Soirée bioéthique aux Bernardins : intervention de Gaelle et Bertrand Lionel-Marie

Lundi 16 septembre, la Conférence des évêques de France a livré ses positions sur le projet de loi bioéthique lors d’un événement au Collège des Bernardins (Paris) le lundi 16 septembre à 18h30, en présence de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, responsable du groupe de travail sur la bioéthique, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, Président de la CEF et Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris.

Retrouvez les interventions de Bertrand et Gaëlle Lionel-Marie, tous deux avocats et responsables nationaux du secteur bioéthique des Associations Familiales Catholiques (AFC).

16 septembre 2019 : Bioéthique, les positions de la Conférence des évêques de France (CEF) au Collège des Bernardins. Intervention de Bertrand et Gabrielle LIONEL-MARIE, qui témoignent. Paris (75), France.

Chers frères évêques, chers pasteurs, chers frères et sœurs,

Le sujet de l’assistance médicale à la procréation et des questions éthiques qu’elle soulève, notamment des nécessaires limites à poser aux techniques, nous pouvons dire qu’il nous concerne et nous touche de près.

En effet, mariés depuis 24 ans, nous n’avons pas d’enfant et ce n’est pas un choix.

C’est une épreuve et aussi une souffrance.

En revanche, ce qui est un choix, c’est de décider d’être heureux, même sans enfant, et d’être père et mère, autrement.

Nous nous aimons, c’est déjà beaucoup, et nous sommes reconnaissants pour tous les frères et sœurs que Dieu a mis sur notre chemin. Si nous formons un couple médicalement infertile, nous n’avons pas le sentiment d’avoir raté notre vie et nous espérons être socialement féconds.

(En bref, on peut être heureux, même sans enfant, et ce ne sont pas nos frères évêques qui vont nous contredire, je l’espère ! )

Ce propos liminaire étant posé, nous nous limiterons à 3 observations juridiques nécessairement sommaires dans le temps qui nous est imparti.

Première observation : Le faux argument de l’égalité

L’argument central de ceux qui défendent l’ouverture de la « PMA à toutes » est celui de l’égalité.

Cet argument est infondé en droit pour la bonne raison que les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe, de sorte qu’une différence de traitement (en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit) n’est pas contraire au principe d’égalité[i] (par exemple, CE, n°421899, 28.09.2018, Décision du Conseil constitutionnel N° 2013-669 du 17 mai 2013[ii]).

La reproduction de l’espèce humaine étant sexuée et circonscrite dans le temps, un couple de femmes ne peut pas avoir d’enfant au même titre qu’un couple homme – femme qui n’est plus en âge de procréer. Il n’y a pas rupture d’égalité.

En appeler à l’égalité est donc, erroné et participe même, je dirais, d’une forme de manipulation de l’opinion publique. En revanche, entre un enfant qui pourra dire « mon papa » et celui qui ne le pourrait pas, il y aurait bien une rupture d’égalité.

Comment, enfin, soutenir sérieusement et garantir juridiquement que cette invocation du principe d’égalité ne débouchera, jamais, comme cela est affirmé aujourd’hui, sur la légalisation par la République françaises, des mères-porteuses, à la demande de couples ou d’hommes célibataires ?

Seule une constitutionnalisation de l’indisponibilité du corps humain serait de nature à nous garantir contre une telle menace. Cela est nécessaire et juridiquement possible. Une proposition de loi constitutionnelle du 12 septembre 2013 est d’ailleurs déjà prête. Cela nécessite simplement du courage politique !

(Dans l’immédiat, la Cour de cassation saura-t-elle résister à la demande de transcription intégrale de l’acte de naissance étranger dans l’état civil français pour les enfants nés de mères porteuses à l’étranger? A défaut, l’interdiction française de la pratique des mères porteuses serait, encore davantage, vidée de son efficacité).

Deuxième observation : L’intérêt supérieur de l’enfant nous oblige

La Convention internationale des droits de l’enfant (du 20 novembre 1989, ratifiée par la France en 1990) stipule en son article 3 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (…) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

Cette convention s’est vue reconnaître un effet direct par le Conseil d’état en 1997[iii] et par la Cour de cassation en 2005[iv], elle a donc une valeur supra-législative. En d’autres termes, elle est supérieure à la loi.

Cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’est pas bien définie en droit, vise à protéger l’enfant qui est par essence, fragile et vulnérable, en faisant prévaloir son intérêt sur celui des adultes.

L’article 7§1 de la CIDE stipule, en outre, que tout enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

Il résulte, donc, d’une lecture combinée des articles 3 et 7§1 de la CIDE qu’il est de l’intérêt d’un enfant de connaître ses parents et d’être élevé par eux, donc de connaître son père et d’être élevé par lui.

L’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires et aux couples de femmes et l’institution d’une filiation bancale, fondée sur la seule volonté des adultes, viole à l’évidence ces dispositions, en faisant prévaloir la volonté des adultes sur l’intérêt supérieur des enfants.

En l’état du projet de loi, il est étonnant de constater que l’intérêt de l’enfant à naître n’est évoqué qu’en ce qui concerne les seules conditions d’âge requises pour accéder à la procréation médicalement assistée [lesquelles seront fixées par décret en Conseil d’Etat et seront probablement, comme dans les faits aujourd’hui, au maximum de 43 ans pour la mère et de 59 ans pour le père – si homme il y a -], comme s’il était de l’intérêt de l’enfant d’avoir des « parents jeunes » (ou plutôt pas trop vieux !) mais qu’il était parfaitement indifférent qu’il ait ou non un père…

Les enfants privés de père par la loi pourront, au demeurant, demander réparation du préjudice subi de ce fait : un tel préjudice moral, lié à l’absence définitive d’un père, étant réparable par un Juge[v] (comme cela a été jugé par la Cour de cassation le 14 décembre 2017).

(Il n’est pas inutile enfin de préciser que l’article 24 al. 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 7 décembre 2000 stipule que « tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents…»).

Pour conclure sur ce point, permettez-nous de citer un court extrait d’un dramaturge polonais qui fait dire à sa jeune héroïne :

« Au printemps je cueillais des fleurs pour quelqu’un, pour quelqu’un, pour quelqu’un…

Papa n’était pas auprès de moi ; Papa n’était pas sur la terre.

Je veux mon papa sur la terre, près, tout près de mon cœur.

Je dois le trouver, l’arracher de l’image immobile, et de tout mon espoir donner naissance, donner naissance, donner naissance… ».

 

Vous aurez reconnu peut-être un certain Karol Wojtyla dans sa pièce intitulée Rayonnement de la paternité (1964).

Troisième observation : La dignité de l’homme maltraitée

Le principe de dignité est un principe à valeur constitutionnelle (DC 1994-343/344 du 27 juillet 1994 confirmée par DC 2013-674 du 1er août 2013) et constitue la pierre angulaire du droit de la bioéthique, et plus largement d’ailleurs des droits de l’homme.

Le projet de loi en l’état bafoue, à plusieurs titres, ce principe de dignité.

Qu’en sera-t-il, en effet, de la dignité de l’enfant intentionnellement privé de père et amputé de sa lignée paternelle ?

Qu’en sera-t-il de la dignité de l’homme lorsqu’il sera réduit à être un fournisseur de ressources biologiques selon les termes mêmes du CCNE dans son avis 126 du 15 juin 2017 ?

Qu’en sera-t-il de la dignité de la femme à laquelle son patron aura laissé accroire que la conservation de ses ovocytes lui garantira d’avoir un enfant une fois sa carrière bien lancée ?

Qu’en sera-t-il de la dignité de l’homme lorsque le principe de gratuité des éléments du corps humain sera ébranlé du fait de la rareté des gamètes ?

Qu’en sera-t-il enfin de la dignité de l’homme si la loi favorise les dérives eugéniques en permettant la sélection des donneurs, des gamètes et des embryons et si elle autorise la création d’embryons transgéniques et chimériques ?

L’heure est, donc, grave. Le modèle bioéthique français est en train de sombrer, corps et âme.

*

Au soir de la vie, nous serons jugés sur l’amour.

Dieu nous demandera : qu’as- tu fait de ton frère, du plus petit et du plus fragile d’entre les miens, du petit d’homme?

Lui répondrons-nous : mais Seigneur, nous avions d’autres choses à faire,  et puis à quoi bon?

Ou bien lui répondrons-nous :

Seigneur, tu le sais, nous étions bien démunis mais nous nous sommes formés et, comme demandé par le Président de la République ici même aux Bernardins, nous avons été questionnants lors des Etats généraux de la bioéthique. En vain !

Alors nous avons décidé d’être intempestifs, nous avons dit NON ! NON à ce projet de loi injuste !

Nous avons interpelé, à temps et à contretemps nos parlementaires, et même nos ministres, nous avons prié et crié vers Toi et, souviens toi, Seigneur, le 6 octobre 2019, nous avons été de cette foule immense de femmes et d’hommes de bonne volonté qui ont marché pour défendre une société à hauteur d’Homme et pour promouvoir un monde meilleur, PAS le Meilleur des mondes !

[i] Les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe. Il résulte des dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique qu’en réservant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples composés d’un homme et d’une femme, vivants, en âge de procréer et souffrant d’une infertilité médicalement diagnostiquée, le législateur a entendu que l’assistance médicale à la procréation ait pour objet de remédier à l’infertilité pathologique d’un couple sans laquelle celui-ci serait en capacité de procréer. La différence de traitement, résultant des dispositions critiquées, entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit et n’est, ainsi, pas contraire au principe d’égalité. Il en résulte que la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

 

[ii] que les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ; que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;

 

 

[iii] CE, 22 septembre 1997, Mme Cinar, n°161364 ;

[iv] Cass. 1ère civ., 18 mai 2005, n°02-20.613 ;

[v] Civ. 2ème, 14 décembre 2017, n°16-26.687, JCP G n°9-10, 26 février 2018, doctr. 262, Pr. P. Stoffel-Munck: “A l’heure où l’on débat de l’opportunité de permettre le recours à la PMA en dehors de toute présence paternelle, cette reconnaissance de la souffrance existentielle liée à l’absence de père mérite d’être méditée” ;

Mais attendu que, dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu ; qu’ayant estimé que Zachary C… souffrait de l’absence définitive de son père décédé dans l’accident du […], la cour d’appel a caractérisé l’existence d’un préjudice moral ainsi que le lien de causalité entre le décès accidentel de Abdallah C… et ce préjudice ;

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