Panorama d’une société française contrastée

Le 24 mars 2010, le sociologue et économiste Robert Rochefort, député européen, ancien directeur du CREDOC, a exposé aux évêques son analyse des évolutions et des défis pour la société française. Entretien

Vous avez présenté aux évêques un panorama contrasté de la société française. Quels en sont les traits majeurs ?

La société française est aujourd’hui prise au piège de sa construction individualiste : cette évolution se traduit par une grande solitude des individus, une culpabilisation de ceux qui n’y arrivent pas, une recherche du plaisir et du bonheur qui débouche sur une inquiétude et une angoisse croissantes.

Si, en 1968 la crise qui touchait la société française était économique, on peut dire aujourd’hui qu’elle est avant tout psychologique. Notre société est déprimée.

Se pose parallèlement la question du rapport, désormais fragilisé, au collectif. Or ce sont les instances collectives qui « font société ».

Toutes les grandes institutions, conçues à une époque où le collectif l’emportait sur l’individu, sont confrontées à la nécessité de se moderniser. Ce qui pose des questions de fond : doivent-elles êtres fédératrices et œuvrer pour la réduction des inégalités ou, au contraire, faire du sur-mesure en s’adaptant au projet de chaque individu ?

Cette question est, par exemple, aujourd’hui au cœur des débats sur l’école.

Face au malaise de la société, vous avez évoqué dans votre intervention une forte recherche de valeurs…

Les valeurs sont en effet de retour. Toutes les entreprises disposent désormais de chartes mettant l’homme au cœur du dispositif. Les écoles de commerce dispensent des cours d’éthique. On assiste à une recherche de sens qui, si elle est un élément positif, peut aussi être instrumentalisée au service du marketing et d’une dimension purement cosmétique.

Cette recherche de valeurs s’accompagne d’une exigence d’exemplarité. Aux enseignants qui doivent transmettre la valeur d’apprendre, on reproche de ne pas incarner le bonheur d’enseigner leur matière. Aux politiques, qui défendent le bien commun, on reproche la recherche de leur intérêt personnel. A l’Eglise, qui est engagée auprès des plus pauvres, on oppose sa supposée richesse.

Or les valeurs sont plus grandes que les hommes et les femmes qui essaient de les incarner ! Notre société voudrait l’inverse et prend ce prétexte pour rejeter ces mêmes valeurs.

Paradoxalement, face à cette recherche, on voit apparaître un nouveau paganisme, qui se cache, par exemple, derrière certains aspects de l’écologie.

Vous avez aussi partagé des éléments de vitalité au sein de notre société

J’ai effectivement évoqué, notamment, la structure familiale qui, en exprimant sa capacité à montrer des visages multiples, est un ressort dans notre société.

D’une façon générale, les communautés humaines de proximité sont pleines de vitalité et facteur de lien social. On peut citer l’exemple des associations. Dans ces lieux où perdure la recherche de l’intérêt général, notons que les militants chrétiens constituent souvent la colonne vertébrale. Sans leur présence, il y aurait un manque de maillage, notamment dans les quartiers en difficulté.

Autre élément positif : le désir de vivre autrement en passant de l’avoir à l’être. Un point qui rejoint l’encyclique Caritas in Veritate, qui évoque le don, la gratuité…

Vous avez plusieurs fois cité l’encyclique Caritas in Veritate.

En tant qu’ancien vice-président des Semaines sociales, j’attendais effectivement ce texte avec une certaine impatience. Il n’est pas compliqué mais complexe parce que le monde l’est.

J’ai apprécié, notamment, la vision positive développée par le pape Benoît XVI sur la mondialisation.
 

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