« Only the river flows », film de Wei Shujun et « Santosh », film de Sandhya Suri

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 28 août 2024, OFC 2024, n°27 sur « Only the river flows », film de Wei Shujun et « Santosh », film de Sandhya Suri

L’été, une saison propice, aussi, au cinéma

On peut apprécier de fréquenter les salles obscures en plein été ; lorsque la température extérieure dépasse les 30°, les salles de cinéma offrent une fraicheur bienfaisante. Mais le motif premier pour lequel aller au cinéma, ce sont les films ! Chacun les choisit en fonction de ses goûts… on trouve un peu tout ce que l’on veut.
Je me permets ici de vous conseiller deux films. Certes ils n’appartiennent pas à la catégorie des blockbusters – ceux-ci n’ont pas besoin de moi pour trouver leur public. Et puis je confesse regarder avec quelque condescendance ou bien les films américains de super-héros, ou bien les comédies à la française, formatées pour passer à la télévision en première partie de soirée ; ce n’est donc pas de ces films que je vais parler.

Le cinéma donne de découvrir la richesse de la filmographie mondiale. D’ailleurs, sans négliger la qualité de certains films français, pour ce qui est des fims étrangers, et on le comprend aisément, ceux qui sont diffusés à l’extérieur de leur pays sont tout le même le haut du panier de la production.
Le mois de juillet permet ainsi de découvrir deux films policiers, l’un chinois, l’autre indien (oui, il n’y a pas que Bollywood dans ce pays).

Only the river flows est le troisième film de Wei Shujun. Tourné en 2023, il nous plonge dans la Chine des années 1990. Certes, il n’a pas la qualité de quelques excellents fims chinois un peu plus anciens et que je recommande, ils sont facilement accessibles en DVD : Black coal, Une pluie sans fin et Le lac aux oies sauvages, ou encore Limbo que je conseillais il y a un an. Vraiment, d’excellents films.

Ici, un policier d’une petite ville chinoise enquête sur le meurtre d’une vieille femme dont le corps est retrouvé au bord d’une rivière. Compte moins l’énigme policière que le personnage de ce policier qui se perd, dans l’enquête peut-être, surtout en lui-même. Les mondes imaginaires se croisent avec le réel ; les brumes, la pluie, l’obscurité qui sont la « météo » du film expriment l’âme de celui que l’on ne saurait regarder comme un héros. Théâtre d’ombres – au sens le plus direct de cela : l’équipe d’enquêteurs s’installe sur la scène d’un cinéma qui a dû fermer : le public déserte les salles – Only the river flows fait passer du réel au rêve, perd ses personnages comme ses spectateurs dans une réalité floue, désespérante, où l’on cherche, sans vraiment chercher car l’on ne peut que s’égarer.
Image d’une Chine sans espoir ? « Je voulais mieux comprendre cette décennie où je suis né, pour mieux comprendre la Chine aujourd’hui », explique son réalisateur.

Je souligne la précision quasi-documentaire qui dresse le portait de cette petite ville dans les années 1990 ; la qualité de l’interprétation ; la qualité de l’image (Wei Shujun a fait le choix de la pellicule 16mn) ; aussi les mouvements de caméra, dont il sait ne pas abuser. Et puis, ainsi que je le dirai pour le film suivant, qu’il est précieux de découvrir d’autres mondes que le nôtre. Ici, la Chine. Les artistes, je crois mieux que les seuls reportages d’actualité, font accéder à la profondeur des choses, alors que notre simple regard peine à dépasser leur enveloppe.

Après la Chine, l’Inde ! Ce mois de juillet voit la sortie sur les écrans de Santosh de Sandhya Suri. Son titre est le nom de son héroïne, une jeune-femme qui approche les trente ans et dont le mari, policier, a été tué en assurant le service d’ordre dans une émeute. Selon une loi avérée, la veuve peut occuper le métier qu’exerçait son mari, Santosh devient donc policière. Le film est le beau portrait de cette femme mais aussi de l’Inde contemporaine. La police n’hésite pas à employer la méthode forte, jusqu’à tuer un suspect, certainement innocent. Surtout, on voit un pays divisé, avec les dalits, dénonçant le mépris et les injustices dont ils se disent victimes, aussi les groupes religieux, dont la minorité musulmane.


Comme dans le film chinois, il y a une intrigue policière, le corps d’une très jeune dalit est retrouvé mort dans un puits, après avoir été violée et assassinée. Santosh mène l’enquête, guidée par sa supérieure.

A un moment du film, Santosh regarde une vidéo sur son téléphone, une mise en concurrence des polices chinoise et indienne… au profit de la police chinoise, bien évidemment ; les images sont très drôles. Une heureuse respiration dans un film qui ne nous épargne pas les tensions et violences qui marquent les relations entre les sexes et les groupes. Santosh, qui prend à cœur son métier, qui mène l’enquête, se trouve confrontée aux a priori et jugements de castes et de classes, jusqu’à se trouver emportée dans le tourbillon de violence d’une scène d’interrogatoire, menée en dehors de tout cadre légal. Elle n’aura d’autre choix que de partir, sa cheffe devenant comme le miroir de ce qu’elle pourrait à son tour devenir.

Là encore, un beau et bon film qui ouvre au-delà de soi, de ses repères, de son cadre européen. Il est nécessaire le cinéma lorsqu’il nous fait voyager et ouvre au-delà de son quartier ou de son village. A l’heure où certains n’ont pour ambition que de « remettre l’église (ou le bureau de poste, ou l’école) au milieu du village », il est heureux que la culture ouvre les esprits. Cependant, lorsque je regarde sur internet où il est possible de voir les films que je viens de recommander, je remarque que, si vous n’habitez pas une grande ville, ceci est presque impossible. Les habitants des villes, moyennes et petites seraient-ils condamnés aux blockbusters américains et aux comédies franchouillardes ? On ne s’étonnera pas alors des conséquences.

+ Pascal Wintzer, OFC