Slalom de Charlène Favier

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 23 juin à propos du film « Slalom » de Charlène Favier.

Charlène Favier signe avec Slalom un premier long-métrage prometteur. Ce film aborde de manière directe des thèmes sensibles tel que le rapport au corps, les abus sexuels, l’exigence sportive, l’emprise psychologique et le rapport de domination d’un entraîneur sur une adolescente.

C’est l’histoire de Lyz (Noée Abita), 15 ans, qui intègre la prestigieuse section ski-étude du lycée de Bourg-Saint-Maurice (Savoie), réservée à la future élite du ski français. Fred (Jérémie Rénier), l’entraîneur et ancien grand champion, a la charge de former le groupe d’adolescents aux championnats de France et d’Europe, et rêve pour certains d’entre eux des Jeux olympiques. L’entraîneur, aux méthodes dures prend Lyz sous son aile et l’emmène en direction de la victoire. La compagne de Fred (Marie Denarnaud) supervise les études des sportifs, et jusque-là tout se passe à peu près normalement. Puis la relation dérape. Au départ, il n’y avait pas de cadre clair, posé et défini dans la relation entre le coach et une adolescente. Quant aux parents de Lys, ils sont plus occupés par leurs vies personnelles que par leur fille.

Dès le début du film, les mains qui se posent sur les hanches de la jeune fille, d’abord pour contrôler la posture, deviennent chargées d’une certaine sensualité. L’ignorance de Lyz sur la sexualité la rend plus fragile, permettant à Fred de resserrer l’étau jusqu’à l’agression sexuelle. Charlène Favier veut essentiellement parler de ce rapport de domination dans le milieu sportif et les dérives qui en découlent. Son but n’était pas d’être manichéenne et de blâmer qui que ce soit mais de montrer une situation qui est déjà arrivée par le passé à beaucoup de personnes dans le secteur sportif notamment. Les silences de l’entourage de la victime conduisent aussi au drame vécu par Lyz.

La réalisatrice nous offre des plans magnifiques sur des décors montagneux où elle a elle-même grandi (Val d’Isère) et les courses sont parfaitement rythmées et bien cadrées. Ces images de montagnes enneigées permettent au spectateur des pauses, dans un scénario dense et rude. Elles contribuent à être davantage impliqués dans cette histoire. Le travail du son et du bruitage sonore ainsi qu’une excellente interprétation des acteurs, spécialement la jeune Noée Abita, tout en jeux de regards, favorisent largement la réussite de ce premier film.
La réalisatrice ne fait pas de Fred un simple prédateur – ce qui peut être le cas en milieu sportif, à en croire les experts. Elle préfère explorer les ressorts psychologiques qui conduisent l’entraîneur et son élève dans le tourbillon d’une relation toxique.
« Le cinéma, est un médium idéal pour écouter, regarder, deviner ce qui n’est jamais dit, révéler les dieux et les démons qui se cachent au fond de nos âmes. Après mon adolescence chaotique, c’est le cinéma qui m’a permis de plonger à l’intérieur de moi pour sublimer mes traumatismes », explique Charlène Favier. Adolescente, Charlène Favier fut elle-même victime de violences sexuelles dans le milieu du sport. Ce film a aidé la jeune femme, passée par l’atelier scénario de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), à se libérer de ce qu’elle avait vécu et fait office de catharsis. Slalom pose assez bien le problème de la pédocriminalité. Slalom peut être déclencheur d’une prise de conscience. Fallait-il pour autant montrer longuement et intimement la relation sexuelle entre Fred et Lyz ?

Ce film éclaire le processus qui conduit à une relation toxique. Voici trois éléments à considérer :

• Une attente affective. Lys souffre de l’absence des parents. En conséquence, elle est conduite à une relation affective avec cet entraîneur, sans avoir cherché à aguicher. Son objectif est seulement de remporter la victoire et d’aller aux Jeux olympiques. Dès le début du film on voit l’entraîneur prendre possession du corps de Lyz. Son regard pénètre dans l’intimité de l’adolescente. À l’âge de la puberté et de la naissance de la sexualité, Lyz semble démunie par rapport au désir qui naît en elle. L’entraîneur incarne tout au long du film une sorte de figure paternelle (le père est totalement absent), qui l’éduque, mais en même temps s’approprie son corps.
• Charlène Favier décrit ensuite la fascination pour cet homme qui va conduire Lyz à la première place du podium. Elle reçoit de sa part des cadeaux (sac de sport, skis). Comment ne pas se sentir flattée qu’un homme daigne poser les yeux sur elle ? Lyz n’est alors plus totalement maîtresse de son corps, qu’elle va entraîner à l’excès pour correspondre aux attentes de Fred.
• L’entraîneur va procéder en laissant croire que l’adolescente est sur pied d’égalité avec lui. « Le coach de Lyz, Fred, n’est pas un prédateur en série mais un homme en mal de reconnaissance qui dérape, explique Charlène Favier. Il surinvestit sa relation avec Lyz, qu’il veut amener au sommet. Il y projette les victoires qu’il n’a pas eues, et commet l’irréparable. »
Le monde des adultes dépeint par Charlène Favier est tout sauf flatteur, puisqu’il conforte la victime dans son silence. L’absence d’écoute, le rejet et la manipulation empêchent Lyz de se confier sur sa douleur. L’emprise dans laquelle elle est piégée ne lui permet jamais de demander de l’aide.

Slalom s’inscrit alors comme un film nécessaire à une époque où la parole se libère timidement dans le domaine associatif et sportif.

+ Hubert Herbreteau

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