Des communautés monastiques en conversation autour de Laudato Si’

Du 21 au 25 janvier 2019, quinze communautés se sont rencontrées au Carmel de Mazille. Le noyau de ce groupe, issu d’une session sur la permaculture au Bec-Hellouin en 2017, s’est élargi par la suite de façon fortuite au gré des contacts et des disponibilités.

Carmel_paix_Mazille_4La rencontre de Mazille avait été organisée par Elena Lasida (1), Régis Dubourg (2), Fr. Joseph de l’Abbaye de Maylis et Fr. Pierre-Yves de l’Abbaye d’Hauterive. Depuis presque deux années, une réflexion autour de l’encyclique Laudato Si’ du Pape François, parue en 2015, et de son impact sur la vie communautaire et monastique aujourd’hui, unissait plusieurs moines et moniales, ainsi que des membres du Chemin Neuf et de l’Emmanuel, consacrés ou laïcs, dans un dialogue d’amitié. Cette « rumination fraternelle » s’était concrétisée par l’idée que des communautés se visitent «en chaîne», les unes puis les autres. Les visiteurs étaient deux : un stagiaire rallié au projet, étudiant en économie solidaire et sociale, à chaque fois accompagné d’un membre de la communauté visitée précédemment. Les communautés s’étaient préparées à la visite en réfléchissant à partir d’un questionnaire, reprenant des thématiques essentielles de Laudato Si’ (gratuité, créativité, enthousiasme, communion, gouvernance). Ces visites fraternelles furent un premier temps important pour prendre la mesure de la pertinence de Laudato Si’ sur les fonctionnements communautaires ad intra et ad extra. La rencontre de Mazille visait à mettre en commun les fruits de ces visites, et à aller plus avant dans le processus de réflexion enclenché par ce mouvement.

Dépassant largement le thème de la permaculture ou la question du réchauffement climatique (même si ces réalités, chacune signe des temps en un sens, restent présentes à l’esprit de tous), ce mouvement de réflexion commune, né un peu au gré des questionnements des uns et des autres et des initiatives sur l’écologie intégrale, monastiques ou communautaires, a permis une rencontre assez exceptionnelle à plusieurs niveaux. Exceptionnelle par la diversité des communautés représentées, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont différentes les unes des autres (hommes/femmes, communautés nouvelles/ communautés d’ancienne tradition, catholiques/réformés, consacrés/laïcs). Exceptionnelle aussi par le type de représentation, puisque sont venus le supérieur et un membre de chaque communauté. Exceptionnelle enfin par la manière d’aborder les problématiques de la vie communautaire telles qu’elles se présentent aujourd’hui, en partant de Laudato Si’, dans une sorte de «remue-méninges» à l’écoute de l’Esprit Saint. Cette rencontre a ouvert aux participants des pistes de réflexion nouvelles très fécondes.

Les trois vœux monastiques

30 août 2016 : Soeur Anne-Delphine et Soeur Dorothée récoltent des haricots verts dans le jardin potager du monastère de l'Annonciation à Prailles (79), Nouvelle-Aquitaine, France.

La réflexion s’est déroulée sur trois axes, chacun mettant en rapport un des trois vœux monastiques avec un équilibre particulier : l’obéissance en rapport avec l’équilibre singulier / collectif ; la conversion des mœurs (ainsi la tradition monastique nomme-t-elle les propos de chasteté et de pauvreté) en rapport avec l’équilibre gratuit /utile ; la stabilité (et la clôture) en rapport avec l’équilibre intérieur/extérieur.

La vie monastique, aujourd’hui comme hier, a un témoignage à donner au monde, mais elle a surtout à être elle-même, dans un processus de réception vivante de la tradition. Le Pape François a singulièrement enrichi le corpus de la Doctrine sociale de l’Église avec Laudato Si’, avec notamment les trois « clés » (dégagées par Elena Lasida) – tout est lié, tout est donné, tout est fragile –, et avec la réflexion sur les quatre relations constitutives de la personne humaine : à soi, aux autres à la nature, à Dieu.

Ces clés permettent d’éclairer beaucoup de problématiques de la vie monastique – de la vie humaine, tout simplement ; la vie monastique est un «lieu paradigmatique de l’écologie intégrale», c’est-à-dire que dans le microcosme que forme un monastère, l’écologie intégrale, celle qui intègre les quatre dimensions de la personne humaine, peut se vivre de manière très unifiée. Les monastères ne sont pas des lieux de rêve à l’abri de tout problème : la vie cénobitique est confrontée aux problèmes du vieillissement, du manque de vocation, des forces de dispersion (pensons aux chances et aux risques apportés par Internet), des préoccupations économiques, de la fragilité des jeunes. Le monde actuel frappe à nos portes : quelle porosité accepter ? Quel équilibre entre aide extérieure et autonomie ? Quelle place donner aux talents personnels, au besoin plus grand aujourd’hui de temps de détente, seul et en commun ? Quelles relations avec les éventuels employés ? Quelle gestion de la cuisine ? Rentabilité et gratuité, respect des plus lents et processus nouveaux, où se situe l’équilibre ? Quel lien à Dieu, à la création, aux autres, les magasins des monastères reflètent-ils ? Comment intégrer économie et vie de prière ? … pour ne citer que quelques questions abordées. Laudato Si’ apporte un éclairage nouveau et fort pour affronter ces problématiques : favoriser avant tout ce qui crée du lien, ce qui est processus de vie, accueillir les fragilités, se laisser déplacer par l’autre, passer du « faire pour » au « faire avec » : toutes thématiques chères au Pape François qui permettent de repenser l’ADN de la vie cénobitique d’une façon à la fois très traditionnelle, parce qu’en phase avec l’humanité profonde et avec la création, et nouvelle.

Dans un échange mutuel porté par la prière et la lectio divina, les participants ont pu mettre en commun leurs expériences, leurs questions, leurs problèmes ; en quelque sorte, ils ont pu se féconder mutuellement, faire l’expérience à la fois que la vie monastique est une en son fond et diversifiée en ses pratiques, et que ces diversités nous enrichissent. Il n’y a pas de modèle unique, mais il y a une forte fraternité à vivre à l’intérieur des monastères, entre eux, et à l’extérieur avec le réseau de personnes qui gravitent autour de chaque communauté (hôtes, amis, employés, bénévoles, clients, fournisseurs, personnes en précarité…). L’image peut-être la plus parlante pour exprimer ceci, puisqu’il s’agit d’écologie intégrale, est celle de la plante qui entretient avec son entourage des relations de type symbiotique, sans se déplacer elle-même : ainsi chaque monastère peut être le nœud vivant de multiples échanges, portant témoignage de la charité du Christ, en vivant intensément son identité monastique.

Communautés ayant participé à ce projet :

Bénédictins de Maylis, Landévennec, La Pierre-qui-vire et Fontgombault, bénédictines de Martigné-Briand et Eyres-Moncube, cisterciens d’Hauterive en Suisse et Lérins, cisterciennes de Boulaur, trappistes de Tamié et Bellefontaine, trappistines d’Échourgnac, Soeurs issues de la Réforme de Grandchamp, Communauté du Chemin Neuf représentée par Melleray et Les Dombes, Carmélites de Mazille. Le groupe porte maintenant le nom de « Communion Laudato si’. Des communautés en chemin de conversion écologique ». Cette Communion a le désir que le processus initié dans chaque communauté puisse profiter à d’autres ; la conversation a été ouverte, elle tend à continuer la route en s’élargissant.

  1. Professeur d’économie et chargée “Écologie et société” à la Conférence des Evêques de France
    2. Directeur général du réseau des Chambres d’Agriculture et membre de la Communion du Chemin Neuf

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