien de la paix ». Les musulmans pouvaient se retrouver dans ce titre. Fin 1980, nous avons donc accueilli des musulmans issus de la confrérie Alaya, créée dans les années 1920 à Mostaganem. Nous nous sommes réunis deux fois par an pour exprimer nos convictions profondes sur un thème (l’amour de Dieu, du prochain, les bases de notre foi…). Aujourd’hui, les rencontres se poursuivent et se déroulent à Alger. Nous sommes désormais une petite vingtaine, dont un tiers de musulmans, issus de diverses mouvances. Nous prions ensemble, nous partageons notre expérience de foi.
 

Quel était le rôle de Frère Christian au sein de ce groupe ?

Même s’il en fut l’âme au départ, Frère Christian n’a jamais revendiqué l’animation de ce groupe. Mais assurément, sa stabilité monastique l’ouvrait à plus d’intériorité. Il ne s’agissait pas d’une fondation du monastère, même si, lors de la première rencontre, lorsque j’ai demandé aux moines s’ils voulaient bien nous accueillir, l’un d’eux nous a dit : « Vous venez vous greffer ici sur le vieux tronc monastique. » Ils en étaient porteurs sans en être les initiateurs. Tibhirine est donc resté notre lieu de rencontre jusqu’à ce que ce lieu devienne vraiment dangereux, en 1993.
 

Quel souvenir précis gardez-vous du Frère Christian de Chergé ?

Lorsqu’il était prieur de Tibhirine, il était le véritable catalyseur d’une profonde communion. Avec ses frères, fortes personnalités issues de plusieurs monastères, faire cette unité n’était pourtant pas évident. Mais plus le danger approchait, plus la communion grandissait. Je l’ai profondément ressenti lors de deux soirées avec Christian, à l’abbaye de Tamié, en 1995. Ces soirées furent véritablement pour moi des soirées du Jeudi saint, son « discours après la Cène ».
 

Quelle lecture faites-vous de son testament ?

Pour moi, c’est une prière d’anthologie chrétienne du XXe siècle. Il l’a écrit lorsque le Groupe islamique armé (GIA) et l’Armée islamique du salut (AIS) ont déclaré que les chrétiens et les étrangers étaient des personnes cibles. Ce texte est profondément révélateur de son approche de l’islam, dans toutes ses dimensions, et aussi de sa relation à la non-violence, notamment par le pardon anticipé à celui qui lui donnerait la mort.
 

L’expérience de Tibhirine aura-t-elle une suite ?

Pour moi, Tibhirine est vraiment ne expérience unique. La meilleure des communautés ne pourra jamais revivre cette expérience d’unité, avec des liens si profonds tissés entre ces frères. On peut certes s’inspirer de l’esprit de Tibhirine, mais pas le reproduire.

Recueilli par Frédéric Mounier
La Croix, 6 septembre 2010

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