Véronique Olmi, Bakhita

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 24 janvier 2018.

BakhitaLe livre de Véronique Olmi Bakhita est incontestablement l’un des plus grands romans de l’année 2017. Il est bien difficile de rester indifférent au sujet traité, l’esclavage, qui malheureusement n’est pas seulement une affaire du passé. Il suffit de suivre l’actualité pour s’en rendre compte. Il y a trois grandes raisons d’aimer ce roman et d’en parler autour de soi avec passion.

  • Bakhita est tout d’abord un personnage historique trop méconnu. Née en 1869 à Olgossa, au Darfour, la petite Bakhita fut enlevée par des trafiquants d’esclaves à l’âge de 7 ans. Souvent fouettée et revendue cinq fois, la fillette est finalement « acquise » par le consul d’Italie, qui l’emmène avec lui en Europe. Le traumatisme est tel que Bakhita oublie le nom que lui donnent ses premiers geôliers. Bakhita signifie, sombre ironie, « la chanceuse ». En Italie, elle trouve refuge dans la religion catholique et, devenue religieuse, elle consacre sa vie aux enfants des rues. Morte en 1947, cette femme dévouée fut canonisée par le pape Jean-Paul II, le 1er octobre 2000. L’errance de Bakhita du Soudan jusqu’en Italie en passant par la Turquie est semée d’obstacles et d’horreurs. Bahkita pense souvent à sa grande sœur Kishmet qui a été enlevée avant elle, à sa mère, aux enfants qui jouent sous le baobab du village, l’arbre qui est « comme une personne de confiance ». Tout au long du parcours, pour se donner du courage, elle chante la chanson qu’elle avait inventée : « Quand les enfants naissaient de la lionne. » Comment ne pas se sentir proche de cette petite fille enchaînée, jetée à terre comme un objet, mais armée d’un immense courage ?
  • Véronique Olmi nous offre ensuite un récit bien construit. Se basant sur les écrits bien réels de son héroïne, Véronique Olmi dépasse ici la biographie romancée au profit d’une œuvre bien plus large sur le retentissement de cette sainte. « De l’esclavage à la liberté » et « De la liberté à la sainteté » sont les titres des deux parties, très justement choisis pour ce très bel ouvrage. La narration au présent met en valeur toute la détermination de cette petite fille, l’aspect tragique de son extraordinaire destin. Devenue adulte et libre, son obsession sera de vouloir terrasser la violence des hommes en donnant sa vie pour les enfants
    pauvres et abandonnés. 

    L’écriture de Véronique Olmi est d’une grande beauté. L’imagination du lecteur, grâce aux nombreuses descriptions du désert, des champs cultivés, de la forêt, des villes avec leurs marchés, de la nuit souvent présente, est transportée dans un univers étrange, tantôt hostile ou tantôt protecteur.

    Tout près de Khartoum, la ville qui est une première étape vers la liberté enfin retrouvée, Bakhita s’émerveille : « C’est la ville qu’elle découvre après des nuits de voyage, c’est Khartoum qui apparaît au petit matin, ses lueurs roses qui dansent au rythme nauséeux du chameau, à travers ses yeux ensablées, chargés de sommeil, elle voit la ville au loin, ses pointes de lumière dans la nuit étendue, et à l’excitation qui s’empare des maîtres, elle sait qu’une fois de plus, quelque chose va arriver » (p. 163). Et puis c’est l’entrée en Italie.

    L’intérêt de ce roman est enfin de montrer dans quelle circonstance historique se déroule la vie de Bakhita. La romancière fascinée par son personnage n’oublie pas de contextualiser son récit. L’Europe en pleine mutation apparaît en arrière-fond : « Si l’attraction de l’auteure pour son sujet transparaît sur chaque page, celle-ci est aussi parvenue à dépeindre cette Europe étrange où Bakhita s’émancipe. Celle qui abandonne l’esclavagisme, mais demeure colonialiste » (magazine Lire d’octobre 2017). Tout est objet de commerce, les hommes et les chameaux, la gomme arabique et les cornes d’éléphants, le charbon et les plumes d’autruches. « On pourrait croire que le monde s’ouvre, se rencontre et grandit. Il se rétrécit, se morcelle et se creuse » (p. 241). Triste constat qui est le prélude de ce qui arrive aujourd’hui avec l’exploitation des richesses des pays pauvres et le trafic d’êtres humains. En septembre 1886, Bakhita retourne au Soudan avec la femme du Consul. Celui-ci est occupé aux affaires, car là-bas « tout le monde vend. Et tout est à vendre » (p. 241). Dans le pays des ancêtres, de sa mère, le pays qu’elle a traversé et qu’elle ne reconnaît sur aucune carte, elle n’est pas heureuse. Dans l’île de Suakin où elle réside avec le Consul et son épouse, elle découvre un pays sans lois. Le séjour au Soudan sera bref. De retour en Italie, une autre vie peut commencer pour Bakhita. L’administrateur des biens du Consul, en Italie, Paron Stefano Massarioto, va jouer un rôle important dans son évolution religieuse. Il lui remet tout d’abord un crucifix. Elle s’étonne de cette représentation d’un esclave crucifié.

     

    Stefano propose au Consul et à son épouse de la faire entrer chez les Canossiennes de Venise. Ces religieuses instruisent et préparent les adultes au baptême et recueillent les enfants abandonnés. Bakhita sera baptisée en 1890 par l’archevêque de Venise puis, à la suite d’un procès retentissant à Venise où elle est affranchie, elle devient religieuse canossienne. Toute sa vie sera humble service et prière. Ce roman bouleversant est le douzième de Véronique Olmi. Certes, les 150 premières pages sont difficilement supportables tant la violence est omniprésente. Mais chaque page est un appel à respecter la personne humaine. Le courage de Bakhita nous signifie qu’un avenir de fraternité, de solidarité, de bonté est envisageable.

    Le récit de véronique Olmi a le mérite de nous faire entrer dans une vie exceptionnelle. Le lecteur accompagne Bakhita dans ses épreuves et sur son chemin vers la liberté. C’est un roman que l’on a plaisir à relire et qui peut faire l’objet d’échanges dans un comité de lecture.

Hubert Herbreteau