Le Pape François à Abou Dhabi en février 2019

Le Pape s’est rendu à Abou Dhabi (Emirats Arabe Unis) du 3 au 5 février 2019. Le Service national de la mission universelle (SNMUE) a présenté en quelques lignes ce pays et a mis en ligne une interview de Mgr Paul Hinder, 76 ans, vicaire apostolique pour le sud de l’Arabie.

Entretien

Comment s’est passée la rencontre avec les jeunes lors de la Conférence des jeunes ?

abu-dhabiCe fut un temps de rencontre très agréable avec des jeunes très enthousiastes. Environ 1500 jeunes de différents pays de la péninsule arabique y ont participé. J’ai été étonné de la joie qui rayonnait. Les deux jours étaient organisés autour de la parole de l’ange à Marie : « Ne crains pas, tu as trouvé grâce auprès de Dieu ». L’un des objectifs de la rencontre consistait en ceci : renforcer la foi et promouvoir la solidarité entre jeunes dans un contexte où les chrétiens se sentent étrangers. Ces jeunes devaient sentir qu’ils ne sont pas seuls, mais qu’ensemble, ils sont témoins du Seigneur.

En même temps que cette rencontre de jeunes, se terminait à Rome le synode sur les jeunes. Qu’est-ce qui motive des jeunes catholiques de la péninsule arabique ?

Les préoccupations quotidiennes jouent un grand rôle. Pour les uns, selon leur âge, c’est le souci de leur profession future qui est premier, comment vont se passer les études, dans quelle université ils vont étudier. Pour d’autres, l’un des problèmes les plus urgents, c’est le travail : aurons-nous une place ? Pourrons-nous garder cette place ? Car sur la péninsule arabique, les fluctuations du marché du travail sont très fortes.

Et mis à part les problèmes de la vie quotidienne ?

Le scandale des abus sexuels (par des prêtres) sur les mineurs préoccupent nos jeunes, ici comme ailleurs dans le monde catholique, même si chez nous, pour le moment, aucun cas n’a été rendu public. Mais nos jeunes apprennent évidemment sur les réseaux sociaux ce qui se passe. Nous avions à notre Conférence sur les jeunes une séance de question-réponses, et ce thème est apparu. Les doutes à ce sujet sont déjà perceptibles. En ce qui me concerne : je cherche à parler très ouvertement, et à donner des réponses dans ces situations, et je voudrais insister sur ce qui importe vraiment dans l’Église. Mais il faut reconnaitre : de tels scandales brouillent massivement l’image.

Les Émirats Arabes Unis, Oman et le Yémen – les États qui forment votre vicariat apostolique – ne sont pas précisément des états où l’on s’attend à trouver des catholiques. D’où viennent-ils exactement ?
Ce sont tous des migrants qui se sont installés ici pour un certain temps. En général, ils retournent un jour dans leur pays d’origine, ou migrent ailleurs. Mais il y a aussi ceux qui appartiennent déjà à la seconde génération de migrants. Les gens viennent surtout de l’espace asiatique, par exemple de l’Inde ou des Philippines. Certains viennent du Proche Orient, des chrétiens qui parlent arabe, de Syrie, du Liban ou de Jordanie. Nous avons aussi de manière croissante des Africains de même que des gens d’Amérique, du nord ou du sud. En général, des gens des couches sociales moyennes ou inférieures. Des ouvriers ou des employés domestiques.

Y a-t-il parmi les catholiques de grands écarts sociaux ?

Comparée à d’autres pays, à mon avis, la situation ici est plutôt plus égalitaire. Mais on ne voit pas la pauvreté inscrite sur le front des personnes, en général. Nous avons parfois à faire à des gens, qui ont de gros problèmes financiers. Autant qu’il est possible, nous tentons alors de leur venir en aide. Parfois, l’aide consiste à dire aux gens que le mieux pour eux, c’est de retourner dans leur pays d’origine. C’est toujours mieux que de rester ici, de continuer à s’endetter et éventuellement de terminer en prison.

Le territoire de votre responsabilité est très étendu. A part des rencontres comme cette conférence des jeunes, comment manifestez-vous votre présence auprès de vos diocésains ?

Je visite très souvent mes communautés. En plus de la visite pastorale annuelle, pour laquelle je passe au moins 3 ou 4 jours dans la paroisse, dans les grandes paroisses une semaine, je visite les communautés entre temps, pour des occasions spéciales. J’assure moi-même les confirmations. Précisément dans les situations de minorité, il est essentiel pour les diocésains de sentir que l’évêque est là pour eux, qu’il les écoute et qu’il n’a pas peur de se déplacer.

A quoi ressemble, dans ce contexte de diaspora absolue, la vie des communautés ?

Nous avons des centres paroissiaux. Dans les Émirats Arabes Unis, nous avons pour le moment 8 paroisses, on érige actuellement la neuvième dans la région ouest d’Abu Dhabi. Ce sont souvent de « grosses paroisses », la paroisse de la cathédrale d’Abu Dhabi est énorme. Encore plus grande que Sainte Mary à Dubaï : on y recense 300 000 catholiques. C’est évidemment un grand défi d’y organiser toutes les messes. En plus il y a les bénévoles qui assurent la catéchèse à environ 10 000 enfants. Les bénévoles assurent une grande tâche. Nous les soutenons du mieux que nous pouvons.

Comment ces personnes vivent-elles leur foi ? En comparaison de régions traditionnellement imprégnées de christianisme ?

Cette situation qui consiste à être transplanté dans une autre culture, avec une religion majoritaire différente, a certainement un effet stimulant. Des prêtres coopérateurs venant d’Inde ou des Philippines m’ont dit que leurs concitoyens vivent ici leur foi d’une manière bien plus intensive que dans leur pays d’origine. La situation de minoritaires est pour beaucoup un défi positif, qui les conduit à approfondir leur foi. Les gens sont aussi motivés pour coopérer. Nos Églises sont en général pleines, parfois même sur occupées. Quand on voit l’enthousiasme des gens, c’est une vraie joie de célébrer des messes avec eux. On sent également dans les discussions avec les gens, cet effort pour vivre une relation authentique avec le Christ.

Les États du Moyen Orient ne passent pas pour être des modèles en matière de liberté religieuse. Jusqu’à quel point est-il dangereux d’y être chrétien ?

Cela dépend des pays. Dans les EAU, il n’y a aucun problème. Je peux m’y déplacer et me présenter comme chrétien. Simplement il ne faut pas faire de prosélytisme parmi les musulmans. Cela est strictement interdit. Les signes religieux, s’ils ne sont pas des provocations, peuvent être montrés. De nombreux chrétiens ont dans leur voiture un rosaire pendu au rétroviseur. Je peux aussi me promener sans problème en habit religieux. Cela est différent dans d’autres pays de la péninsule, par exemple en Arabie saoudite.

Les chrétiens ont-ils peur d’éventuelles attaques islamistes ?

Ici dans les EAU, nous sommes dans cette situation heureuse parce que la sécurité est très bonne. Je me sens ici aussi sûr qu’en Suisse, peut-être même plus. Cela ne signifie pas qu’il en va de même dans les autres pays.

Pour les USA et les pays d’Europe, les États arabes sont des partenaires économiques et commerciaux. Mais ces pays sont en général gouvernés d’une manière autocratique, ce qui au fond contredit les valeurs occidentales. Comment le monde occidental devrait-il se comporter avec les États arabes ?
Je ne peux pas donner de conseil sur ce sujet. Mais parfois je suis surpris à quel point les États occidentaux modifient leur position rapidement lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre des intérêts économiques et les valeurs fondamentales. Alors je me demande si cela ne demanderait pas un peu plus de courage et de résistance…

Le Yémen est le théâtre d’une guerre depuis des années. Une coalition de plusieurs États arabes lutte là-bas contre les rebelles Huthi. Dans cette alliance militaire, se trouvent aussi les EAU. Quel est votre espoir d’un cessez le feu rapide ?
Je ne m’attends pas à ce que la guerre prenne fin rapidement, car les fronts se sont durcis et aucune partie ne peut ou ne veut perdre la face. Si un compromis devait s’imposer, par lequel chaque partie pourrait se considérer comme le vainqueur, alors on pourrait avoir rapidement un armistice et ensuite on pourrait avoir une paix durable. Les gens au Yémen ont besoin de paix, de telle manière que le pays détruit puisse progressivement être rebâti.

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