Loi confortant le respect des principes de la République : que dit l’Église ?

Conseil constitutionnel

La loi confortant le respect des principes de la République (CRPR) aussi dite « Loi séparatisme » a été promulguée le 24 août 2021 et publiée au Journal officiel le lendemain. Cette loi renforce les modalités du contrôle de l’État sur les activités des associations cultuelles et les lieux de culte. Les représentants des trois églises du christianisme : la Conférence des évêques de France (CEF), la Fédération protestante de France (FPF) et l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF) ont établi un recours contre certaines dispositions de la loi séparatisme. Le Conseil constitutionnel  a rendu sa décision le 22 juillet 2022. Quelles conséquences pour les églises chrétiennes ? Et pour l’Église catholique ? Éclairage sur les grands enjeux de ce texte législatif.

Que reprochent les églises chrétiennes à la Loi séparatisme ?

Dans une tribune intitulée : « Les chrétiens inquiets du projet de loi séparatisme » publiée le 10 mars 2021, les trois représentants des cultes : Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France ; le Pasteur François Clavairoly, alors président de la Fédération protestante de France et le Métropolite Emmanuel Adamakis du Patriarcat œcuménique de France avaient souligné leur opposition à certaines dispositions de la loi qui portant atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d’association, d’enseignement et même à la liberté d’opinion.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, également ministre des Cultes, a défendu en 2021 devant les assemblées parlementaires la « loi séparatisme » devenue le 24 août 2021 la « Loi confortant le respect des principes de la République » (CRPR). La loi a été votée à l’issue d’une discussion animée à laquelle les cultes chrétiens ont participé pendant plusieurs mois.

En quoi la décision des Sages vendredi 22 juillet 2022 est-elle importante ?

Les instances chrétiennes de France ont déposé le 22 février 2022 des recours assortis de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’État. Par une décision du 18 mai 2022, celui-ci a décidé de les transmettre au Conseil constitutionnel pour que ce dernier puisse se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions légales contestées.

La décision du 22 juillet 2022 marque la fin du débat autour de la réforme du régime des cultes en France qui modifie substantiellement la loi  du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État et celle du 2 janvier 1907 sur l’exercice public du culte, socles du droit des cultes en France, fondé sur le principe de la séparation des Églises (cultes) et de l’État ainsi que le respect des libertés fondamentales de nature constitutionnelle, notamment les libertés d’association, de conscience, de religion et de culte, et de réunion. Il convient de préciser que cette démarche s’inscrit en cohérence avec la tribune publiée en mars 2021 suivi du dépôt en juillet 2021 d’une contribution extérieure devant le Conseil constitutionnel (accessible sur son site) alors que ce dernier avait été saisi par différents groupes parlementaires, contestant la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi votée (en particulier, concernant le contrat d’engagement républicain et l’autorisation pour l’instruction en famille). Toutefois, le recours ne portait pas sur les dispositions relatives au culte, et le Conseil n’a pas souhaité s’en saisir d’office. Il a rendu sa décision le 13 aout 2021 et la loi a été promulguée le 24 aout 2021.

Les décrets d’application de la Loi confortant le respect des principes de la République ont été publiés en décembre 2021. Quels recours ont été établis auprès du Conseil constitutionnel à propos de ce texte législatif ?

Pour aller jusqu’au bout de leur démarche, les instances chrétiennes ont aussi déposé des recours à l’encontre de deux des décrets d’application en saisissant le Conseil d’État fin février 2022. Ces recours étaient assortis de deux Questions Prioritaires de Constitutionnalité « QPC » portant sur plusieurs articles de la loi susceptibles d’être entachés d’inconstitutionnalité. Le Conseil d’État statue sur la légalité des décrets d’application tandis que le Conseil constitutionnel statue sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi. Une fois que le Conseil constitutionnel aura statué, le dossier reviendra devant le Conseil d’État qui devra statuer sur la légalité des décrets d’application dont il a été saisi.

Quels sont les motifs de ce recours ?

Deux séries d’articles sont particulièrement visés :

En premier lieu, notamment l’article 69 de la loi du 24 août 2021 qui modifie l’article 19-1 de la loi du 9 décembre 1905, instaurant l’obligation pour toutes les associations cultuelles de solliciter tous les 5 ans la qualité cultuelle à laquelle sont attachés des « avantages propres » non définies par la loi. Il peut s’agir d’avantages fiscaux, comme la réduction d’impôt pour les donateurs, ou l’exonération de la taxe foncière pour les édifices du culte. La loi étend de manière significative les pouvoirs du préfet en multipliant les obligations administratives soumises désormais à son contrôle, le préfet disposant désormais de la capacité de se prononcer systématiquement sur la qualité cultuelle, c’est à dire de décider ce qui relève du culte ou ce qui n’en relève pas alors même que selon l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, « l’Etat ne reconnait aucun culte« .  La philosophie de la loi de 1905 repose sur une non-immixtion des pouvoirs publics dans l’organisation interne des cultes et vice et versa. Mais la loi du 24 août 2021 réintroduit des outils à la faveur de l’ingérence des pouvoirs publics dans l’organisation interne des cultes en optant pour un arbitrage par l’autorité administrative plutôt que par le juge.

En deuxième lieu, l’article 73 de la loi du 24 août 2021 qui lui modifie l’article 4, et crée les articles 4-1 et 4-2 dans la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes En effet, la loi du 2 janvier 1907 prévoit que le culte peut s’exercer selon trois modalités, soit au moyen de l’association cultuelle loi 1905, soit dans le cadre de l’association loi 1901, soit dans le cadre de la loi de 1881 sur la liberté de réunion. Mais désormais le choix du cadre de l’association loi 1901 est beaucoup plus contraignant car la loi du 24 août 2021 a étendu à ces associations dites mixtes (activités cultuelles en plus des activités sociales par exemple) certaines obligations de la loi de 1905 tout en imposant d’autres obligations propres. Pourraient ainsi être qualifiées d’associations mixtes des associations exerçant des activités de scoutisme, ou venant au soutien de l’entretien d’un orgue, d’une église ou d’un temple. Les contraintes sont telles qu‘il n’est pas sûr que toutes les associations ainsi qualifiées pourraient y survivre.

Pourquoi les communautés chrétiennes exercent-elles un recours commun ?

Parce que les églises chrétiennes considèrent que les implications de la loi engendrent une grave atteinte à la liberté de culte. Avec le régime de la loi de 1905 et de la loi de 1907, chaque association cultuelle pouvait exercer le culte selon ses spécificités, que ce soit au sein d’une association cultuelle, d’une association diocésaine, d’une association de loi de 1901 ou encore dans le cadre de la liberté de réunion issue de la loi du 30 juin 1881. Si les cultes chrétiens ne nient pas la nécessité et la légitimité d’avoir à lutter contre les potentielles menaces séparatistes, cela ne nécessitait pas de renverser à ce point les principes de fonctionnement qui sous-tendent la loi du 9 décembre 1905 et celle du 2 janvier 1907, en générant des limitations sévères de la liberté de culte jusqu’à présent garantie par la constitution.

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