En Ehpad, prendre en compte la singularité des nouveaux résidents

Mains vieillissementL’arrivée en EHPAD d’une personne fragilisée constitue un traumatisme intense, à la fois pour elle et pour son entourage. Une réflexion autour de l’adaptation de l’institution à ce nouveau résident suppose d’abord de comprendre qui est cette personne transformée par l’avancé en âge, ensuite d’envisager l’accueil comme une rencontre, et enfin de favoriser son ancrage au sein du collectif de l’EHPAD – cet Espace Humain de Parole et d’Accueil de son Désir.

Un sujet âgé transformé par l’avancée en âge jusque vers la mort !

Je ne peux pas commencer cette réflexion sur l’adaptation de l’EHPAD au nouveau résident sans m’intéresser en premier lieu à l’avancée en âge, la transformation d’une personne, d’un sujet, son évolution, sa métamorphose… S’installe, peu à peu,  un processus de  pertes successives qui peut, à un moment donné, se traduire par la perte d’équilibre, une chute, ou des chutes répétées. Cet ébranlement de la stature verticale, du  « debout »,  est signifiante de cette étape qui  conjugue le moins : moins vite, moins faim, moins loin, moins d’en-vie, moins d’entrain, moins d’ élan ; de moins en moins de mémoire : Réduction, diminution, restriction, rétrécissement, tassement, amenuisement.

Dans cette cascade et cet enchaînement de pertes, se dévoile petit à petit une personne différente : « Je ne le reconnais pas ». Apparaît clairement, à cet instant, la destination, la direction, l’orientation qui se profile : c’est à dire la mort. Plus rien n’est comme avant, pour elle et ses proches, pour tous ceux qui l’aiment ! Celle ou celui qui m’a donné mes repères les perd…

Le projet d’admission en EHPAD est la plupart du temps ouvert, acté, dans ce contexte de crise (au sens étymologique d’une séparation), dans un ressenti émotionnel mélancolique, une anxiété croissante. Ce projet d’admission arrive donc car tout s’ébranle, tout tremble, tout s’effondre, tout inquiète, … Impossible de durer, de rester…

La plupart du temps, une hospitalisation survient (souvent via les urgences, rarement programmé) :  une rupture : changement d’espace, de lieu, de repères. Changement non anticipé, non désiré, subi donc.

 

  • S’adapter, c’est accueillir, c’est rencontrer une personne et son système familial.

S’adapter, c’est penser l’accueil de ceux qui font les démarches d’admissions, souvent effectuées par les proches. C’est organiser, structurer, faciliter les démarches administratives pour les humaniser :  organiser une disponibilité pour répondre aux questions, adresser un livret d’accueil par courriel, par courrier, faciliter la visite de l’établissement avant même l’établissement du dossier. C’est proposer et EXIGER une visite de la personne âgée dans l’établissement avant toute décision d’admission.

Pourquoi une visite ? La visite de pré admission va être le moment décisif du début d’une RENCONTRE. Il est ESSENTIEL de considérer la personne (en latin « cum- sidere », s’asseoir avec elle) quelque soit ses capacités, quelque soit ses déficits. L’enjeu, c’est elle :  sujet de son a-venir, de ce qu’elle va ad-venir. Et pour qu’elle puisse appréhender, approcher, comprendre ce qui est en jeu, il est décisif qu’elle voit, qu’elle entende, qu’elle sente, qu’elle ressente, qu’elle touche, qu’elle parle, qu’elle manifeste cette visite, qu’elle en dise quelque chose, même si c’est pour « rabrouer » les participants à cette visite ( ce qui n’est pas rare).

Ce temps de visite, de rencontre, est l’amorce d’un travail psychique, émotionnel, affectif qui se met en mouvement, qui se met en travail. C’est le début d’un apprivoisement, d’un compagnonnage, d’une recherche d’alliance, d’un « accordage affectif » dit Louis PLOTON, psycho-gériatre à Lyon. …Cette RENCONTRE va faire l’objet d’une trace la plus précise possible où vont être soulignés et consignés les éléments de l’histoire de vie de la personne :  le système et la dynamique familiales, la place de chacun (élaboration d’un génogramme), les traumatismes éventuels (deuils), la vie professionnelle, les passions. Va être, également recueillie, une première évaluation de ses besoins d’un point de vue physique, psychologique, social et spirituel. Ce recueil permettra, le jour de l’admission, d’ajuster les premiers jours, de faciliter les premiers pas. Cette rencontre est indispensable pour éclairer la suite du chemin.

S’ouvre avec le jour de l’arrivée dans l’établissement, une histoire, un compagnonnage déjà amorcée par la visite.

 

  • Prendre en compte la singularité d’un nouveau résident, c’est favoriser son ancrage du sujet dans l’EHPAD, un Espace Humain de Parole et d’Accueil de son Désir.

Un Espace.

D’abord l’espace de la chambre, le lieu de l’intime. Chaque professionnel est invité à le « sanctuariser » ! Les espaces communs doivent être contenants, à taille « domestique ». Les petites unité de vie permettent la prise de repère.

Humain : un Espace Humain :

Cette personne, que je découvre, a une trajectoire singulière à respecter pour elle-même. Alchimie entre l’individuel et le collectif ( dont le projet de vie individualisé sera l’articulation), entre le singulier et le pluriel, entre l’intime et le commun. Être soi, c’est à la fois être seul mais aussi être reconnu et aimé. Nous avons à lui manifester notre fraternité !

Sa présence à l’étape de la fin de vie (et l’entrée en EHPAD la rend explicite) marque sa finitude, la faille qui la marque[1] dans cet itinéraire de la naissance à la mort.

Cette personne que j’accompagne porte en elle une capacité créatrice souvent insoupçonnée. Surprise qui surgit parfois là où on ne l’attend pas, là où tout ne parait qu’impasse, qu’épreuve, qu’enfermement.

Parole : un espace humain de parole.

C’est ce qui lui permet de dire JE, de dire « c’est moi ». De dire : « Ce sont mes affaires ».  D’abord, la loi inscrit la parole des résidents au sein des directives anticipées, de la personne de confiance, du projet de vie individualisé, du conseil de la vie sociale, des commissions restauration. Cette dimension institutionnelle d’inscription  dans la vie de l’EHPAD, est centrale : le résident est l’acteur principal !

Mais il y a le quotidien :  l’échange, le regard, le lien. C’est l’enjeu de la présence à l’autre. Et quand les mots manquent (le manque du mot) et que les troubles du langage s’installent, l’enjeu va être, d’écouter la personne…Ce qu’elle dit, ce qu’elle fait, ce qu’elle refuse, ce qu’elle pense. Quelques exemples :

Un directeur qui décide une admission doit recueillir le consentement de la personne. Lorsque qu’elle n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté et/ou de participer à la décision, le consentement de son représentant légal « doit être recherché ». J’ai accompagné certaines personnes âgées et leur entourage sur une année (3 visites de pré admission) pour mettre en travail le projet… Adaptation !

Mais il m’est également arrivé de décider une admission d’une dame qui avait exprimé un refus parce que l’analyse de sa situation  (logement, isolement, état de santé, épuisement des professionnels, des aidants à domicile ) nous a paru évidente :  son accueil était la solution la moins mauvaise au titre d’un non abandon de cette personne.

Lorsqu’un monsieur qui a une contention[2]  pelvienne au fauteuil (roulant) vous dit : « Vous n’avez pas des ciseaux ? », c’est difficile !  Une fois l’explication dite et redite, cela peut se conclure par une promenade de quelques minutes ou la participation à la distribution du courrier avec la personne qui est en est chargée. Adaptation !

Lorsqu’une personne qui, suite à un AVC, est alimentée par une sonde de gastrostomie et qui est sensée ne plus rien avaler par la bouche compte tenu des risques de déglutition, que cette même personne dévore les petits fours amenés par une de ses visites à l’insu de toute le monde, nous revoyons notre projet de soins et un projet d’alimentation plaisir est initié ! Adaptation !

Communiquer, c’est utiliser l’écrit, les schémas pour faire mémoire, pour faire rappel d’un soin, d’un événement, d’un rythme : aller aux toilettes, entretien avec la psychologue, la demie journée au PASA. L’utilisation de l’agenda est un outil précieux pour inscrire les personnes dans le temps : les visites passées et à venir, les rendez vous.

Accueil de son Désir :  un espace humain de parole et d’accueil de son désir.

Il me semble que je le désir traverse tout mon propos depuis le début : Désir de l’autre, Désir de lien, Désir de reconnaissance. Désir de vivre et (paradoxalement) mêlé à celui de mourir parfois explicité clairement : « je veux mourir », « je veux partir », » si j’avais su », « quand est ce qu’il vient me chercher ? ». Face à ces expressions, il y a une attitude d’accrochement à la vie.

Parce que le centre, le nœud, l’enjeu de ce qu’il reste à vivre, c’est d’envisager la mort qui s’approche, l’apprivoiser, vivre avec, ou nous pouvons dire aussi lever les yeux vers elle. Notre accompagnement commun va être de permettre ce regard, de créer les conditions d’une parole sur la mort et interpréter un refus d’alimentation, un refus de traitement ou un refus de soins :

Dans cet accompagnement, le chemin n’est pas tracé. Il s’invente, il s’adapte pour chacun des résidents avec ce qu’ils sont, ce qu’ils ont été, ce qu’ils souhaitent (ou pas). L’interrogation crée de l’incertitude qui est inconfortable. Cet inconfort est parfois insupportable pour certains professionnels ou à certaines périodes de leur vie. Cela oblige l’institution à soutenir les professionnels par l’analyse de la pratique et la formation.

L’adaptation, le cheminement avec la personne fragilisée, est un mouvement   qui s’inscrit sous l’horizon de la mort à venir. Il considère  le sujet comme le guide du chemin, qui impulse le rythme, la direction. Il prend en compte la dynamique familiale et s’il il n’y en pas, il propose une présence par l’intermédiaire de bénévoles. La parole du sujet est décisive. Cette progression peut tâtonner,  chercher. Elle implique des risques qui sont réfléchis et assumer par les uns et les autres.  L’autre nous oblige.  Ce chemin fraternel l’honore.

 

Régis Chazot[3]

[1]Laure MARMILLOUD,  « Soigner, un choix d’humanité », VUIBERT, 2007, p.29 et 101

[2] Les contentions font l’objet de recommandations réglementées.

[3] Après 30 ans comme infirmier, cadre de santé et directeur d’EHPAD, Régis Chazot est formateur dans le secteur sanitaire et médico-social. Il intervient également pour des services diocésains, des congrégations… autour des questions du vieillissement, de l’éthique et du besoin spirituel. Il est diacre de la Mission de France depuis 2002.

à consulter sur le sujet

DSE doctrine sociale

dans les diocèses

Je suis hospitalisé et je souhaite la visite d’une personne mandatée par l’Eglise

Une visite est toujours possible. S’adresser d’abord au personnel soignant pour savoir s’il existe un service d’aumônerie ou des bénévoles mandatés par l’Eglise catholique.

Etre visité par un ministre de son culte fait partie des droits du patient hospitalisé, selon la Constitution, la loi 1905, le Code de Santé publique… Votre demande sera bien accueillie par le personnel soignant.

S’il n’y avait pas de visiteurs mandaté par l’Eglise pour assurer une présence à l’hôpital, contacter le diocèse et demander des renseignements au service diocésain « Pastorale de la Santé ».

Je suis à domicile ou en EHPAD et je souhaite être visité

Une visite est toujours possible. S’adresser d’abord au personnel soignant pour savoir s’il existe un service d’aumônerie ou des bénévoles mandatés par l’Eglise catholique.

Etre visité par un ministre de son culte fait partie des droits du patient hospitalisé, selon la Constitution, la loi 1905, le Code de Santé publique… Votre demande sera bien accueillie par le personnel soignant.

S’il n’y avait pas de visiteurs mandaté par l’Eglise pour assurer une présence à l’hôpital, contacter le diocèse et demander des renseignements au service diocésain « Pastorale de la Santé ».