Homélie du cardinal Vingt-Trois à Lourdes

Homélie du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, président de la Conférence des évêques de France, dimanche 6 novembre 2011 à Lourdes, lors de la messe retransmise par « Le Jour du Seigneur » sur France 2.
 

L’avenir incertain

Frères et Sœurs,

La parabole des dix vierges qui attendent la venue de l’Époux nous parle du retour du Christ et tourne notre regard vers notre avenir, qu’il s’agisse de l’avenir de l’humanité, de l’avenir de notre Église, de l’avenir de notre pays, ou de l’avenir de chacun et de chacune d’entre nous. Le temps de crise que nous vivons rend cette projection vers l’avenir plus incertaine et plus aigüe à la fois. Dans une culture sécuritaire qui nous encourage à préserver toutes les protections élaborées dans les temps de prospérité, ce qui arrivera demain est souvent considéré comme une menace. Qu’en sera-t-il de nos retraites, de notre protection sociale ou même tout simplement de notre mode de vie, qui permet à la plupart d’entre nous d’échapper aux menaces vitales de la sous-alimentation et du manque de soins, qui restent le lot de la majorité de l’humanité ? Notre foi au Christ, notre espérance en son retour, l’expérience vécue de son amour dans la communion ecclésiale, nous donnent-elles des éléments de sagesse pour affronter les réalités de notre temps ?

« La Sagesse du Seigneur vient au-devant de ceux qui la cherchent avec un visage souriant. Chaque fois qu’ils pensent à elle, elle vient à leur rencontre » (Sg 6, 16). Notre recherche de la Sagesse est bien une dimension essentielle de notre expérience de croyants et de la vie de notre Église. La Sagesse est la lumière de l’Esprit-Saint qui oriente notre liberté et notre volonté. Elle est la voix de Dieu dans la conscience de l’homme. Notre Église, dans l’attente du retour du Christ, s’efforce de vivre de cette sagesse des vierges sages qui ont pris leurs dispositions pour accueillir l’Époux au moment où il viendra et que nous ne connaissons pas. Vos évêques, réunis en assemblée plénière, se sont mis eux aussi à l’écoute de la Sagesse de Dieu pour mieux comprendre leur mission dans le monde de ce temps. Ceci nous permet d’être encore plus déterminés à témoigner du Christ dans les circonstances que nous vivons.

Notre humanité est dans l’attente de la venue du Christ Sauveur. Pour beaucoup cette attente reste enfouie et voilée derrière un espoir un peu irrationnel de solutions politiques. Certains pensent encore que la providence est entre les mains des états de la terre et ils n’attendent « rien de bon de Nazareth », pour reprendre l’expression de l’Evangile (Jn 1, 46). D’autres ont oublié l’espérance que leur donnait une foi vivante, et se sont laissé glisser dans l’indifférence ou le fatalisme. Ils se demandent si l’homme peut encore faire quelque chose pour changer le monde, pas simplement pour le faire rêver, mais pour en transformer la réalité. D’autres encore imaginent la victoire du Christ comme un triomphe éclatant. Le témoignage que notre Église est appelée à rendre au cœur de notre société, c’est que le Seigneur vient au moment où on ne l’attend pas et d’une façon que nous ne pouvons pas prévoir. Comme les vierges sages, notre Église attend sa manifestation avec confiance.

Quelle attitude nous est suggérée par cette parabole ? Quelle est la sagesse qui nous munit des réserves d’huile nécessaires pour accueillir le Christ quand il vient ?

La conclusion de la parabole nous en donne la clé : « Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Mt 25, 13) Le chrétien est appelé à devenir et à demeurer un veilleur attentif, qui se tient prêt pour la venue de l’Époux. Il ne s’agit pas seulement de comprendre que, pour chacun d’entre nous, la rencontre définitive est imprévisible et que nous pouvons mourir à tout moment. Il s’agit aussi de comprendre que Dieu vient toujours dans l’histoire des hommes comme à l’improviste. Au temps de l’incarnation du Verbe, « il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. » nous dit saint Jean (Jn 1, 11). De même, quand il reviendra à la fin des temps, saurons-nous être disponibles pour le recevoir ? Et, entre le temps de l’Incarnation et son retour à la fin des temps, il vient à tout moment dans la vie de ce monde. Sommes-nous attentifs à percevoir sa présence au cœur de l’histoire des hommes ?

Les événements que nous vivons questionnent notre foi. Croyons-nous vraiment qu’il est vivant et qu’il reviendra ? Croyons-nous vraiment qu’il est présent au milieu de nous ? Tant de chrétiens vivent aujourd’hui comme si le Christ était une histoire ancienne à laquelle nous n’aurions plus accès ! Jésus serait une sorte de sage fondateur aux écrits duquel on se réfère, mais qui reste fixé à jamais dans les profondeurs de l’histoire. Tant de chrétiens n’attendent plus rien de sa venue ni à la fin des temps ni dans l’aujourd’hui de nos vies !

Frères et Sœurs, nous sommes envoyés pour porter ce témoignage parmi les incertitudes et les angoisses de nos contemporains : par l’Esprit Saint que nous avons reçu et qui confirme notre foi, nous croyons que Jésus est vivant aujourd’hui. Nous croyons que chaque fois que nous nous réunissons en son nom, il est au milieu de nous. Nous croyons qu’il parle au nom de son Père et que sa Parole est une lumière pour conduire nos existences. Nous croyons que son Église nous ouvre la communion avec lui par les sacrements. Nous croyons que les événements de notre histoire, de nos histoires particulières et de l’histoire des peuples, sont le terreau où il manifeste sa présence et où il nous appelle à le rencontrer. Nous croyons que nous pouvons apporter le témoignage de sa présence en ce monde par notre manière de vivre notre existence humaine.

Nous proclamons qu’il est vivant et présent quand nous répondons à son appel pour nous rassembler pour le Jour du Seigneur et faire mémoire de sa résurrection dans l’Eucharistie : Dieu est quelqu’un pour nous. Nous proclamons qu’il est vivant quand nous laissons la charité nous sortir de notre tranquillité pour nous mettre au service des plus pauvres de nos semblables ; quand nous allons vers les prisonniers, les malades, les émigrés, les rejetés de la prospérité. Nous proclamons qu’il est vivant quand nous nous battons pour le respect de la dignité humaine du commencement de la vie à son terme naturel : Dieu est quelqu’un qui prend visage humain. Nous proclamons qu’il est vivant quand nous mettons nos capacités au service du bien commun par l’engagement au service de la société. Dieu s’est fait serviteur.

Dans les temps que nous traversons et où beaucoup se laissent saisir par la panique en voyant s’écrouler un univers de sécurité, notre sérénité et notre engagement au service de tous, c’est aujourd’hui notre manière de nous tenir prêts à reconnaître l’Époux qui vient.

« Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

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