Commentaires du dimanche 6 octobre
Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 6 octobre 2024
27éme dimanche du temps ordinaire
PREMIERE LECTURE – livre de la Genèse 2,18-24
18 Le SEIGNEUR Dieu dit :
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul.
Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. »
19 Avec de la terre, le SEIGNEUR Dieu modela
toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel,
et il les amena vers l’homme
pour voir quels noms il leur donnerait.
C’étaient des êtres vivants,
et l’homme donna un nom à chacun.
20 L’homme donna donc leurs noms
à tous les animaux,
aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs.
Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde.
21 Alors le SEIGNEUR Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux,
et l’homme s’endormit.
Le SEIGNEUR Dieu prit une de ses côtes,
puis il referma la chair à sa place.
22 Avec la côte qu’il avait prise à l’homme,
il façonna une femme
et il l’amena vers l’homme.
23 L’homme dit alors :
« Cette fois-ci, voilà l’os de mes os
et la chair de ma chair !
On l’appellera : femme – Ishsha -,
elle qui fut tirée de l’homme – Ish. »
24 A cause de cela,
l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme,
et tous deux ne feront plus qu’un.
REFLEXION SUR LE PROJET DE DIEU
« Au commencement, lorsque le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel » : cette formule au passé risque de nous tromper ; et c’est peut-être la seule difficulté de ce texte, le piège dans lequel il ne faut pas tomber. Le piège serait de croire que nous sommes en face d’un film pris sur le vif.
Bien évidemment, cette façon de lire ne résiste pas à la réflexion ; d’abord, nous ne sommes pas assez naïfs pour croire qu’un journaliste assistait à l’œuvre de Dieu au premier jour ; d’autre part, nous savons bien que la première condition pour une bonne lecture consiste à savoir distinguer les genres littéraires.
Nous sommes ici, dans les premiers chapitres de la Genèse, en face d’un écrit qu’on appelle de « sagesse », c’est-à-dire non pas d’histoire mais de réflexion : au dixième siècle avant Jésus-Christ, probablement, à la cour du roi Salomon, un théologien était assailli de questions : « Pourquoi la mort ? Pourquoi la souffrance ? Et pourquoi les difficultés des couples ? Et tous les pourquoi de notre vie, auxquels nous nous heurtons si souvent… Pour répondre, il a raconté une histoire comme Jésus racontait des paraboles. L’auteur n’est pas un scientifique, c’est un croyant : il ne prétend pas nous dire le quand et le comment de la Création ; il dit le sens, le projet de Dieu. En particulier, l’histoire ou la parabole qui nous occupe aujourd’hui cherche à bien situer la relation conjugale dans le plan de Dieu. Comme toute histoire, comme aussi les paraboles de Jésus, cette histoire de notre théologien du dixième siècle emploie des images : le jardin, le sommeil, la côte ; sous ces images se devine un message : un message qui concerne tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps ; il parle de l’homme et de la femme en général et non pas d’un hypothétique premier couple de l’humanité : en hébreu, l’auteur emploie l’expression « le Adam » qui veut dire « le terreux », le « poussiéreux » ; contrairement à ce que nous pourrions croire, ce n’est pas un prénom.
Le message de ce texte tient en quatre points :
Premièrement, la femme fait partie de la Création dès l’origine ; cela ne fait de doute pour aucun d’entre nous, aujourd’hui, mais à l’époque, c’était original. En Mésopotamie, par exemple, (la patrie d’Abraham), où on réfléchit tout autant sur la Création et où on se forge également des explications à travers des récits tout aussi grandioses et poétiques, on prétendait que la femme n’a pas été créée dès le début, et que l’homme s’en passait très bien. La Bible, au contraire, affirme qu’elle a été créée dès l’origine du monde et surtout qu’elle est un cadeau de Dieu : sans elle l’homme ne peut pas être heureux et l’humanité ne serait pas complète.
Deuxième message : le projet de Dieu, c’est le bonheur de l’homme ; en Mésopotamie encore, il y a plusieurs dieux, tous rivaux entre eux, et quand ils se décident à créer l’humanité, c’est parce qu’ils ont besoin d’esclaves. Alors que, dans la Bible, il n’y a qu’un seul Dieu, et quand il crée l’homme et le place dans le Paradis, ce jardin merveilleux est pour l’homme. Et l’expression « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » signifie que Dieu recherche le bonheur de l’homme. (Il faut entendre : ‘Ce n’est pas le bonheur pour l’homme d’être seul’).
Troisième message : c’est une affirmation très importante et très novatrice de la Bible : la sexualité est une chose belle et bonne, puisqu’elle fait partie du projet de Dieu ; elle est une donnée très importante du bonheur de l’homme et de la femme : « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. »
L’IDEAL DU DIALOGUE
Quatrième message : l’idéal proposé au couple humain n’est pas la domination de l’un sur l’autre, mais l’égalité dans le dialogue : et qui dit « dialogue » dit à la fois distance et intimité ; sur ce point, l’hébreu est plus suggestif que le français ; dans notre langue, les mots « homme » et « femme » ne sont pas de la même famille ; alors que, en hébreu, homme se dit « ish » et femme « ishshah » : ce sont deux mots très proches, de la même famille et pour autant pas identiques ; le mot « ishshah » qui désigne la femme est tout simplement le mot féminin dérivé de celui qui désigne l’homme. On se rappelle le moment où l’homme avait nommé les animaux : il avait donné un nom à chacun, mais jamais ce mot-là, jamais un nom dérivé de son nom à lui, parce qu’il sentait bien justement la distance, et le pouvoir que Dieu lui conférait sur les animaux ; mais devant la femme, son cri est d’émotion, de reconnaissance au vrai sens du terme : il la reconnaît comme sienne ; il a désormais un alter ego, un vis-à-vis.
Et d’ailleurs quand Dieu dit son projet, la Bible dit « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, je vais lui faire une aide qui lui correspondra » : on devrait traduire littéralement « comme son vis-à-vis ».
Mais si l’homme reconnaît que la femme est sa plus proche, il n’y est pourtant pour rien, il la reçoit de Dieu comme un cadeau : la délicatesse du texte est extraordinaire ici : « Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit », lisons-nous. C’est Dieu qui agit, l’homme dort. On retrouve la même image de sommeil, dans un autre moment très important de l’histoire de l’humanité : lorsque Dieu fait alliance avec Abraham, la Bible emploie le même mot traduit ici par « sommeil mystérieux » et que la Bible grecque traduit par « extase » ; manière très humble de dire que l’action de Dieu est tellement grande, tellement solennelle, qu’elle échappe à l’homme ; il ne peut pas en être témoin.
Enfin, l’image du sommeil évoque aussi, bien sûr, la nuit : quand l’homme se réveillera, une aube nouvelle aura commencé pour l’humanité, puisque la femme est née !
PSAUME – 127 (128)
1 Heureux qui craint le SEIGNEUR
et marche selon ses voies !
2 Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !
3 Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.
4 Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le SEIGNEUR.
5 De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
6 et tu verras les fils de tes fils.
Paix sur Israël.
EN MARCHE VERS JERUSALEM
Dans la Bible, ce psaume porte en sous-titre l’inscription « Cantique des montées » : quinze psaumes, les numéros 119/120 à 133/134 dans la Bible portent cette même inscription ; ce qui veut dire qu’ils ont été composés pour être chantés non pas dans le Temple de Jérusalem, pendant l’une des innombrables cérémonies de la fête des Tentes qui durait huit jours à l’automne, mais au cours même du pèlerinage, pour accompagner la marche des pèlerins en route vers Jérusalem. Quand on connaît la route de Jéricho à Jérusalem, on comprend bien que le mot « montée » soit devenu synonyme de pèlerinage. On en a une trace chez Isaïe : « Il arrivera dans l’avenir… que des peuples nombreux se mettront en marche et diront : venez, montons à la montagne du Seigneur. » (Is 2,3).
Pour ce qui est de notre psaume 127/128, vu son contenu, on peut penser qu’il était chanté à la fin du pèlerinage, sur les dernières marches du grand escalier du Temple. Voici la structure qu’on peut y déceler : il se présente comme un dialogue entre les prêtres et les pèlerins ; dans la première partie, les prêtres, à l’entrée du Temple, accueillent les pèlerins et leur font une dernière catéchèse : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils autour de la table comme des plants d’olivier ». Puis, deuxième partie, la réponse : une chorale ou bien l’ensemble des pèlerins répond : « Oui, voilà comment sera béni l’homme qui craint le SEIGNEUR ».
Troisième partie, les prêtres reprennent la parole et prononcent la formule liturgique de bénédiction : « De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils ».
L’objet de la bénédiction peut nous sembler bien terre-à-terre ; mais pourtant l’insistance de toute la Bible sur le bonheur et la réussite devraient nous rassurer. Notre soif de bonheur bien humain, notre souhait de réussite familiale rejoignent le projet de Dieu sur nous… Dieu nous a créés pour le bonheur et pour rien d’autre. REJOUISSONS-NOUS !
Et le mot « HEUREUX » revient très souvent dans la Bible ; il revient si souvent, même, qu’on pourrait lui reprocher d’être bien loin de nos réalités concrètes ; ne risque-t-il pas de paraître ironique face à tant d’échecs humains et de malheurs dont nous voyons le spectacle tous les jours ?
En réalité, ce mot ne prétend pas être un constat un peu facile, comme si, automatiquement, les hommes droits et justes étaient assurés d’être heureux… Nous voyons tous les jours le contraire. En fait, le mot « Heureux » est un encouragement ; André CHOURAQUI, dont la traduction est toujours très proche du texte hébreu, traduit le mot « Heureux » par « En marche »… sous-entendu « vous êtes sur la bonne voie, courage ! »
C’est tout le sens des Béatitudes, aussi bien dans le discours de Jésus sur la Montagne, que dans toutes les Béatitudes qu’on rencontre dans l’Ancien Testament. Par exemple, « Heureux les affamés et assoiffés de justice… Heureux l’homme qui ne prend pas le parti des méchants… Heureux l’homme qui s’applique à la Sagesse… Heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur… » Toutes ces affirmations sont en fait des encouragements : quelque chose comme : vous avez choisi la bonne route, avancez.
Notre psaume d’aujourd’hui dit exactement cela : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies » : celui qui marche sur les voies de Dieu, il a, bien sûr, choisi le bon chemin ; pas étonnant qu’on lui dise « Heureux es-tu, tu as choisi la bonne route, continue, en marche ! » ; ce qui nous surprend plus, dans ce verset, c’est le mot « crainte ». « Crainte » et « bonheur » sont-ils compatibles ?
C’est le parallélisme entre les deux lignes de ce verset qui peut nous éclairer : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies » : comme souvent, le mot « et » doit être remplacé par « c’est-à-dire » ; autrement dit, « craindre le SEIGNEUR », c’est « marcher selon ses voies ». Ce qui veut dire que la crainte de Dieu comporte une dimension d’obéissance à sa volonté ; mais, attention, ce n’est pas par peur des représailles ! Le croyant sait qu’avec le Dieu d’amour, il ne peut pas être question de représailles.
André CHOURAQUI, encore, traduit ce verset de la manière suivante : « En marche, toi qui es tout frémissant de Dieu ». C’est le frémissement de l’émotion et non pas de la peur.
EN MARCHE, TOI QUI ES TOUT FREMISSANT DE DIEU
L’homme biblique a mis longtemps à découvrir que Dieu est amour ; mais dès lors qu’il a découvert un Dieu d’amour, il n’a plus peur. Le peuple d’Israël a eu ce privilège de découvrir à la fois la grandeur du Dieu qui nous dépasse infiniment ET la proximité, la tendresse de ce même Dieu. Du coup, la « crainte de Dieu », au sens biblique, n’est plus la peur de l’homme primitif (parce qu’on ne peut pas avoir peur de Celui qui est la Bonté en personne, si j’ose dire) ; la « crainte de Dieu » est alors l’attitude du petit enfant qui voit en son père à la fois la force et la tendresse. Du coup, il lui fait confiance et n’a aucune réticence à le suivre sur ses chemins.
C’est encore un autre psaume qui compare la crainte de Dieu à la tendresse filiale : « Comme la tendresse du Père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint. » (Ps 102/103,13). La crainte du Seigneur comporte ces deux aspects : tendresse et soumission parce que les deux sont synonymes de confiance.
Enfin, au passage, je remarque une formule qui révolte peut-être ceux qui, parmi nous, connaissent des problèmes dans leur travail : « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi le bonheur ! » Il faut croire que les problèmes de chômage n’existaient pas quand ce psaume a été composé ! Cela nous prouve au moins que la Bible a toujours eu un regard très positif sur le travail ; Dieu a confié la création à l’homme ; rappelez-vous Adam placé dans le Jardin d’Eden, pour qu’il le cultive et le garde ; formule imagée qui signifiait la confiance que Dieu fait à l’homme en lui donnant la responsabilité de la Création.
DEUXIEME LECTURE – lettre aux Hébreux 2, 9-11
Frères,
9 Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges,
nous le voyons couronné de gloire et d’honneur
à cause de sa Passion et de sa mort.
Si donc il a fait l’expérience de la mort,
c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous.
10 Celui pour qui et par qui tout existe
voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ;
c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection,
par des souffrances,
celui qui est à l’origine de leur salut.
11 Car celui qui sanctifie
et ceux qui sont sanctifiés
doivent tous avoir même origine ;
pour cette raison,
Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.
LE MYSTERE DE L’INCARNATION
Ce texte est en quelque sorte un petit résumé du Credo chrétien : il dit trois choses : premièrement, Jésus est à la fois homme et Dieu ; deuxièmement, il est le sauveur, le Messie que nous attendions ; et troisièmement, c’est par sa mort sur la croix qu’il apporte le salut à l’humanité.
Je commence par le premier point : nous disons facilement que Jésus est à la fois homme et Dieu, en oubliant peut-être que c’était proprement impensable, scandaleux même pour les hommes de son temps. Il a fallu tout un travail de réflexion pour l’admettre et beaucoup d’inspiration de l’Esprit Saint certainement !
C’est bien pourtant le sens de la dernière phrase que nous venons de lire : « Jésus qui sanctifie et les hommes qui sont sanctifiés sont de la même race ». Dire « Jésus sanctifie » revient à dire qu’il est Dieu. Car, pour un homme de l’Ancien Testament, Dieu seul est Saint, lui seul peut sanctifier ; les hommes, eux, sont sanctifiés par Dieu, ils ne peuvent évidemment pas se sanctifier eux-mêmes ni sanctifier les autres. Pour l’homme biblique, c’est une évidence qu’un abîme le sépare de Dieu.
Nous touchons là peut-être ce qui est la différence insurmontable entre les Juifs et les Chrétiens.
C’est tout le mystère de l’Incarnation : Dieu est tellement proche de l’homme qu’il s’est fait homme lui-même en Jésus. « Jésus qui sanctifie et les hommes qui sont sanctifiés sont de la même race ». Jésus est à la fois Dieu qui sanctifie, et homme, de la même race que nous : la même sève coule dans nos veines. L’abîme entre Dieu et l’humanité est définitivement comblé ; c’est cela qu’on appelle le salut.
Désormais, un enfant des hommes est entré dans la gloire de Dieu ; à lui s’applique le fameux psaume 8 qui dit la grandeur de l’homme tel que Dieu l’a conçu : cet être que Dieu a placé « un peu au-dessous des anges », mais qui sera un jour « couronné de gloire et d’honneur » parce qu’il est fait pour régner sur toute la création, quand « toutes choses seront mises sous ses pieds », pour reprendre des expressions du psaume 8.
Voici quelques versets du psaume 8 : « Ô SEIGNEUR, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par tout l’univers !… Quand je vois tes cieux, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme pour que tu en prennes souci ? Tu l’as abaissé un peu au-dessous des anges (traduction de la Septante) : tu le couronnes de gloire et d’honneur ; tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ; tu as mis sous ses pieds toutes choses. » Le croyant qui a composé ce psaume n’aurait pas su nommer Jésus de Nazareth, évidemment ; il relisait tout simplement le livre de la Genèse et s’émerveillait de la vocation de l’homme, appelé par Dieu à régner sur l’ensemble de la création. Vocation pas encore réalisée, loin s’en faut, et c’est pourquoi l’humanité attend son salut.
A l’époque du Christ, puisque l’humanité semblait définitivement incapable de réaliser cette vocation, on avait pris l’habitude d’appliquer ce psaume 8 au Messie ; c’est ce que fait l’auteur de la lettre aux Hébreux.
Et voilà le deuxième point : pour les Chrétiens, Jésus est bien le Messie, le sauveur que nous attendions. Car il est celui qui fait entrer l’humanité dans cette gloire et cet honneur qui sont sa vocation.
Reste le troisième point : comment est-il ce Messie ? ce sauveur attendu ? c’est par sa mort sur la croix que Jésus apporte le salut à l’humanité. Là encore, nous devinons à travers ces lignes les difficultés des premiers Chrétiens : comment comprendre le mystère de Jésus ? C’est pourtant l’une des très fortes insistances du Nouveau Testament dans son ensemble : non seulement, la croix du Christ est inséparable de sa gloire, mais plus encore le chemin de la gloire passe par la croix.
IL N’Y A PAS DE PLUS GRAND AMOUR…
Une fois de plus, nous sommes en plein dans le mystère du dessein de Dieu ; cette question résonne très souvent dans le Nouveau Testament : pourquoi fallait-il ? Pourquoi la croix ? Pourquoi la souffrance et la mort ? La réponse, les textes du Nouveau Testament la donnent chacun à leur manière, mais on peut l’exprimer de la manière suivante : l’humanité sera sauvée quand elle connaîtra pleinement son Dieu et pourra entrer en dialogue avec lui. Pour que l’humanité connaisse pleinement son Dieu, il faut qu’elle sache qu’il est amour. Et la plus grande preuve d’amour, c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Alors oui, la révélation de Dieu passait par la croix.
Il restait encore une question à résoudre pour l’auteur de la lettre aux Hébreux : il s’adressait à d’anciens Juifs devenus Chrétiens ; pour eux, une question restait sans réponse : vous dites que Jésus de Nazareth est le Messie, mais comment peut-il être le Messie, lui qui n’était pas prêtre ? Car au temps du Christ, puisqu’il n’y avait plus de roi, certains attendaient un Messie qui serait prêtre. Or, une chose est sûre, Jésus était un laïc. Dans ce contexte, l’auteur de la lettre aux Hébreux a un objectif bien précis : démontrer que Jésus est prêtre à sa manière, et qu’il l’est même de la seule manière valable !
Jésus peut-il être considéré comme grand prêtre ? Il n’a jamais été ordonné prêtre, que l’on sache, il n’a jamais été « mené à sa perfection », comme on disait à l’époque. Evidemment, l’expression « mener à la perfection » nous surprend ; le Christ n’était-il donc pas parfait ? En réalité, c’est un terme technique de la consécration du grand prêtre, il veut dire « introniser comme grand prêtre ».
Vous dites que Jésus n’a pas été ordonné prêtre ? Si, répond l’auteur de la lettre aux Hébreux, c’est sa mort sur la croix qui a été son intronisation comme prêtre.
La « perfection » du Christ, c’est-à-dire son intronisation comme grand prêtre, ce n’est pas la souffrance de la passion et de la croix pour elle-même, c’est son amour universel qui lui fait partager la condition de tout homme jusqu’à la souffrance et la mort. La croix ne sépare pas le Christ des autres hommes, au contraire, elle traduit sa parfaite solidarité avec eux.
Nous pouvons bien rendre grâce, nous dit l’auteur : « Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, pour le salut de tous ».
EVANGILE – selon Saint Marc 10,2-16
En ce temps-là,
2 des pharisiens abordèrent Jésus
Et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient :
« Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »
3 Jésus leur répondit :
« Que vous a prescrit Moïse ? »
4 Ils lui dirent :
« Moïse a permis de renvoyer sa femme
à condition d’établir un acte de répudiation. »
5 Jésus répliqua :
« C’est en raison de la dureté de vos cœurs
qu’il a formulé pour vous cette règle.
6 Mais, au commencement de la création,
Dieu les fit homme et femme.
7 A cause de cela,
l’homme quittera son père et sa mère,
8 il s’attachera à sa femme,
et tous deux deviendront une seule chair.
Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
9 Donc, ce que Dieu a uni,
que l’homme ne le sépare pas ! »
10 De retour à la maison,
les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question.
11 Il leur déclara :
« Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre
devient adultère envers elle.
12 Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre,
elle devient adultère. »
13 Des gens présentaient à Jésus des enfants
pour qu’il pose la main sur eux ;
mais les disciples les écartèrent vivement.
14 Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit :
« Laissez les enfants venir à moi,
ne les empêchez pas,
car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
15 Amen, je vous le dis :
celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu
à la manière d’un enfant,
n’y entrera pas. »
16 Il les embrassait
et les bénissait en leur imposant les mains.
« QUE DIT LA LOI ? » DEMANDENT LES HOMMES
Il faut croire que le divorce était déjà un sujet de conversation ! Il y avait ceux qu’on pourrait taxer de laxistes et puis il y avait les rigoristes. Les Pharisiens sont donc venus poser la question à Jésus : « Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? » En quoi cette question peut-elle être malveillante ? Marc ne le dit pas, mais il note que l’intention des Pharisiens est de mettre Jésus à l’épreuve.
On attendrait de Jésus une réponse par oui ou par non : c’est permis ou c’est défendu, ou encore c’est permis à certaines conditions. Mais, comme à son habitude, Jésus ne donne pas directement une réponse, il aide ses interlocuteurs à chercher eux-mêmes les éléments de réponse.
Pour commencer, il les renvoie à la loi de Moïse : « Que vous a prescrit Moïse ? » En fait Moïse n’a rien prescrit du tout sur ce chapitre ; les lois données au Sinaï ne parlent pas de divorce ; et pas une seule fois dans l’Ancien Testament, on ne trouve ce qu’on pourrait appeler un code du mariage définissant les conditions à respecter en cas de divorce. La seule chose qu’on peut trouver, et c’est cela que les Pharisiens ont en tête, c’est un passage du livre du Deutéronome qui reconnaît implicitement que le divorce existe puisqu’il interdit à un homme divorcé de reprendre ultérieurement son épouse.
La phrase précise sur laquelle les Pharisiens s’appuient, commence ainsi : « Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, puis trouvant en elle quelque chose qui lui fait honte, cesse de la regarder avec faveur, et qu’il rédige pour elle un acte de répudiation et le lui remet en la renvoyant de chez lui… » (Dt 24,1). Il n’y a ici ni prescription, ni permission, ni conditions du divorce, mais seulement le constat d’une situation existante.
Le divorce existait bel et bien et la coutume de l’acte de répudiation s’était établie. Peut-être est-il là le piège tendu par les Pharisiens ? On va voir si Jésus connaît vraiment bien la Loi.
« QUEL EST LE PROJET DE DIEU ? » DEMANDE JESUS
Mais Jésus est déjà parti bien plus loin : sa réponse, il la cherche sur un tout autre terrain ! Il se réfère au projet de Dieu : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. » Et le mot « commencement » dans la Bible ne veut pas dire un début chronologique, il veut dire plutôt le projet originel, non pas ce qui commence mais ce qui commande la suite, ce dont tout découle. Cette phrase « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme » fait partie du premier récit de création (Gn 1,27), un récit que tout le monde autour de lui connaissait par cœur. Jésus n’a cité qu’une petite partie d’un verset, mais tous ses interlocuteurs pouvaient compléter le verset entier : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa. » La vraie destinée du couple, c’est d’être l’image de Dieu. Et, aussitôt, Jésus ajoute une deuxième référence prise, celle-ci, dans le deuxième récit de création « A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. » (Gn 2,24). Bien sûr, si le couple humain est l’image de Dieu, il est indivisible, indissoluble. Jésus tire la conclusion logique : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas », c’est-à-dire « Ce que Dieu a conçu dans l’unité, que l’homme ne le sépare pas ».
On est là au cœur du mystère du projet de Dieu ; c’est autrement plus haut qu’une question de propriétaires, comme celle des Pharisiens : puis-je la répudier ? La femme est alors traitée comme un objet qu’on prend et qu’on peut tout aussi bien jeter. L’homme à l’image de Dieu est un homme libre qui quitte la sécurité du foyer paternel, pour venir se « greffer », s’attacher à sa femme pour fonder un nouveau foyer aussi solide que le précédent.
L’évangile de Matthieu rapporte que les disciples ont alors dit à Jésus « si c’est cela le mariage, ce n’est pas intéressant ! » Jésus les a emmenés au niveau du mystère et du projet de Dieu ; eux sont dans la réalité qui n’est pas toujours facile, sinon la question du divorce ne se poserait pas. Et c’est vrai que pour se hisser au niveau du mystère, il nous faut la grâce de Dieu. Ce n’est que par grâce de Dieu qu’on peut entrer dans le mystère de l’amour et de ses exigences. Livrés à nos seules forces, ce que Jésus appelle « la dureté de notre cœur », nous ne pouvons pas répondre à l’intention du Créateur. Et c’est de cela que la Loi a bien été obligée de tenir compte. Quand Jésus dit aux Pharisiens « c’est en raison de la dureté de vos cœurs que Moïse a formulé cette règle », il nous fait comprendre que la Loi était une étape de la pédagogie de Dieu ; quand nous serons dans le royaume, nous ne connaîtrons qu’une loi, celle de l’amour.
La finale de ce passage d’évangile est très rafraîchissante après nos douloureuses questions d’adultes. Jésus nous invite à accueillir le Royaume de Dieu « à la manière d’un enfant » : les très jeunes enfants accueillent toujours très simplement l’amour qu’on leur témoigne.
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Compléments
– N’oublions pas que le livre de la Genèse ici ne parle pas d’un homme particulier ou d’une femme particulière ; il parle de l’humanité en général dans laquelle hommes et femmes sont indissociables. L’expression que nous avons lue en première lecture disait la même chose : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », ne veut pas seulement dire « Il n’est pas bon pour un homme de rester isolé », mais aussi que l’humanité n’est complète que dans sa dualité, hommes et femmes. Car c’est seulement dans cette relation de dialogue faite à la fois de distance et de profonde intimité que l’humanité réalise sa vocation d’être image de Dieu.
– Ce n’est pas un hasard si le Cantique des Cantiques, lorsqu’il veut révéler le mystère de l’intimité de Dieu prend pour exemple les élans, la tendresse et l’intimité d’un couple d’amoureux, élevés au rang d’image de Dieu. NB. Encore aujourd’hui, nos frères juifs lisent le Cantique des Cantiques au cours de la célébration de la Pâque qui est la célébration de l’Alliance entre Dieu et son peuple.
– Le Prophète Malachie avait déjà fait ce rapprochement entre la question du divorce et le texte de la Genèse sur l’intention du Créateur : « Que personne ne soit traître envers la femme de sa jeunesse… Le SEIGNEUR n’a-t-il pas fait un être unique, chair animée d’un souffle de vie ? Et que cherche cet unique ? Une descendance accordée par Dieu… » (Ml 2,15). Malachie fonde donc l’exigence de l’indissolubilité du mariage sur les nécessités de la fécondité et de la famille. Là encore, ce n’était qu’une étape dans la pédagogie biblique ; Jésus va encore beaucoup plus loin : la vraie destinée du couple, c’est d’être l’image de Dieu.