« Le cri du monde agricole » par Mgr Podvin

Je sors de la cathédrale de Rodez après une très belle action de grâces partagée entre le diocèse et son évêque partant en retraite. Heures ensoleillées d’émotion et de fraternité. Un agriculteur aveyronnais vient à ma rencontre. Je perçois sur son visage un immense besoin de confier des choses lourdes. Il est éleveur. Il est diacre permanent. Il me décrit la situation difficile dans laquelle se trouve sa profession. Le ton n’est pas celui de la revendication. Ce qu’il me dit n’est pas un récit convenu ou litanique. J’entends un appel plus grave, plus profond. Ce diacre est vraiment dans l’exercice du service que l’Eglise lui a confié. Il est héraut de la terrible blessure d’une corporation. Il évoque les suicides nombreux…. Entre 60 et 80% plus élevés que la moyenne des autres catégories socio professionnelles ! A chaque fois, tel confrère a craqué sous l’engrenage… J’ai devant moi un homme du métier et un homme de Dieu. La souffrance de ses pairs le dépasse. Il vient comme la déposer au coeur de ce temps fort diocésain. Il sait que je suis porte-parole de l’épiscopat. Il me remet cette immense plainte, comme une épuisante Prière universelle à relayer en tous lieux où je me rendrai. Je recueille ses mots. Il voudrait tant que les maux, dont ils sont l’écho, soient un peu mieux saisis dans leur acuité. Oui, chers lecteurs, prenons le temps d’entendre ce cri au delà d’une conjoncture.

Certes, la sécheresse, si elle persiste, sera un facteur aggravant pour l’état économique et social du monde agricole. Mais la crise est antécédente et chronique. On aurait tort de reléguer les expressions de ce diacre au simple chapitre de revendications corporatistes. Elle est trop facile, la boutade selon laquelle « le paysan se plaint toujours ». On n’a pas le droit d’esquiver le débat par une pirouette oratoire indécente. Les métiers de la terre vont mal. Si certains d’entre eux ne sont pas en détresse, raison de plus pour nous préoccuper de ceux qui, en leur sein, n’en peuvent plus! Il n’est pas honnête d’invoquer les disparités des agriculteurs entre eux pour ne pas les écouter. Il y va de notre relation à la création. A l’environnement. A l’espace rural. A la fraternité !

Le paysan souffre de trois S. Le surmenage, le surendettement, la solitude. S’y ajoute un quatrième, la sécheresse. Comment peut-il tenir psychiquement quand il entend la radio lui répercuter, sur son engin agricole, une actualité faite de bling bling aux couleurs arc en ciel politicien, et de paillettes festivalières. Qui le comprendra ? La sirène populiste? On mesure pourquoi Benoît XVI évoque l’urgence d’une « écologie humaine ». C’est à dire venant réconcilier l’humain et l’environnemental. Et non dans sa réduction idéologique ambiante. La détresse des ruraux ne peut laisser indifférents. Elle revêt un caractère existentiel aigu. C’est une erreur, de la part d’une société à dominante urbaine, de ne pas prendre aussi pour elle le désarroi de certains acteurs des campagnes. Dans l’interdépendance d’aujourd’hui, nous sommes tous concernés par tous ! On m’objectera la réussite florissante d’un certain rural ? Raison de plus pour entendre le rural dont la pudique détresse ne parvient pas à se verbaliser.

L’enjeu est social. Mais aussi spirituel : chaque eucharistie est offrande du fruit de la terre et du travail des hommes. Impossible d’y méconnaître, dans le Christ, le visage de ceux qui paient de leur vie le fruit de ce travail ! Signe des temps : beaucoup de personnes, pour leur équilibre de vie, renouent avec un potager, un espace vert à entretenir. Ce témoignage sonne juste dans une société de béton et d’ordinateurs. N’est-ce pas la preuve qu’on ne peut jamais congédier l’homme de l’environnement? Mais le placer devant sa redoutable responsabilité. Merci à ce diacre de Rodez. Je prie pour lui et ses collègues !

Père Bernard Podvin
La Croix du Nord (édition du 13 au 19 mai 2011)
 

Réflexion de Mgr Bernard Podvin au sujet des difficultés rencontrées par le monde agricole, parue dans La Croix du Nord (édition du 13 au 19 mai 2011).
 

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