L’aventure fabuleuse de la fragilité

fragilitesinterdites-1Dans un contexte de terrorisme et de montée des discours anti pauvres et anti migrants, le colloque de l’Arche des 26-27 novembre aux docks de Paris a rappelé que la fragilité est la pierre d’angle pour construire la paix et la fraternité. Et ce, non à partir de belles idées mais d’expériences vécues.

Par Chantal Joly

« Des petites pépites de lumière » ; c’est ainsi que Pierrette, une retraitée de Carcassonne  récemment engagée au Secours Catholique dans l’accompagnement vers l’emploi résume la riche journée de la veille. Elle retient particulièrement deux « pépites » : la conférence de Patrick Viveret, « à l’opposé des grands discours mais ancrée dans une vraie expérience » et, dans son atelier « Fragilité et transcendance », le parcours d’une autre philosophe, Agata Zielinlski, universitaire brillante transformée par sa découverte du monde des soins palliatifs.

Ce dimanche, c’est un sage qui lance la matinée, un homme dont la carrière toute tracée a elle aussi basculé, il y a 52 ans, grâce à la rencontre avec deux personnes fragiles. Comme dans le fameux « tout est relié » de l’encyclique Laudato Si’ du Pape François -qu’il cite avec Mandela, Luther King et Gandhi-, Jean Vanier, fondateur de L’Arche, médite sur les oiseaux de son jardin et la culture contemporaine de la performance, en passant par le scandale des bidonvilles, Auschwitz, le baptême d’une pensionnaire de L’Arche, Pauline, et François d’Assise. Mais le fil rouge est le même : comme dans la nature où même les petits insectes ont leur place, « chaque personne humaine est importante ». L’auditoire est interpellé : « Quel est le chemin pour être vacciné contre la barbarie qu’évoquait Patrick Viveret hier ? ; Est-ce que vous savez qu’un milliard de personnes dans le monde vivent dans des bidonvilles et que ça s’accroît de 100. 000 personnes par jour ? » ; « Est-ce qu’on laisse la culture de la paix aux politiques ou aux militaires ou est-ce aussi à toi et moi ? » ; Comment transformer l’étranger et l’étrange, cet ennemi en frère ? » Jean Vanier donne quelques solutions à la portée de la conscience (la « petite voie intérieure ») de tout un chacun : « Il faut descendre de nos murs de supériorité » ; « Il faut des communautés où on peut se rencontrer différents » ; enfin « Il faut travailler à être des hommes et des femmes intériorisés ». Et dans une société déçue des idéologies et qui cultive le désenchantement, il n’hésite pas à déclarer : « Nous avons une utopie : il est possible de changer le monde.[…] « Nous pouvons devenir des messagers de paix dans un monde de guerre ».

La différence, c’est ça le bonheur !

Cette utopie s’incarne déjà, ainsi que le prouve la table-ronde qui réunit quatre binômes d’aidants/aidés devenus, au fil d’un parcours de confiance au sein de leurs associations, des amis. Puis quatre grands acteurs du monde associatif illustrent la valeur des personnes dites en fragilité pour notre monde. Laurent de Cherisey, fondateur de la première communauté de vie Simon de Cyrène cite Fabien déclarant à l’Elysée : « Moi, mon handicap, c’est que je suis lent mais le handicap ne l’est pas toujours, quand des amis sont là le repas dure plus longtemps. Je parle lentement mais les gens m’écoutent mieux ». Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde France affirme : « Nous aussi on tâtonne mais avec le souci de faire reconnaître l’intelligence des personnes en situation de pauvreté ». Eric Pliez, président du Samu social de Paris ; présente les communautés thérapeutiques de l’association Aurore qui « vont plus loin que la loi en matière de participation des usagers ». Puis Nicolas Truelle, directeur général d’Apprentis d’Auteuil, témoigne que sa fondation « construit avec les jeunes et leurs familles le chemin qui va être le leur ». Et d’évoquer l’épisode biblique de la victoire de David contre Goliath, « parce qu’il connaît son identité » et se sert de sa fronde de berger.

En fin de colloque, un message parvient aux 1500 participants de la part du parrain de la manifestation, Eric Bellion, engagé au Vendée Globe 2016 avec son association Comme un seul homme : « Il faut faire deux pas dans le noir pour découvrir que la différence, c’est ça le bonheur. […] Découvrir la  fragilité de l’autre et sa propre fragilité, c’est une aventure fabuleuse ». Hasard tout symbolique ; le navigateur s’approche alors du Cap de Bonne Espérance….

Un colloque fédérateur

Le colloque de 2016 est le 4ème de ce genre initié par L’Arche depuis 2009. Son thème « Ensemble, revisiter la fraternité » a élargi la fragilité à d’autres domaines (précarité sociale, exclusion, accueil des migrants, fin de vie, maladie psychique…). Préparé par un collectif d’associations partenaires (visibles au sein du « village » associatif), il a mobilisé plus de 200 bénévoles et rassemblé tant des philosophes que des dirigeants de grandes entreprises, des artistes (dont des personnes fragiles), des éducateurs, des sportifs, des soignants, etc. Transdisciplinaire, il était également intergénérationnel, écoresponsable et interactif (via un travail en ateliers et une fresque collaborative et des SMS et Tweets avec la salle).

Sur le même thème

  • Église en périphérie

    « La présence des catholiques aux périphéries » est une réalité au sein de l’Église en France.
    Les mouvements et associations catholiques vivent sur le terrain, la diversité des actions.
    L’Église doit être présente et annoncer de l’Évangile partout où sont les pauvres.

  • Mgr Kalist : « Handicapés ou pas, nous avons tous nos casseroles »

    Récemment nommé archevêque de Clermont, Mgr François Kalist a accompagné un groupe de 32 personnes du diocèse de Limoges au rassemblement « Avec un handicap, passionnément Vivants » (Lourdes, 12-15 septembre 2016). A l’issue de cette rencontre qu’il vivait en simple participant, il partage les premiers fruits et témoigne des déplacements vécus. Pourquoi avoir participé à ce […]

  • Jean Vanier : « Heureux les artisans de paix ! »

    « Heureux les artisans de paix ! » Cette Béatitude a retenti le 27 janvier grâce au fondateur des communautés de l’Arche avec une revigorante actualité. Plus de 1.100 personnes étaient venues l’écouter à la grande crypte de Saint-Honoré d’Eylau, à Paris, à l’invitation de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH). Un message fort de sagesse, de […]

  • Jean Vanier : « Les plus faibles sont vus comme un poids »

    Sous l’impulsion de Marie-Hélène Mathieu et Jean Vanier, « Foi et Lumière » naissait en 1971 à l’issue du premier pèlerinage destiné aux personnes handicapées et à leur famille. Quarante ans après, Jean Vanier revient sur cette aventure et porte un regard sans concession sur la place de la personne handicapée dans notre société aujourd’hui.

à consulter sur le sujet