Mourir dans la dignité c’est jouir d’une pleine considération et inspirer le respect

Soins palliatifs

La « fin de vie » est une question angulaire de la vie sociale. Son traitement doit être à la mesure de l’enjeu supérieur qu’elle constitue pour l’avenir de l’humanité. La réponse qui lui est apportée concerne la société tout entière et ses fondations premières ; elle doit être digne de la personne et digne de l’humanité universelle dont celle-ci participe.

Les débats récents et plusieurs annonces publiques montrent l’urgente nécessité d’une parole de sagesse, audible, sur la fin de la vie humaine. De nombreuses idées réductrices, maints travestissements des faits circulent fréquemment dans certains médias, suggérant que la manière la plus efficace de lutter contre la souffrance serait de causer délibérément la mort. Il convient d’abord de relever la méprise dont est aujourd’hui l’objet l’expression « Mourir dans la dignité ». Non, mourir dans la dignité, ce n’est pas être supprimé par une piqûre létale mais c’est, que l’on soit ou non en état d’exprimer sa volonté, jouir d’une pleine considération, retenir l’attention, inspirer le respect, voir maintenue la relation avec ses proches, en recevoir l’affection, bénéficier d’amour et de soins jusque dans les ultimes moments ; c’est être le sujet, à domicile comme en institution, d’un accompagnement adapté aux situations d’angoisse et de souffrance intolérables.

Malheureusement, ainsi que plusieurs enquêtes récentes l’ont montré, la fin de vie est encore, dans notre pays, trop souvent maltraitée. La mise en place des soins palliatifs et l’exercice d’accompagnement exigent des efforts constants. Ils ont un coût élevé pour la société et demandent davantage de présence de la part des proches. Pourtant, celui qui accompagne dans ses dernières semaines une personne proche, parente ou amie, éprouve ‘expérimentalement’ l’imprescriptible dignité de chaque être humain. Celle-ci transcende l’état de santé du moment et la beauté du corps, la dépendance et l’absence d’espoir de guérison. Plus encore, en vertu de soins palliatifs appropriés, les derniers jours atteignent une valeur inestimable de communion humaine. Ainsi, dans la plupart des cas observés, les demandes d’euthanasie résultent de la méconnaissance par le patient en fin de vie ou par ses proches des possibilités de soulagement par les soins palliatifs, ou encore des insuffisances dans la prise en charge par l’institution médicale et par la famille. Il est remarquable que le nombre des demandes d’euthanasie diminue de facto aussitôt que les mesures d’accompagnement appropriées sont mises en œuvre.

Prenant le parti d’une approche globale de la personne et suivant l’intention de soulager les douleurs physiques autant que la souffrance psychologique, la loi dite « Léonetti », trop peu connue et appliquée, demande que soit favorisé l’accès aux soins palliatifs, tout en récusant l’acharnement thérapeutique. Jusqu’à une époque récente, le droit répugnait à régir trop étroitement ces questions, comme d’ailleurs celle de la définition de la mort, fondant la qualification juridique sur la seule appréciation médicale. Si cette retenue n’est désormais plus justifiable, il convient néanmoins de rappeler fermement que le droit n’a pas, par nature, la réponse à toutes les questions que pose la « fin de vie » et que le législateur est souvent confronté à de grandes difficultés pour traduire en termes juridiques les enjeux anthropologiques ici impliqués. D’autant que la question ne se pose pas exactement dans les mêmes termes selon que le patient se trouve ou non dans un état conscient

Face à un patient conscient, la question juridique peut paraître réglée par le principe de l’autonomie de la volonté : il suffirait seulement de concilier le droit des patients avec les obligations des médecins. Le droit est habitué à opérer des conciliations entre des principes en apparence opposés (par exemple liberté du travail et droit de grève). Mais il les résout en général par un recours au juge. Ici, par prudence, la loi Léonetti a voulu ajouter aux obligations des médecins celle de respecter l’avis d’un malade exactement informé. Nous ne pensons pas qu’il faille remettre en question un équilibre si délicat.

Concernant le patient inconscient, le droit ne peut que reconnaître la faiblesse des instruments juridiques habituels. Il est difficile de poser ici un principe absolu de respect des « dernières volontés » dès lors que ceux qui les expriment pourraient ne pas être informés sur les données exactes de la situation subie ; c’est pourquoi la loi Léonetti exige que les « directives anticipées » du patient datent de moins de trois ans. Il est également difficile de recourir à la notion de représentation (la charge pesant sur le représentant est alors quasi surhumaine) ; aussi la loi Léonetti donne-t-elle à la « personne de confiance » un rôle purement consultatif. Peut-on alors faire peser la charge de décision uniquement sur les médecins? On pourrait sans doute arguer que les protections posées à l’égard de cette prise de décision (collégialité et transparence) sont insuffisantes et imparfaites. Mais quels autres mécanismes le droit pourrait-il inventer?

Nous considérons ainsi fermement que l’autorisation par la loi civile de la pratique de l’euthanasie lèverait un interdit social et moral fondamental, pilier de toute société avancée : « Tu ne tueras pas », et pourrait engendrer de nombreuses dérives. Dans les pays qui ont fait le choix de la légalisation, on observe déjà de nombreux abus sur la liberté des personnes. En vérité, la légalisation de l’euthanasie constitue un moyen au rabais et trompeur de faire face aux difficultés ; si elle était adoptée dans notre pays, elle ne ferait que retarder la mise en place de mesures permettant d’améliorer de manière durable la fin de vie de nos concitoyens ; elle entraînerait, ici comme ailleurs, une moindre responsabilité des proches.

Notre société ne peut continuer à définir ses lignes d’action à partir d’une philosophie généralisée de la « maîtrise ». Elle ne saurait se mentir à elle-même face à la complexité irréductible de l’homme, de la vie et du monde. Elle ne saurait, sans dommage, partager l’illusion selon laquelle l’être humain peut vivre sans souffrir, et maîtriser son ultime destinée : mourir quand on veut, comme on veut. Prenant acte des effets catastrophiques qu’une telle philosophie a déjà entraînés sur les plans anthropologique et écologique, une saine réflexion doit plutôt traduire au plan juridique une position de prudence, refondatrice du rapport au monde. C’est donc pour des motifs puisés dans la raison et la sagesse que la société doit préserver, à même sa législation, le sens transcendant de la vie. C’est en effet devant un choix de civilisation que nous sommes placés.

Face à ces enjeux de la plus haute gravité, les intellectuels chrétiens veulent faire entendre des paroles de responsabilité, de courage et d’espérance. L’Académie catholique de France estime de son devoir d’encourager une réflexion ouverte, éclairée et audible sur le sens de la « fin de vie » ; elle souhaite, à l’écart des vaines rhétoriques et des instrumentalisations spectaculaires, voir ses considérations prises en compte et son argumentaire largement assumé.

Paris, le 19 juin 2012

 

L’académie catholique de France a vu le jour en 2008. Ce « comité des sages » est composé de personnalités catholiques de différentes disciplines, scientifiques, philosophiques théologiques, artistiques et juridiques, et dont l’œuvre est reconnue. Ses missions sont, notamment, de représenter l’excellence disciplinaire dans une instance de conviction catholique et de faire avancer la réflexion sur des thèmes choisis, d’actualité intellectuelle ou sociale. Elle a publié le 19 juin 2012, une déclaration sur la « Fin de vie ».  

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