Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 26 mai 2021 à propos de l’ouvrage :  » Vivre avec nos morts » de Delphine Horvilleur.

« Let H’ayim », « À la vie » clament les juifs quand ils lèvent un verre ! Comme s’ils avaient le pouvoir de ne pas ouvrir la porte à la mort, ce sont encore ces paroles qu’ils redisent jusqu’au cimetière pour la chasser. Faut-il ajouter que le cimetière porte le nom de « Beit haH’ayim », la maison de la vie ou la maison des vivants ? Il est intéressant de constater que le mot « H’ayim » est un pluriel et n’existe pas au singulier, ce qui veut dire que chacun d’entre nous a plusieurs vies, tressées les unes aux autres et qui attendent le dénouement pour que notre vie s’éclaire en racontant nos histoires.

Sous la forme de contes, Delphine Horvilleur, rabbin, vient illustrer cette affirmation en nous faisant part d’expériences vécues auprès d’endeuillés. Au travers de huit chapitres, avec beaucoup de simplicité et de réalisme, elle nous décrit la façon dont elle intervient lorsqu’elle est sollicitée pour célébrer des obsèques. Son souci principal est de faire apparaître par la famille de la personne défunte la vie de celui ou celle qui vient de les quitter. Quelquefois du reste, ce sont les amis ou connaissances qui portent un éclairage inconnu de la famille ! Elle rassemble ensuite les éléments réunis pour redire, dans son langage, celui de la tradition, ce qui lui semble avoir été la vie des morts concernés. Il n’est certainement pas aisé de se prêter à un tel exercice, certes chronophage mais bien utile, si ce n’est indispensable, pour permettre aux familles et amis de vivre avec ceux ou celles qui viennent de les quitter.

L’auteure a choisi, sans doute pour que ses récits nous « parlent », d’évoquer, au début du livre, les obsèques de personnes bien connues :

Ainsi, dans le premier chapitre consacré aux obsèques d’Elsa Cayat (la psychanalyste de Charlie Hebdo, sauvagement assassinée le 7 janvier 2015). Ses amis la décrivent de façon si « vivante » que l’on pourrait la croire présente et pourtant, elle vient de les quitter. Quand le rabbin dit à la fille d’Elsa que sa maman ne reviendra pas, elle se trompe. Elsa est bien présente. La preuve en est que, peu de temps après son décès, d’autres obsèques vont être célébrées et, ô surprise ! pendant de nombreux mois, le défunt avait entretenu une correspondance régulière avec Elsa. Ils avaient même prévu de rédiger ensemble un livre qui devait porter justement sur la mort ! Pourrait-on dire qu’il s’agit là d’une coïncidence ? Elsa est toujours là, présente auprès de ceux qui l’ont connue et aimée.

Un autre exemple est celui de Marceline et Simone, « les filles de Birkenau » dont la force de l’amitié ne tenait pas seulement à l’enfer qu’elles avaient partagé mais aussi à tout ce qui, dans la personnalité, le caractère, pouvait les opposer. Au travers de souvenirs, d’anecdotes, Marceline, très extravertie, amie de Delphine Horvilleur, ainsi que Jean et Pierre-François, les enfants de Simone, font revivre toute la vraie personnalité de Simone Veil. On découvre que les deux amies ont été inséparables jusqu’à la mort : aussi différentes qu’elles pouvaient nous apparaître, elles avaient un point commun essentiel, elles savaient ce que « se relever » signifie.

Tous les exemples donnés dans ce livre montrent vraiment l’importance de faire « revivre » ceux qui ont rejoint leurs ancêtres et sont une partie de nous-mêmes. Clamer « Let’H’ayim » ne traduit-ils pas l’attachement que les juifs accordent à un verset de la Thora dans le Deutéronome sous la forme d’un ordre divin : « J’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Éternel. Et toi, tu choisiras la vie » (Deutéronome 30, 19). Les vivants et les morts, ceux qui ont été et ceux qui restent, sont là, près du lit des mourants : « Adonaï » qui a guidé tes pas et ceux de tes ancêtres, Elohenou, ce Dieu est aussi le nôtre, « Adonaï Eh’ad », ton Dieu et le nôtre ne font qu’Un. « Tel est l’engagement solennel que les juifs prennent à l’heure du passage : faire que quelque chose de celui qui part intègre leur vie pour s’unir à ce qu’ils deviendront. Bien sûr, « nous ne savons pas où les morts se trouvent, mais nous creusons des tombes pour qu’ils rejoignent leurs ancêtres. »
Le « Chant de la Paix » clamé par Itsh’ak Rabin avant d’être assassiné, affirme que ceux qui sont partis peuvent s’adresser à ceux qui vivent encore.

C’est en fait à un message de vie, d’espérance, d’humanité que nous convie Delphine Horvilleur dans cet ouvrage qui, à l’inverse de ce que l’on pourrait imaginer a priori, n’est pas dépourvu d’humour ! Il me semble que, quelle que soit leur religion, ceux et celles qui ont la charge de préparer les familles et amis aux obsèques de leurs proches ne pourraient que tirer parti de la lecture de ce livre.

Cécile Lahellec