Prix Goncourt et prix Renaudot 2016

couv_chanson_douce_babyloneMgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen et Président de l’Observatoire Foi et Culture, consacre une fiche aux romans des femmes récompensées en 2016 par le Prix Goncourt – Leila Slimani pour « Chanson douce » (Ed. Gallimard) – et le prix Renaudot – Yasmina Reza pour « Babylone » (Ed. Flammarion) – dans cette fiche (OFC 2017, n°9).

En novembre dernier, deux prix littéraires ont été attribués à des femmes : le Goncourt à Leila Slimani pour son saisissant roman Chanson douce (Éditions Gallimard 2016) ; le Renaudot à Yasmina Reza pour Babylone (Flammarion 2016). Les deux romans possèdent un point commun : ils racontent des faits divers tragiques vécus par des gens ordinaires. Ceux-ci traversent une vie qui semble tranquille, sans problème, mais aussi marquée par le désespoir et la solitude. Soudain, tout bascule dans un drame. Le cours paisible de l’existence humaine se dérègle et conduit à l’horreur extrême.

Leila Slimani, jeune franco-marocaine de 35 ans, est destinée à un avenir prometteur en littérature. Elle avait déjà écrit un roman remarqué Dans le jardin de l’ogre, en 2014, sur les fantasmes dévorants d’une mère de famille.

Avec son roman Chanson douce, elle décrit la « mélancolie délirante » d’une nounou, apparemment parfaite pour s’occuper de deux enfants Adam et Mila. C’est une femme attentive aux besoins de leurs parents, n’hésitant pas à travailler au-delà des horaires prévus par le contrat de travail. Elle devient en quelque sorte la véritable maîtresse de maison. Cet envahissement va s’achever dans le sang.

Dès la première page du roman, le lecteur est averti du drame qui va se jouer dans un contexte pourtant lisse et sans histoires : l’assassinat des deux enfants par la nourrice qui est censée en prendre soin. L’histoire qui se développe ensuite est d’une grande dureté.

On apprend que la vie de Louise ne fut pas de tout repos auprès d’un mari aigre et vaniteux qui l’humiliait. Après la mort de celui-ci, « la solitude s’est révélée, comme une brèche immense, dans laquelle Louise s’est regardée sombrer » (p. 101-102). La fille de Louise, adolescente, a été renvoyée du lycée et est disparue depuis.

Le titre Chanson douce peut étonner compte tenu de la tonalité si effrayante du roman. Leila Slamani fait, en effet, dans ce récit, la peinture sociale d’un couple, Myriam et Paul, obsédé par le confort et par les préjugés, prisonnier de tâches, d’engagements à remplir, de rendez-vous d’affaire à ne pas manquer : « Myriam et Paul sont débordés. Ils aiment à le répéter comme si cet épuisement était le signe avant-coureur de la réussite. Leur vie déborde, il y a à peine la place pour le sommeil, aucune pour la contemplation. Ils courent d’un lieu à un autre, changent de chaussures dans les taxis, prennent des verres avec des gens importants pour leurs carrières » (p. 118).

Avec des phrases courtes et de multiples images, ce livre agréable à la lecture n’en décrit pas moins notre époque avec ses conceptions de l’amour et de l’éducation des enfants, ses préjugés, sa dépendance à l’argent.

Le prix Renaudot attribué à Yasmina Reza décrit aussi notre époque troublée. Yasmina Reza est née à Paris en 1959. Elle est un auteur à la production très éclectique (romans, pièces de théâtre, scénarios de films). Sa pièce Art (1994) est une réussite internationale qui la fait connaître du grand public. Ses oeuvres, adaptées dans plus de trente-cinq langues, ont reçu de nombreux prix, dont des prix anglo-saxons prestigieux.

Yasmina Reza développe dans Babylone une intrigue savoureuse, mettant les scènes de la vie ordinaire et les personnages eux-mêmes ordinaires à l’épreuve de l’inattendu. C’est un roman captivant et grinçant, parfois drôle et mordant, avec des questionnements sur la vie, l’amour et la mort. Dès les premières pages apparaît une sorte de mal être : « Quelle importance ce qu’on est, ce qu’on pense, ce qu’on va devenir ? On est quelque part dans le paysage jusqu’au jour où on n’y est plus » (p. 12) ; « Quand je serai sous terre, qu’est-ce que ça changera ? Tout le monde se foutra que j’aie su ou non être heureuse dans la vie, et moi je m’en foutrai pas mal ? » (p. 13).

Plusieurs thèmes traversent le roman : la solitude et l’exil, les conséquences d’une parole de mépris et d’humiliation en public, l’identité humaine.

La solitude est le sentiment de n’être rien pour personne, d’être comme en exil sur cette terre. Le titre Babylone illustre parfaitement ce sentiment de solitude. Il fait référence au psaume 137 : « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion. » Élisabeth, la narratrice, évoque ce que disait Jean-Lino avec qui elle a noué une relation d’amitié. Lorsqu’il était enfant, « son père, de temps à autre après le repas du soir, prenait le livre des Psaumes et lisait un passage à voix haute. Le galon marque-page ouvrait toujours au même endroit. Il ne venait pas à l’idée de son père de la déplacer, de sorte qu’il lisait toujours le même verset, celui de l’exil. (…) Jean-Lino entendait gronder le pluriel des fleuves. (…) Jean-Lino ne comprenait rien aux vers que son père lisait (son père non plus selon lui) mais il aimait entendre les phrases venues du passé. Il se sentait participer à l’histoire des hommes même au fond de la cour Parmentier, et il s’assimilait aux trimballés, aux apatrides. » (p. 153-154). Le temps est assassin et conduit finalement à nous exiler de nous-mêmes.

Le thème du rire et du mépris. Le roman bascule au moment où amis et voisins se retrouvent pour une soirée bien arrosée. Jean-Lino, « empourpré par le champagne ou par l’excitation d’être en société », raconte à tous les invités une scène vécue dans un restaurant avec son épouse. Ce qu’il relate est tout à fait banal et apparemment sans conséquences et pourtant son épouse Lydie est humiliée. La suite sera dramatique.

Le thème de l’identité humaine. On pourrait lire ce roman en pensant à plusieurs facettes de l’identité. L’identité personnelle, avec l’importance donnée au physique. Les personnages sont décrits avec minutie. Jean-Lino offre un visage grêlé qui révèle bonté, souffrance, gaieté ; Lydie, l’épouse de Jean-Lino, est habillée à la gitane et couverte de breloques, etc. ; l’identité familiale ou de filiation que nous ne choisissons pas. La narratrice parle à deux reprises du décès de sa mère survenue il y a dix jours, de Jeanne sa soeur, de Rémi l’enfant de Jean-Lino et de Lydie ; l’identité sociale avec les relations de travail et de loisirs, l’appartenance à des groupes ou à des styles de vie. Lydie ne mange que du poulet biologique, Ginette Anicé, l’aide-soignante ne s’intéresse qu’aux drames de la vie courante…: « Ça remplit la journée, on en discute. On ne pense plus à ses misères » (p. 35) ; enfin l’identité qui renvoie aux idéaux, aux grands principes, au rapport à la mort, etc.

Sans parler de chefs d’oeuvres, ces deux romans nous apprennent beaucoup sur l’âme humaine, sur l’époque actuelle, sur la recherche spirituelle où Dieu semble hors de propos.

Mgr Hubert Herbreteau

Evêque d’Agen, Président de l’OFC

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