Commentaires du jeudi de l’Ascension

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
jeudi 13 mai 2021

fête de l’Ascension


PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 1,1-11

Cher Théophile,
dans mon premier livre
j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné
depuis le moment où il commença,
jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions
aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
il leur en a donné bien des preuves,
puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
Il déclara :
« Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
alors que Jean a baptisé avec l’eau,
vous, c’est dans l’Esprit Saint
que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
« Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Jésus leur répondit :
« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments
que le Père a fixés de sa propre autorité.
Mais vous allez recevoir une force
quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
vous serez alors mes témoins
à Jérusalem,
dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
il s’éleva,
et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
Et comme ils fixaient encore le ciel
où Jésus s’en allait,
voici que, devant eux,
se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
qui leur dirent :
« Galiléens,
pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
viendra de la même manière
que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »


DE JERUSALEM JUSQU’AUX EXTREMITES DE LA TERRE
Nous sommes au tout début des Actes des Apôtres : les premiers versets font bien le lien avec l’évangile de Luc, lui aussi adressé à un certain Théophile ; car il ne fait de doute pour personne que les Actes des Apôtres et l’évangile de Luc sont du même auteur ; l’un commence où l’autre finit, c’est-à-dire par le récit de l’Ascension de Jésus, même si ces deux récits ne concordent pas exactement, on s’en apercevra en lisant les textes proposés pour l’Année C. Le premier livre, l’évangile, rapporte la mission et la prédication de Jésus, le second se consacre à la mission et à la prédication des Apôtres, d’où son nom « d’Actes des Apôtres ».
On peut pousser le parallèle un peu plus loin : l’évangile commence et finit à Jérusalem, le centre du monde juif et de la Première Alliance ; les Actes commencent à Jérusalem, car la Nouvelle Alliance prend  bien la suite de la Première, mais ils se terminent à Rome, carrefour de toutes les routes du monde connu à l’époque : la Nouvelle Alliance déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion est le fruit de l’Esprit-Saint ; il est l’Esprit même de Jésus, et il sera l’inspirateur des Apôtres, à partir de la Pentecôte, à tel point qu’on appelle souvent les Actes « l’évangile de l’Esprit ».
Et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même à son tour, il prépare son Eglise pendant quarante jours : « Pendant quarante jours, il leur était apparu, et leur avait parlé du royaume de Dieu. » Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission.
L’ordre est presque surprenant : attendre et ne pas bouger ; « Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. » Que les promesses du Père se réalisent à Jérusalem n’étonnait certainement pas les onze qui étaient tous Juifs : toute la prédication des prophètes donnait à Jérusalem une part prépondérante dans l’accomplissement du projet de Dieu : il suffit de se rappeler Isaïe : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi. Regarde : l’obscurité recouvre la terre, les ténèbres couvrent les peuples ; mais sur toi se lève le SEIGNEUR, et sa gloire brille sur toi. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,1-3). Ou encore : « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas, pour Sion je ne prendrai pas de repos, avant que sa justice ne se lève comme l’aurore et que son salut ne flamboie comme une torche. Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire. On t’appellera d’un nom nouveau, donné par le SEIGNEUR lui-même. » (Is 62,1-2).
VOUS SEREZ MES TEMOINS
Luc précise le contenu de la promesse : « Jean a baptisé avec de l’eau ; mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Cela aussi était familier aux apôtres ; ils avaient en tête la phrase du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair » (Jl 3,1) et aussi celle de Zacharie : « Ce jour-là, une source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au péché et à la souillure… Je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de supplication… » (Za 13,1 ; 12,10) ; ou encore : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs… Je mettrai en vous un esprit neuf… Je mettrai en vous mon propre Esprit. » (Ez 36,25… 27).
La question des apôtres « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » n’est donc pas incongrue ; elle manifeste qu’ils ont bien compris que le fameux Jour de Dieu s’est levé. La réponse de Jésus ne devrait pas nous étonner non plus ; car Dieu sollicite la collaboration des hommes pour réaliser son projet ; le salut de Dieu est arrivé grâce à Jésus-Christ, il reste aux hommes la liberté d’y entrer ; pour cela encore faut-il qu’ils le sachent ; d’où la mission et la responsabilité des Apôtres ; l’Esprit leur est donné pour cela : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins . » Cela veut dire qu’entre le don de l’Esprit et l’avènement définitif du Royaume, il y a un délai qui est le temps du témoignage : un délai d’autant plus long qu’il s’agit d’aller porter la nouvelle à l’humanité tout entière. « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  Le livre des Actes suit exactement ce plan.
Comme au matin de Pâques, « deux hommes avec un vêtement éblouissant » avaient arraché les femmes à leur contemplation en leur disant « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité », au jour de l’Ascension, deux hommes en vêtements blancs jouent le même rôle auprès des Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il reviendra, nous en sommes certains, c’est pourquoi nous disons à chaque Eucharistie : « Nous attendons le bonheur que tu promets, (qui est) l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur. »
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Complément
– La nuée est dans la Bible le signe visible de la présence de Dieu (par exemple lors du passage de la Mer Rouge (Ex 13, 21), ou lors de la Transfiguration du Christ (Lc 9,34). La nuée dérobe Jésus au regard des hommes : c’est dire qu’il est entré dans le monde de Dieu. Il cesse avec nous un certain mode de présence charnelle, visible, pour en inaugurer une autre, spirituelle.
– Il nous faut accepter l’idée qu’il est impossible de reconstituer exactement ce qui s’est passé entre la Résurrection de Jésus, la nuit de Pâques et le jour où il a quitté définitivement ses apôtres pour retourner auprès du Père. Commençons par les récits de Luc : entre l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres du même Luc, les deux récits sont tout-à-fait semblables : le départ de Jésus se situe près de Jérusalem puisque l’évangile parle de Béthanie, et que les Actes parlent du Mont des Oliviers ; et dans les deux textes Luc précise que Jésus a donné comme recommandation à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit Saint. La seule divergence entre les deux récits de Luc concerne le délai : dans l’évangile, il semble bien que le départ de Jésus ait eu lieu le soir même de Pâques ; après l’apparition aux disciples d’Emmaüs, ceux-ci sont retournés à Jérusalem pour tout raconter aux Onze apôtres ; et c’est pendant qu’ils parlaient tous ensemble que Jésus est apparu, a passé un moment avec eux, leur expliquant les Ecritures ; puis il les a emmenés à Béthanie et c’est là qu’il a disparu définitivement à leurs yeux.
Tandis que dans les Actes des Apôtres, Luc précise qu’il y a eu entre Pâques et l’Ascension un délai de quarante jours ; et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris l’habitude de  célébrer la fête de l’Ascension, juste quarante jours après Pâques.
Dans les autres évangiles, on ne trouve presque rien sur ce sujet : chez Matthieu, par exemple, il n’y a pas du tout de récit d’Ascension ; il raconte seulement une apparition de Jésus à deux  femmes  (Marie de Magdala et l’autre Marie) qui s’étaient rendues au tombeau et une apparition aux disciples en Galilée au cours de laquelle il leur dit cette phrase que nous connaissons bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Jean, lui, rapporte plus longuement plusieurs apparitions de Jésus ressuscité, l’une à Marie de Magdala, et trois autres à ses  disciples, dont la dernière au bord du lac de Tibériade ; mais il ne raconte pas non plus l’Ascension. Quant à Marc, il raconte l’apparition de Jésus à Marie de Magdala, puis à deux disciples qui se rendaient à la campagne et enfin aux Onze apôtres. Les Onze, Jésus les envoie prêcher l’évangile au monde entier et Marc termine son évangile en disant : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu « .
Ces différences entre les Evangiles prouvent que les précisions qu’ils nous donnent ne visent pas la réalité historique ou géographique : Matthieu a ses raisons pour parler de la Galilée, comme Luc a les siennes pour insister sur Jérusalem.
Car c’est bien là que Jésus leur a dit d’attendre le don de l’Esprit : l’évangile de Luc se termine sur cette dernière consigne de Jésus : « Je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez, d’en-haut, revêtus de puissance. »


PSAUME – 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9

2 Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
3 Car le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

6 Dieu s’élève parmi les ovations,
le SEIGNEUR, aux éclats du cor.
7 Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
Sonnez pour notre roi, sonnez !

8 Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
9 Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.


DIEU, ROI D’ISRAEL
C’est le peuple d’Israël qui parle ici, ou plutôt qui chante, qui acclame Dieu comme son roi. Cela ne nous surprend pas. Mais, chose beaucoup plus étonnante, il dit que Dieu est le roi de toute la terre. Or, cela, on ne l’a pas toujours pensé en Israël. Avant l’Exil à Babylone, aucun des rois d’Israël n’a jamais imaginé que Dieu soit le Maître de l’Univers entier. Cela veut dire que ce psaume a été composé tard dans l’histoire du peuple élu.
Je reviens sur la première affirmation très forte de ce psaume : Dieu est le roi d’Israël. Pendant toute une période de l’histoire biblique, le peuple d’Israël a eu des rois, tout comme les peuples voisins, mais sa conception de la royauté était particulière, et cette spécificité a duré tout au long de l’histoire. En Israël, le roi ne pouvait jamais prétendre être le plus haut personnage du pays, il n’avait pas tout pouvoir, Dieu restait le maître. Pour le dire autrement, le véritable roi en Israël n’était autre que Dieu lui-même.
Le roi, par exemple, ne disposait pas des lois à sa guise ; il devait, comme tout le monde se soumettre à la Loi de Dieu, c’est-à-dire les Lois données par Dieu à Moïse au Sinaï. D’après le livre du Deutéronome, il devait lire l’intégralité de la Loi tous les jours de sa vie. Même assis sur son trône, il n’était (en principe) qu’un exécutant des ordres de Dieu transmis par les prophètes. Dans les Livres des Rois, par exemple, on voit fréquemment l’un ou l’autre roi demander l’accord du prophète du moment avant de partir en campagne ou même, dans le cas de David, avant d’entreprendre la construction d’un Temple. Et l’on voit à de multiples reprises les prophètes intervenir librement dans la vie des rois et critiquer violemment parfois leurs agissements.
Cette affirmation de la souveraineté de Dieu fut même un frein à l’institution de la monarchie. On se souvient de la réaction très violente du prophète Samuel, au temps des Juges, lorsque les chefs des tribus d’Israël sont venus lui dire qu’ils voulaient avoir un roi « pour être comme les autres nations ». Souhaiter être « comme les autres nations » quand on a l’honneur d’être le peuple choisi par Dieu pour faire alliance, c’était un véritable blasphème à ses yeux. Il a fini par céder aux instances des chefs des tribus, mais non sans les prévenir qu’ils faisaient leur propre malheur.
Et lorsqu’il a consacré le premier roi, Saül, il a pris soin de préciser que celui-ci devenait le chef du patrimoine de Dieu. Le peuple restait le peuple de Dieu et non celui du roi et celui-ci n’était qu’un serviteur de Dieu. Et, tout au long de la monarchie, en Israël, les prophètes se sont chargés de rappeler aux rois cette vérité élémentaire. Au point que les livres des Rois, lorsqu’ils racontent les règnes successifs, n’ont qu’un critère d’évaluation : la fidélité de chacun des rois à la volonté de Dieu. Une formule revient tout le temps : « Tel roi fit ce qui ce qui est droit aux yeux du SEIGNEUR », ou au contraire « Tel roi fit ce qui ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ».
DIEU, ROI DE TOUTE L’HUMANITÉ
C’est donc en l’honneur de Dieu lui-même que notre psaume déploie ici tout le vocabulaire adressé ailleurs aux rois de la terre. Le mot « redoutable » lui-même est un compliment, c’est un mot habituel du vocabulaire de cour. Le roi n’est pas « redoutable » pour ses sujets, évidemment, mais au contraire, le terme est rassurant : les ennemis sont prévenus, notre roi sera invincible.
A chaque ligne de ce psaume, c’est une évidence, il s’agit bien de Dieu, notre Dieu, celui du Sinaï, le SEIGNEUR. En même temps, il est acclamé comme Dieu et roi de tout l’univers. Pas question de le garder pour nous tout seuls : il est « le grand roi sur toute la terre » et tous les peuples sont associés à la fête : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! » Cette dimension universelle est très présente dans ce psaume jusqu’à dire « Dieu règne sur les païens ».
Or, la découverte du monothéisme date seulement de l’Exil à Babylone : jusque-là, le peuple d’Israël n’était pas encore monothéiste : être monothéiste, c’est affirmer qu’il n’existe qu’un seul Dieu, le même pour tout le cosmos et l’humanité. Avant l’Exil, ce n’était pas le cas : on dit qu’Israël était monolâtre ; c’est-à-dire qu’il ne reconnaissait pour lui-même qu’un seul Dieu, celui de l’Alliance du Sinaï. Mais il considérait que les autres peuples avaient leurs propres dieux qui régnaient sur leurs pays et combattaient pour eux.
Ce psaume a donc été probablement composé après le retour de l’Exil et ce n’est pas dans la salle du trône que ces acclamations ont retenti, c’est dans le Temple de Jérusalem reconstruit. A l’occasion d’une célébration liturgique, nos frères juifs évoquent le grand projet de Dieu sur l’humanité et ils anticipent. Ils imaginent déjà le Jour où enfin Dieu sera reconnu pour ce qu’il est, le Père de toute bonté.
Nous, Chrétiens, reprenons ce psaume à notre tour. Et la phrase « Dieu s’élève parmi les ovations » nous paraît convenir tout particulièrement pour la célébration de l’Ascension de Jésus-Christ. Même si nous devons reconnaître, malheureusement, que la royauté du Christ est encore bien discrète : les évangélistes n’ont pas de cérémonie de couronnement à raconter. Raison de plus pour lui décerner déjà ce superbe hommage qui ne fait qu’anticiper le chant qu’entonneront au dernier jour les fils de Dieu enfin rassemblés : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! »


DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Ephésiens 4,1-13

Frères,
1 moi qui suis en prison à cause du Seigneur,
je vous encourage à suivre fidèlement
l’appel que vous avez reçu de Dieu :
2 ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience,
supportez-vous les uns les autres avec amour ;
3 ayez à coeur de garder l’unité dans l’Esprit
par le lien de la paix.
4 Comme votre vocation vous a tous appelés
à une seule espérance,
de même, il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit.
5 Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême,
6 un seul Dieu et Père de tous,
qui règne au-dessus de tous,
par tous, et en tous.
7 Chacun d’entre nous a reçu le don de la grâce
comme le Christ nous l’a partagée.
8 C’est pourquoi l’Ecriture dit :
il est monté sur la hauteur, emmenant des prisonniers,
il a fait des dons aux hommes.
9 Que veut dire : « il est monté » ?
– Cela veut dire qu’il était d’abord descendu
jusqu’en bas sur la terre.
10 Et celui qui était descendu
est le même qui est monté au plus haut des cieux
pour combler tout l’univers.
11 Et les « dons qu’il a faits aux hommes »,
ce sont d’abord les Apôtres,
puis les prophètes et les missionnaires de l’Evangile,
et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent.
12 De cette manière, le peuple saint est organisé
pour que les tâches du ministère soient accomplies,
et que se construise le corps du Christ.
13 Au terme, nous parviendrons tous ensemble
à l’unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu,
à l’état de l’Homme parfait,
à la plénitude de la stature du Christ.


SUPPORTEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES AVEC AMOUR
Comme toujours chez Paul, les recommandations d’ordre moral sont d’abord une leçon de dogme : Paul contemple le mystère du projet de Dieu et il nous invite à nous y conformer ; car ce mystère se présente pour nous comme un appel auquel nous avons répondu par notre Baptême, et qui, désormais, se répercute dans toute notre vie : « Je vous encourage à suivre fidèlement l’appel que vous avez reçu de Dieu… ayez à coeur de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix… votre vocation (c’est le même mot « appel ») vous a tous appelés à une seule espérance… » Paul y insiste parce que c’est notre fidélité à répondre à cet appel qui construira l’Eglise : le mot même « Eglise », d’ailleurs (« ecclesia » en grec), est de la même racine que le mot « appel ». C’est bien le sens de tout ce passage, même si le mot « église » n’apparaît pas dans ces quelques lignes : il est remplacé par le mot « corps » : « Il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit… le peuple saint est organisé pour que se construise le corps du Christ. »
Et tout l’ensemble de ce passage est une magnifique leçon sur l’Eglise : pour décrire son mystère, Paul utilise deux termes, un corps humain et une construction1, ou, pour être plus précis, l’Eglise est un corps qui se construit comme une maison. Ce corps est un être vivant qui se développe et grandit ; cette construction exige la participation de chacun d’entre nous et un ciment de qualité. On retrouve ici la méditation de la lettre aux Romains et de la première lettre aux Corinthiens : « A plusieurs, nous sommes un seul Corps en Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part. » (Rm 12,5) ; « Vous êtes le Corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. » (1 Co 12, 27). En écho, notre texte reprend : « Il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit… Votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance…  ayez à coeur de garder l’unité dans l’Esprit par le lien (le ciment) de la paix. »
LE CORPS DU CHRIST EN PLEINE CROISSANCE
La croissance de ce corps est d’abord l’oeuvre de Dieu : « Il n’y a qu’un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous. » Et, par la grâce de Dieu, chaque membre devient capable de coopérer à la croissance du corps : « Chacun d’entre nous a reçu le don de la grâce comme le Christ nous l’a partagée. » Le texte grec dit littéralement « selon la mesure du don du Christ », c’est-à-dire sans mesure, mais chacun selon sa mission. Car, dans cette construction, tous ne jouent pas le même rôle : il y a « les Apôtres, puis les prophètes et les missionnaires de l’Evangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies, et que se construise le Corps du Christ. » Le contexte2 laisse supposer qu’il n’était peut-être pas inutile de rappeler à tous ces ministres qu’ils étaient « des dons que Dieu a faits aux hommes », et à l’ensemble de la communauté l’importance de la fidélité à ceux que Dieu lui donne pour « garder l’unité dans l’Esprit ».
Aux yeux de Paul, les ministres de l’Eglise sont un cadeau au même titre que la Loi d’Israël : comme la Loi, en effet, était le guide du peuple, désormais, ce sont les ministres ; lourde responsabilité pour eux, si l’on se souvient que la Loi était considérée comme le meilleur guide sur le chemin de la liberté. Pour faire ce rapprochement, Paul compare le Christ à Moïse en citant le psaume 67/68 qui faisait allusion au don de la Loi par Dieu à Moïse au Sinaï : « Il est monté sur la hauteur, emmenant des prisonniers, il a fait des dons aux hommes. » Dans l’Ancien Testament, on considérait en effet que l’homme ignorant de la Loi ne connaissait pas la vraie liberté, d’où le mot de « prisonnier ». Et Moïse avait été doublement libérateur en faisant sortir le peuple d’Egypte et en lui donnant la Loi à sa descente du Sinaï. A son tour, et combien plus profondément, Christ apporte la vraie liberté aux hommes, lui « qui est monté au plus haut des cieux pour combler tout l’univers. » Désormais, ceux qui sont chargés par lui de maintenir l’Eglise dans la liberté, ce sont « les Apôtres, puis les prophètes et les missionnaires de l’Evangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent. » Et Paul continue : « De cette manière, le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies, et que se construise le Corps du Christ. » Jusqu’au jour où toute l’humanité, enfin libérée, sera « réunie autour d’un seul chef, le Christ », comme Paul dit l’a dit dès le début de sa lettre (1,10) : « Au terme, nous parviendrons tous ensemble à l’unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ. »
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Notes
1 – « Supportez-vous » : c’est bien la métaphore de la construction que Paul file ici. « Supportez-vous », cela veut dire soutenez-vous mutuellement, comme les étais d’une construction.
2 – Le verset 14 semble aller dans ce sens : « Alors, nous ne serons plus des enfants, nous laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d’idées, au gré des hommes, eux qui emploient leur astuce à nous entraîner dans l’erreur. »


EVANGILE – selon Saint Marc 16,15-20

Jésus ressuscité dit aux onze apôtres :
15 « Allez dans le monde entier.
Proclamez l’Evangile à toute la création.
16 Celui qui croira et sera baptisé
sera sauvé,
celui qui refusera de croire
sera condamné.
17 Voici les signes qui accompagneront
ceux qui deviendront croyants :
en mon nom, ils expulseront les démons ;
ils parleront en langues nouvelles ;
18 ils prendront des serpents dans leurs mains,
et, s’ils boivent un poison mortel,
il ne leur fera pas de mal ;
ils imposeront les mains aux malades,
et les malades s’en trouveront bien. »
19 Le Seigneur Jésus,
après leur avoir parlé,
fut enlevé au ciel
et s’assit à la droite de Dieu.
20 Quant à eux,
ils s’en allèrent proclamer partout l’Evangile.
Le Seigneur travaillait avec eux
et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.


CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISE SERA SAUVE
L’Evangile de Marc termine comme il avait commencé : le mot « Evangile » (littéralement « bonne nouvelle » au sens de grande nouvelle du début du règne de l’empereur) apparaît trois fois dans le premier chapitre, et deux fois ici ; l’évangile commence ainsi : « Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. » (1,1), et un peu plus loin, Marc note : « Jésus proclamait l’Evangile de Dieu et disait : Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile. » (1,15). Cette reprise, bien évidemment intentionnelle, du même terme à la fin du livre laisse entendre que, désormais, les Apôtres ont pris le relais : « Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout la Bonne Nouvelle. » (sous-entendu la nouvelle que le Règne de Dieu est inauguré sur la terre).
C’est Jésus qui leur confie cette mission qui était la sienne jusqu’ici : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. » Et aussitôt il explicite ce qu’est le contenu de cette Nouvelle : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ; en d’autres termes, l’humanité est sauvée, à une seule condition, croire en Jésus-Christ. L’engrenage de la haine, des guerres, des jalousies, des violences n’est plus une fatalité à laquelle l’humanité est vouée de siècle en siècle. Jésus-Christ a cassé cet engrenage ; à sa suite, nous pouvons vivre en hommes libres à condition d’être comme lui.
C’est le sens du mot « Croire » qui signifie « adhérer, être fixé, attaché ». Comme le dit Jésus, il suffit de « demeurer » en lui, ou d’être comme le sarment attaché au cep : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance… Le sarment s’il ne demeure sur la vigne, ne peut lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi… car, en-dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,4-5).
Voilà qui permet de comprendre la deuxième partie de la phrase : « Celui qui refusera de croire sera condamné. » Nous ne sommes pas sous le couperet d’un juge qui condamne au gré de sa volonté, nous sommes entre les mains d’un Père qui accueille tous ceux qui veulent bien accompagner le Fils aîné ; mais il nous laisse libres : nous pouvons refuser et nous couper nous-mêmes de la source du salut.
LE SEIGNEUR TRAVAILLAIT AVEC EUX
Voilà donc les apôtres envoyés au monde entier, porteurs d’une nouvelle de salut. Et leur annonce est accompagnée de preuves tangibles : « Ils s’en allèrent proclamer partout la Bonne Nouvelle. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient. » Jésus le leur avait promis : « Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. » Effectivement, les Actes des Apôtres relatent des faits de ce genre : « Les foules unanimes s’attachaient aux paroles de Philippe, car on entendait parler des miracles qu’il faisait et on les voyait. Beaucoup d’esprits impurs en effet sortaient, en poussant de grands cris, de ceux qui en étaient possédés et beaucoup de paralysés et d’infirmes furent guéris. » (Ac 8,7). La possibilité de parler en d’autres langues est attestée plusieurs fois : le jour de la Pentecôte (2,4), et chez le centurion Corneille (10,46), ou encore lors de l’arrivée de Paul à Ephèse : « Paul leur imposa les mains et l’Esprit Saint vint sur eux : ils parlaient en langues et prophétisaient. » (19,6). Enfin, Luc raconte que Paul, arrivant à Malte, échappe à la morsure d’un serpent : « Paul avait ramassé une brassée de bois mort et la jetait dans le feu, lorsque la chaleur en a fait sortir une vipère qui s’accrocha à sa main… Paul a secoué la bête dans le feu sans ressentir le moindre mal. » (28,3…5).
Pour autant, Jésus ne transmet pas aux croyants des pouvoirs magiques ; Luc a retenu une de ses paroles qui met bien les apôtres en garde à ce sujet : « Je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous nuire. Pourtant ne vous réjouissez-pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » (Lc 10,19-20). Ces faits extraordinaires sont le signe que la création nouvelle est déjà inaugurée ; on entend ici résonner la célèbre prophétie d’Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâturage, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le boeuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère l’enfant étendra la main. Il ne se fera plus rien de mauvais ni de corrompu sur ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. » (Is 11,6-9). Le même Marc avait déjà fait allusion à ce vieux rêve d’harmonie universelle dans le récit des tentations de Jésus, en notant que Jésus cohabitait avec les bêtes sauvages (Mc 4,13).
Le récit d’Ascension proprement dit tient en quelques mots : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » Mais pour les lecteurs de Marc, ces mots sont lourds de sens, ils évoquent les promesses de l’Ancien Testament concernant le Messie et notamment celle du prophète Daniel (Dn 7,14) : le Fils de l’homme, venant sur les nuées du ciel, reçoit « souveraineté, gloire et royauté. » Il entend Dieu lui-même proclamer la phrase rituelle du sacre royal : « Siège à ma droite1… »
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Note
1 – Le Temple de Jérusalem, signe de la Présence de Dieu, était construit au nord du palais royal ; de l’esplanade du Temple, si l’on regardait vers l’orient, le trône du roi se trouvait donc à la droite de Dieu.


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