Apprendre à vivre en France

“Construire l’avenir avec les migrants et les réfugiés”. L’appel du pape François à l’occasion de la 108e journée mondiale du migrant et du réfugié célébrée ce dimanche 25 septembre retentit pour tous. Dans les diocèses, les services et les mouvements, nombreux sont ceux qui œuvrent sur ce chemin, en proposant notamment des cours de français, comme un premier pas ensemble vers plus de fraternité. Par Florence de Maistre

“Les cours proposés au Café français sont un aspect de la pastorale des migrants du diocèse de Metz. Ils forment une sorte de terreau de la rencontre avec les migrants et les réfugiés. À partir de là, nous pouvons développer beaucoup plus d’activités”, explique Corinne Maury, responsable de la pastorale des migrants du diocèse de Metz et coordinatrice du Café français. Dans les diocèses et les paroisses, en lien avec le Secours catholique ou d’autres œuvres de solidarité, de nombreuses structures proposent l’apprentissage de la langue française, comme l’outil premier d’intégration et le bagage indispensable de la vie quotidienne.

L’an dernier, le Café français à Metz rassemblait 200 personnes. Depuis le début du mois de septembre, il compte déjà 80 inscrits, dont des Afghans, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Albanais, des Tibétains, des Soudannais, des Nigériens et encore des Guinéens. “Les Camerounais sont de toutes nos activités, mais ils n’ont pas besoin de cours de français. Je pense aussi à un Algérien qui parle très bien mais qui ne sait ni lire ni écrire. Certains sont analphabètes dans leur propre langue. L’apprentissage est total”, précise Corinne Maury. Cinq niveaux de cours sont proposés, chacun pouvant suivre quatre à cinq cours par semaine.

En 2013, les Irakiens et les Syriens ayant rejoint Paris sont allés frapper à la porte de L’œuvre d’Orient qu’ils connaissent pour son engagement à leurs côtés, dans leurs propres pays. Face à cette nouvelle demande d’aide, l’Oeuvre décide d’accueillir de façon inconditionnelle toutes les personnes issues des pays avec lesquels elle travaille déjà : Irak, Syrie, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Iran et Ukraine. “Nous agissons en lien avec la pastorale des migrants du diocèse de Paris et de nombreux autres partenaires. Nous confions la personne réfugiée selon ses besoins, logement, question administrative, emploi ou autre, à une équipe d’une association amie. Nous comptions l’an passé 45 élèves dans nos cours de français, mais avec l’arrivée des Ukrainiens nous avons ouvert trois classes supplémentaires. Cette année, nous réunissons tous les élèves par groupes de niveau : un vrai challenge pour les intervenants”, indique Gabrielle Ott, responsable du soutien aux personnes réfugiées et migrantes à L’Oeuvre d’Orient. Et c’est un véritable parcours qui est proposé : rendez-vous tous les matins, sauf les mercredis et vacances scolaires. Après les cours de FLE (Français langue étrangère) autour d’un enseignant formé, un cours d’expression orale (conversation, théâtre, chant) est animé par des bénévoles.

Une redécouverte et un partage de compétences

Partage d’activités et d’amitiés

“Les cours français permettent d’atteindre un objectif précis : ils sont un facteur très important d’intégration. Les moments de convivialité sont tout aussi importants”, souligne Gabrielle Ott. Un atelier cuisine a été mis en place : au cours de la confection d’un plat, on apprend des nouveaux mots, on partage un moment d’échange. Chacun à son tour est invité à préparer une spécialité. Au cœur de ce bel espace de convivialité, les personnes en difficulté financière ou qui ne mangent pas à leur faim peuvent être repérées. Trois temps forts dans l’année sont également fêtés, l’occasion de petits spectacles dans une ambiance familiale. “Nous n’apportons pas d’aide concrète aux procédures et démarches effectuées par les personnes migrantes ou réfugiées, et travaillons en lien avec les autres associations. Mais dans ce temps d’attente indéfini et vide, sans accès à des activités, sans liens sociaux, cantonnées dans leur passé, nombre de personnes perdent leurs compétences, leurs énergies, leurs rêves. Nous proposons de faire de ce temps terrible et destructeur, une découverte de la langue et de la culture française, une redécouverte et un partage de compétences”, poursuit la responsable de la pastorale des migrants à Metz.

En amont de toute inscription au Café français, Corinne reçoit chaque futur élève dans son bureau à la maison diocésaine pour un entretien d’une demie heure au moins qui permet de situer chacun dans son parcours de vie et d’évaluer la situation. Autour d’un café, on essaie de se comprendre comme on peut. Un Ukrainien qui a appris le français via le Café français rend aujourd’hui des services de traducteur. “Une dame m’a dit aimer le sport, être championne de tennis. Je ne sais pas trop si elle était classée au non, elle semble avoir près de 50 ans, mais avant même de participer au cours de français, elle a pu aller voir des matchs ces jours-ci au Moselle Open”, sourit Corinne Maury. Elle reprend : “cet accueil crée des liens très particuliers, on se rend compte de toutes les compétences de chacun”.

Ateliers cuisine, couture, calligraphie, bricolage, jardinage, promenade, sortie culturelle, prière interreligieuse, participation aux initiatives du CCFD ou de la pastorale du tourisme, projets artistiques, etc. : toute activité est bonne pour joindre l’utile à l’agréable, le service à la rencontre. Une dame kurde qui éprouve beaucoup de difficultés dans l’apprentissage du français, excellente couturière, connaît parfaitement le mot “canette” et sait dépanner toutes les machines. Trente-cinq migrants ont participé à la confection de sur-blouses pour le personnel hospitalier et celui d’Ehpad. Ils sont nombreux aussi à préparer des petits sacs de Noël pour les aînés accompagnés par les Petites sœurs des pauvres. Nous les élevons en dignité, nous encourageons leurs compétences”, révèle la coordinatrice du Café français. La grande joie de la rentrée ? Les anciens sont venus en même temps pour se réinscrire, en apportant des gourmandises qui accompagnent très bien le café et de constater qu’en un an la langue française est devenue leur langue commune ! C’est l’enjeu qui est aussi à relever pour les groupes d’apprenants de l’Oeuvre d’Orient. Jusqu’aux arrivées l’an dernier des Iraniens, puis des Urkrainiens, l’arabe était la langue commune des élèves. Désormais l’effort pour parler français est double. “J’ai hâte de voir ce que cela va donner. C’est très intéressant du point de vue des apprentissages et du relationnel”, relève Gabrielle Ott.

Vivre l’accueil à la suite du Christ est notre moteur

Ouvrir ses portes

La patience est de mise face aux difficultés qui tiennent surtout aux différences culturelles. Certains messieurs ont, par exemple, du mal à accepter l’autorité de leur jeune enseignante de 24 ans. L’échange, les discussions, la connaissance plus fine de l’autre, permet de nouer une relation de confiance au fil du temps. “Vivre l’accueil à la suite du Christ est notre moteur ! La richesse des rencontres encourage notre mission et la rend passionnante. Quand on retourne la situation et qu’on essaie de se mettre à la place des réfugiés, ça fait froid dans le dos. Nous nous devons de les aider à vivre là où ils ont choisi d’aller”, confie Gabrielle Ott. Avant d’intervenir, les bénévoles ont parfois la peur au ventre, craignent une forme d’agressivité. Corinne reconnaît avoir déjà été confrontée à des différends entre apprenants pour causes ethniques. Ces situations se résolvent en petit comité. Ce qui attriste davantage la responsable de la pastorale des migrants à Metz, c’est le nombre de chrétiens et de paroisses qui laissent leurs portes closes, manquent d’ouverture d’esprit. “Je fais des rencontres qui bouleversent ma vie, nourrissent ma foi, me font grandir en humanité. Toutes ces personnes m’enseignent tellement sur le monde ! C’est sûr, mes lignes intérieures bougent”, partage-t-elle. Également engagée avec son mari au sein de JRS Welcome (Jesuit refugee service), elle a encore appris à lutter contre ses propres réticences, en accueillant des personnes directement sous son toit. Pour l’heure, cette journée mondiale du migrant et du réfugié est l’occasion de sensibiliser plus largement, de porter le message de l’amour de Dieu pour tous les hommes.

“Nous sommes très heureux de participer à la veillée de prière ce 24 septembre organisée par la pastorale des migrants du diocèse de Paris à la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre et de vivre ce temps fort et de nous retrouver en communauté élargie, en famille. Pour nous, c’est un évènement”, assure Gabrielle Ott. Au cours de la soirée, présidée par Mgr Michel Guégen, vicaire général du diocèse de Paris, un couple d’Irakiens chantera en araméen et en arabe. À Metz, la journée se transforme en trois jours de pèlerinage du 23 au 25 septembre, avec ce projet inédit de découverte du chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Moselle. Le dimanche matin, Mgr Jean-Pierre Villemin, évêque auxiliaire du diocèse de Metz, accueillera tous les participants en la cathédrale Saint-Étienne de Metz pour un temps de partage. “Je suis passée dans tous les groupes pour expliquer la proposition avec mes mains, mes pieds et des images ! Nous avons bien ri. Quand l’humour arrive à entrer dans un cours, c’est merveilleux !”, s’exclame Corinne. Quant à l’idée, elle revient à une bénévole profondément athée, très mobilisée auprès des migrants et de la pastorale diocésaine, dont elle apprécie particulièrement l’esprit d’accueil, de tolérance et de dignité.

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