Quand l’avenir nous échappe

Fiche de l’Observatoire Foi et culture du mercredi 20 janvier à propos de l’ouvrage : « Quand l’avenir nous échappe » de Bernard Perret.

FIC168625HAB40Parmi l’abondante littérature concernant la pandémie (ses causes, ses effets sur les personnes, ses conséquences sociales et économiques), le livre de Bernard Perret, essayiste, apporte une contribution originale à partir de « la pensée apocalyptique ». L’auteur fait au préalable le rapprochement de deux phénomènes : la menace écologique et la crise sanitaire que nous venons de vivre. Il ne va pas de soi que les dérèglements écologiques aient joué un rôle décisif dans la genèse de la pandémie. « La crise sanitaire a mis en exergue des vérités souvent martelées par ceux que préoccupe l’état de la Planète. Comme l’atmosphère ou les océans, les virus font partie d’un écosystème planétaire qui nous contient et nous contraint. La pandémie (…) nous renvoie à l’urgence de vivre en paix avec la nature et de mieux coopérer avec nos semblables, faisant apparaître au grand jour la fragilité d’un monde unifié par le marché, mais totalement inorganisé sur d’autres plans » (p. 15). La crise que nous traversons doit nous conduire à mettre en œuvre les changements d’organisation et de modes de vie qu’exige la lutte contre le changement climatique.

Bernard Perret voit dans la crise sanitaire « une sorte de répétition générale, un signal d’alerte avant des catastrophes de plus grande ampleur qui nous trouveront tout aussi surpris » (p. 18). Le ton de son essai n’est pas pessimiste. Sans idéaliser, il est bon de souligner les belles actions qui n’ont pas manqué. La crise a révélé un potentiel de contribution volontaire à la vie commune. Quand les repères habituels se dérobent, les gens redécouvrent des liens amicaux et familiaux.
Les questions posées par Bernard Perret sont les suivantes : le moment dramatique que nous venons de vivre changera-t-il notre vision de l’avenir ? Quel pourrait être l’apport de « la pensée apocalyptique » (le mot apocalypse a pour sens premier dévoilement, révélation) ? Comment regarder en face un avenir qui nous échappe ? Comment garder le goût d’agir ? La réponse est claire : il sera difficile de s’engager dans ce type de réflexions en occultant les enjeux spirituels et philosophiques. Ainsi, parler de « transition écologique » c’est cacher la réalité derrière l’image rassurante d’une crise passagère, alors que c’est le sens même de l’aventure humaine qui est à reconsidérer. La confrontation à la finitude du monde aura des conséquences anthropologiques. Nous sommes obligés de tenir compte les uns des autres, d’inscrire nos projets personnels dans le cadre d’un devenir collectif. On pourrait voir émerger un nouvel ordre mondial, plus pacifique et coopératif. On ne peut pas se contenter d’exprimer de belles affirmations. Chacun sait que l’« on ne passera pas sans rupture du capitalisme libéral à une économie fondée sur la valorisation de l’utilité sociale, les services collectifs et les “communs collaboratifs” » (p. 59).

Bernard Perret revient à plusieurs reprises, dans son livre, sur la perspective apocalyptique. Celle-ci conduit à reconnaître que nous sommes arrivés à un moment de vérité qui demande à l’humanité de se dépasser et de se réinventer. Comment trouver le bon ton pour parler de sujets anxiogènes ? Comment trouver les mots devant l’imminence de la catastrophe ? La pensée économique dominante est souvent tributaire d’un double présupposé : les ressources naturelles sont illimitées et la richesse matérielle est appelée à croître continûment. Par rapport à la situation actuelle, les autres sciences sociales ne sont pas irréprochables. Trop compartimentées, elles n’intègrent pas les catastrophes dans leurs raisonnements, ce qui les rend peu prédictives. Quant aux philosophes, ils s’expriment souvent comme s’ils n’avaient pas compris que la crise environnementale allait dominer notre siècle. Comment penser l’histoire humaine comme une histoire dans et avec la nature ?

Une philosophie de l’événement donnant toute sa place aux crises et aux catastrophes est donc nécessaire. Pour cela, Bernard Perret appuie sa réflexion sur trois auteurs : René Girard dont la démarche intellectuelle a toujours été indissociable d’une conception apocalyptique de l’histoire. En particulier le problème de la violence obsède l’humanité depuis les origines. Norbert Élias montre dans ses travaux que le progrès de la civilisation a pour moteur principal l’accroissement des interdépendances sociales et la prise de conscience de l’existence d’un bien commun qui justifie l’acceptation de contraintes. Charles Taylor complète Élias en abordant la dimension morale de la civilisation : « La promotion d’une morale rationnelle fondée sur l’idée d’un individu responsable de ses actes envers les autres est un ingrédient nécessaire du processus de civilisation » (p. 173). À ces trois auteurs Bernard Perret ajoute Hans Jonas et son « Principe responsabilité ».

Le chapitre intitulé « Les exigences morales de la démocratie des communs » est d’un grand intérêt parce qu’il pose la question de la démocratie dont nous avons besoin pour adapter la société aux contraintes écologiques. « Les formes de coopération, de solidarité, de partage et d’autodiscipline, mais aussi de convivialité et de créativité, qu’il va falloir mettre en oeuvre, vont bien au-delà de ce dont les humains se sont montrés capables jusqu’à ce jour » (p. 97). Afin de remédier aux limites de la démocratie représentative, il faudrait développer et institutionnaliser la gouvernance collective des « communs », c’est-à-dire les ressources de toute nature qui ont vocation à être partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté. On peut penser à des biens environnementaux comme le climat, l’eau, à des biens sécuritaires et sanitaires. L’économie qu’il nous faut devrait être fondée sur des besoins réels et sur une utilisation parcimonieuse des ressources non renouvelables.

Sous forme d’exercice de politique fiction, l’épilogue résume bien les contenus de l’essai de Bernard Perret : la pandémie due au coronavirus a valeur d’avertissement, car il y aura d’autres catastrophes ; le problème écologique est mondial et il appelle des solutions mondiales (une gouvernance mondiale semble nécessaire) ; les solutions à la crise écologique et sanitaire ne peuvent être purement techniques ; il va falloir changer nos modes de vie et ne jamais dissocier les questions environnementales et les questions sociales.

Les réflexions de ce livre de Bernard Perret nous seront bien utiles au cours de l’année 2021 !

+ Hubert Herbreteau

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