Le temps et la promesse. Pour une spiritualité de l’instant présent

v_book_9791030600810L’un des représentants du piétisme du 18e siècle défendait une conception de la mystique véritable en disant : « Ferme la porte de tes sens et cherche Dieu dans les profondeurs. » Pour lui et beaucoup d’autres avec lui, le chemin qui mène à Dieu est fondamentalement un exercice intérieur qui exige de renoncer aux sens corporels.

José Tolentino Mendonça, dans son magnifique livre Le temps et la Promesse. Pour une spiritualité de l’instant présent, propose une autre conception de la mystique. En se fondant sur la révélation biblique et les apports récents de l’anthropologie, il propose une spiritualité de l’instant présent qui implique les sens et le corps dans l’expression de la foi. Il montre comment notre corps, par les sens, nous ouvre à la présence de Dieu dans l’instant.

Dans ce texte riche de multiples références littéraires, philosophiques, cinématographiques et poétiques, il trace une voie nouvelle avec des perspectives stimulantes en phase avec les aspirations et la sensibilité actuelles.

José Tolentino Mendonça est portugais. Bibliste, il fait dialoguer les thèmes de la spiritualité avec les questionnements de notre époque. Il est vice-recteur de l’Université catholique portugaise et directeur du Centre d’Études religieuses et culturelles. Il est également consultant du Conseil pontifical pour la Culture au Vatican.

La limite de beaucoup d’ouvrages « spirituels » est souvent de négliger la marche d’approche culturelle. Le livre de José Tolentino Mendonça, au contraire, essaie de rejoindre les recherches spirituelles actuelles
pour leur donner un nouveau souffle.

Dans une introduction, l’ouvrage souligne que le numérique a l’inconvénient de nous déconnecter parfois de plus en plus de notre environnement proche. Il bouleverse notre rapport au monde. Il faut donc revenir à une éthique de la vie pour reconstruire notre humanité sur d’autres bases. Il s’agit de plonger dans les sensations pures : regarder le paysage sous nos yeux, ralentir le pas pour écouter le murmure du vent sur le chemin du matin, humer les arômes d’un bon repas, etc.

Pour José Tolentino Mendonça, c’est cela vivre l’instant présent. « Être là », pleinement présent à ce que nous faisons, sans anticiper l’avenir, sans attendre la réalisation de nos rêves ni la résolution de nos problèmes pour s’autoriser à vivre, voilà la manière d’accueillir ce que la vie nous offre réellement. Vivre l’instant présent n’a rien à voir avec le Carpe diem hédoniste de la jouissance irresponsable. Il faut plutôt rééduquer nos sens « atrophiés ». Cette atrophie est la clé de tous nos maux, physiques, psychiques et spirituels. « L’excès – d’émotions, d’informations, d’attentes, de sollicitations – porte atteinte à l’intégrité de la personne et la pousse dans un état de fatigue insoutenable… » L’important est de reconstituer notre identité morcelée.

José Tolentino Mendonça met en valeur la porte des sens à laquelle Dieu frappe et se tient présent. « Nous manquons non seulement de maîtres en vie intérieure mais de maîtres en vie tout court, d’une vie totale, d’une existence digne d’être vécue. » (…) Nous avons besoin d’une nouvelle grammaire qui concilie concrètement ce que notre culture tient pour inconciliable : raison et sensibilité, efficacité et affects, individualité et engagement social, gestion et compassion, spiritualité et sens, instant et éternité » (p. 37).

Après l’introduction qui précise la problématique abordée dans son livre, l’auteur commence par une réflexion sur le toucher. Pourquoi cette première porte d’entrée ? Parce que le toucher est le sens le plus viscéral, le plus primaire et le plus délicat. Mendonça cite l’architecte finlandais Juhani Pallasmaa qui affirme dans un essai : « Tous les sens, y compris la vue, sont le prolongement du sens du toucher ; les sens sont des spécialisations du tissu cutané et toutes les expériences sensorielles sont autant de modes de toucher et, par conséquent, sont liées au toucher » (Le regard des sens).

Au sujet du goût, José Tolentino Mendonça s’interroge : « Quand savourons-nous ? Lorsque nous arrêtons de ne faire que dévorer le monde ; quand s’introduit une lenteur intérieure… » (p. 93). Et il n’oublie pas de faire référence à saint Ignace qui disait dans la deuxième annotation des Exercices spirituels : « Ce n’est pas la quantité de science qui rassasie et satisfait l’âme, c’est plutôt le fait de sentir et savourer intérieurement toute chose. »

Le chapitre sur l’odorat donne une grande place à la Bible : le Cantique des cantiques est bien entendu un passage obligé, mais aussi les évangiles (signalons en particulier un beau commentaire de Jn 11 et 12). Seule la patience nous conduit au parfum de l’instant présent.

Les deux derniers chapitres sont consacrés à l’écoute et à la vue. L’écoute est avant tout l’attitude qui rend « disponible pour accueillir le dit et le non-dit, l’enthousiasme de l’histoire ou son contraire, sa douleur » (p. 153). Il y a un apprentissage de l’écoute : « Ce n’est que dans l’habitat du silence, dans les longs temps quotidiens de silence et d’exposition à Dieu dans la prière que l’écoute peut mûrir » (p. 156). La pratique de l’écoute, dans la tradition biblique, est très liée à la foi. Mendonça illustre cette affirmation par plusieurs commentaires très pertinents du récit de la Transfiguration, de la parabole de la maison bâtie sur le roc, ou
de l’Apocalypse (ce que l’Esprit dit aux Églises, Ap. 3).

Les développements sur la vue commencent par le constat suivant : « Nous arrivons à scruter tout et tous, et à faire preuve d’une incapacité criante à nous observer nous-mêmes, aveugles à notre imperfection et à notre vulnérabilité » (p. 185).

Dans ce dernier chapitre, Mendonça puise dans les évangiles qui nous offrent des apprentissages fondamentaux autour du regard. Quelques pages (190 à 193) commentent remarquablement la guérison de l’aveugle de Bethsaïde, en Mc 8, 22-26.

En conclusion l’auteur de Le temps et la promesse rappelle la nécessité d’approfondir la structure anthropologique qui nous construit : nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu. « Nous ne sommes pas notre propre oeuvre, ni au commencement, ni aujourd’hui, ni pour l’avenir » (p.227).

Le livre de Mendonça est d’une grande richesse. On peut regretter cependant que l’on n’ait pas en note les références des ouvrages cités. Il est donc difficile de vérifier les sources et d’approfondir tel ou tel sujet. Dommage aussi que l’éditeur n’ait pas corrigé l’erreur orthographique sur le nom de Simone Weil !

Hubert Herbreteau