Message adopté par les participants à l’assemblée plénière du CCEE, du 1er au 4 octobre 2009

Europe, aie confiance

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, un élan à retrouver, une espérance à annoncer

Il y a vingt ans, nous assistions à un grand moment : la chute du mur de Berlin. Cet événement qui devait marquer l’histoire n’a pas surgi comme un météorite tombé du ciel. Il a été préparé par des hommes convaincus et courageux qui n’ont pas pris leur parti du manque de liberté. Il a été précédé par les nombreux sacrifices de ceux qui ont risqué leur vie et ont lutté pour cette liberté. Pensons à Solidarnosc et à tous ces combats pour plus de solidarité et de respect de la dignité humaine dans ces pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est. Comment ne pas rappeler ici le rôle primordial du pape Jean-Paul II et de sa vision clairvoyante de l’Europe basée sur les fondements de la foi, du bien commun et de la paix ? Beaucoup ont perçu à travers la chute du mur de Berlin l’écroulement de bien d’autres murs, ceux de la haine, de la peur, du mensonge et d’une idéologie impitoyable.

Cette liberté nouvelle offerte à tous à été une occasion de grâce pour les Eglises. Elles ont retrouvé une liberté d’action, d’organisation et d’évangélisation. Même si ce processus n’est pas encore achevé dans tous les pays ni les contentieux liés au passé pas encore apurés, nous réalisons en vingt ans le chemin parcouru. Evêques d’Europe, nous voyons dans cette libération un signe des temps et nous rendons grâce à Dieu, Seigneur du temps et de l’histoire.

La suite de cet événement a été un formidable tremplin pour l’aventure européenne. Beaucoup d’européens se sont ainsi rencontrés, rendu visite, ont relu ensemble leur histoire. Ils ont appris à mieux se connaître, à découvrir ce qu’ils avaient en commun et à mieux percevoir leurs différences. La vague d’immigration qui a marqué certains pays d’Europe a, certes, contribué à promouvoir un certain bien-être mais elle a aussi fait naître de nouvelles difficultés en séparant les familles ou en les obligeant à se déraciner de leur cadre de vie habituel.

Vingt ans après, nous constatons que ce formidable élan européen à forte connotation éthique s’est grandement affaibli. Le fort taux d’abstention aux dernières élections parlementaires européennes en est un signe révélateur. Les espoirs mis dans l’édification de l’Europe ne se sont pas vraiment réalisés jusqu’à présent. En effet, on constate l’influence de plusieurs facteurs :

– Le développement de l’Union européenne s’est accompagné d’un développement de la consommation, au moins pour un certain nombre de personnes. Mais la seule acquisition de biens toujours nouveaux ne comblera jamais le cœur de l’homme. Comme dit le Christ : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt. 4, 4). La seule loi du marché et de la concurrence ne fera jamais naître un idéal.

– Cette société veut donner toute sa place à l’individu, à ses choix et à sa recherche d’épanouissement personnel. Mais elle risque aussi de l’enfermer dans la seule défense de ses intérêts ou de ses avantages acquis. Le pape Benoît XVI a dénoncé la « cupidité » comme moteur secret de la grave crise financière et économique mondiale que nous traversons. Une société où chacun, où chaque groupe, où chaque nation ne défend que ses intérêts ne peut être qu’une jungle. Sans justice, sans partage, sans solidarité, la vie sociale sombre dans la violence. Ne nous étonnons pas alors si les organisations mafieuses et le terrorisme prospèrent sur un tel terreau. La paix sociale et une nécessaire mondialisation à visage humain appellent aujourd’hui à une autre solidarité et une autre générosité !

– Une société pluraliste risque souvent d’être tentée par le relativisme, et en particulier le relativisme éthique. Chacun se donne ses normes et revendique ses droits. Or, la vie en société ne peut reposer que sur des normes communes, sur une vision de l’homme qui ne varie pas en fonction des groupes de pression ou des sondages d’opinion. Nous sommes préoccupés par de nombreuses propositions de lois, dans nos pays ou dans les institutions européennes, qui vont à l’encontre du bien authentique de l’homme et de la société. Nous sommes conscients de l’urgence de faire correspondre les normes juridiques à la loi naturelle fondée sur la dignité humaine et qui détermine les droits inaliénables et les devoirs de chaque homme. Ces normes devraient être caractérisées par le dialogue, le respect de la liberté et la quête sincère de la vérité.

La crise que traverse l’Europe aujourd’hui est sérieuse. La baisse de sa natalité et l’avenir de sa démographie ne portent pas non plus à l’optimisme. Mais, nous ne voulons pas jouer les prophètes de malheur. Le pire n’est jamais sûr ! Notre foi nous fait porter sur la société européenne dans laquelle nous vivons un regard lucide et plein d’espérance.

Nous constatons chez un certain nombre de nos contemporains des aspirations à une vie qui soit source de paix intérieure, de joie et de confiance. Des jeunes sont prêts à s’engager pour une plus grande fraternité et la solidarité dans le monde. Pour promouvoir le bien commun et respecter notre environnement, des hommes et des femmes sont d’accord pour consentir à des sacrifices, à condition que ceux-ci soient justement répartis. La défense de la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle n’est pas une cause perdue. Nous en sommes persuadés parce que la vie est le fondement d’une société vraiment humaine!

Nous disons cela, non pas par pur optimisme humain, mais parce que nous sommes porteurs d’une vision de l’homme que nous voulons, aujourd’hui comme hier, mettre au service de l’édification européenne. C’est dans l’Evangile que nous la puisons mais nous pensons qu’elle peut être partagée par beaucoup. Le pape Benoît XVI disait très récemment : « Précisément parce que l’Evangile n’est pas une idéologie, il n’a pas la prétention d’enfermer les réalités sociopolitiques toujours changeantes dans des schémas rigides. Au contraire, il transcende les vicissitudes de ce monde et répand une lumière nouvelle sur la dignité de la personne humaine, à toutes les époques. » (Discours du Saint Père, rencontre œcuménique, Prague le 27 septembre 2009).

L’édification de l’Europe est vraiment une aventure qui vaut la peine d’être vécue. Chacun y a sa place, chacun y est attendu. Plus que jamais, le chemin s’ouvre devant nous. Ce n’est pas le moment de ralentir la marche ou de s’asseoir sur le bord de la route. Nous n’oublions pas que nous sommes les disciples de Celui qui dit à chacun : « Confiance. Lève-toi et marche ! ».

Lire le message en anglais au format adobe

Sur le même thème

  • Assemblée plénière du conseil des conférences épiscopales d’Europe

    La prochaine assemblée plénière du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE) se tiendra, du jeudi 1er au dimanche 4 octobre prochains à Paris, à la Maison de la Conférence des évêques de France, à l’invitation du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et Président de la Conférence des évêques de France. Le thème « Eglise […]

  • Les évêques européens débattent des relations Eglise et Etat

    Aux lendemains de la visite de Benoît XVI en République tchèque, c’est en France que les conférences épiscopales des Eglises d’Europe se rencontrent du 1er au 4 octobre en assemblée plénière annuelle pour évoquer, à l’occasion des 20 ans de la chute du mur de Berlin, les relations entre Eglise et Etat.