Mère Teresa, la sainte des « ténèbres »

La canonisation de Mère Teresa (1910-1997) à Rome, le 4 septembre 2016, était un temps fort de l’Année de la Miséricorde. L’occasion de mieux connaître la spiritualité qui a porté cette figure moderne de la Compassion, activiste infatigable de la charité évangélique et mystique. Par Chantal Joly.

Visage de Mère Teresa

Celle qui ne voulait être qu’ « un petit crayon dans la main de Dieu » a réussi à écrire une page marquante de l’histoire caritative. À tel point qu’en 1985, Javier Perez de Cuellar, alors secrétaire général des Nations Unies, déclara qu’elle était « la femme la plus puissante du monde ». Et que le Dalaï-Lama, qui l’admirait, affirma qu’elle était « un bodhisattva, un être accompli ».

Si, de son vivant, les superlatifs concernant l’humble religieuse albanaise, née Agnès Gonxha Bojaxhin, ont atteint des sommets ; son sourire, sa frêle silhouette voûtée et son sari blanc aux liserés bleus continuent d’habiter la mémoire populaire.

« Icône du Bon Samaritain, elle se rendait partout pour servir le Christ chez les plus pauvres » dit d’elle le pape Jean-Paul II. Il faut pourtant aller au-delà de cette dimension humanitaire et du rayonnement inouï de son action (fondation de deux congrégations internationales ; ouverture d’orphelinats, d’écoles, d’hospices, de maisons d’accueil pour malades du sida, de la lèpre ou de tuberculose…) pour mieux la comprendre.

Jésus, le Bien-Aimé

Dans un livre de référence, Mère Teresa. Viens, sois ma lumière [1], Brian Kolodiejchuk, Missionnaire de la Charité, commente les écrits intimes de la sainte de Calcutta. Il  précise notamment : « Une des meilleures descriptions de Mère Teresa fut celle d’une femme « totalement, passionnément, follement amoureuse de Jésus » ». Car c’est bien ce désir du Christ, né précocement dans une famille profondément croyante et accueillante, qui n’a cessé de l’animer. Il fut le roc sur lequel sa foi s’arrima. Au-delà de ses souffrances, de son sentiment persistant de solitude, de ses accidents de santé, de ses doutes crucifiants.

Missionnaire enseignante heureuse dans son couvent Notre-Dame de Lorette, Mère Teresa (nom choisi par attachement à sainte Thérèse de Lisieux) eut la grâce de recevoir ce qu’elle nomma « un appel dans l’appel ».

En 1946, elle a 36 ans. Une « voix », dans un train à destination de la ville de Darjeeling (Inde), lui demande une mission spéciale : celle d’apaiser la soif d’amour et des âmes de Jésus – son cri sur la croix : « J’ai soif » –  en le servant dans les plus pauvres des pauvres. La légende dorée de son parcours de sainteté se raconte à partir de cette genèse : une religieuse, seule, qui s’arrache à la sécurité de sa congrégation, et s’enfonce dans « les trous sordides » de Calcutta pour s’occuper des malades, des mourants, des mendiants et des enfants des rues. Son unique capital ? 5 roupies, un savon et la volonté de se donner sans réserve à Dieu. Exemple extraordinaire d’inculturation du message évangélique, Mère Teresa devient vite indienne et plus encore, universelle. Sa bonté attire une multitude d’hommes et de femmes de toutes nationalités, elle rejoint le panthéon des personnalités de son époque (tout en restant imperméable aux honneurs), acquiert un statut de « sage » avec le Prix Nobel de la Paix en 1979, traverse les frontières, y compris celle de l’ancien rideau de fer et plaide partout, y compris à contre-courant, pour la défense de la vie.

Quel contraste entre sa faiblesse physique et ses œuvres ! La preuve absolue à ses yeux que tout revenait à la grandeur de Dieu.

Le mystère du Calvaire

En 1947, esquissant les Règles qu’elle imaginait pour ses futures Sœurs et qui s’articulaient autour de trois pôles (pauvreté absolue, chasteté évangélique, obéissance joyeuse), Mère Teresa écrivait : « La vie intérieure doit devenir la force première de la vie extérieure ». Ce fut en effet l’unique énergie, nourrie de son intense prière et de l’Eucharistie, qui anima cette marathonienne de la solidarité : une foi simple et inébranlable capable de survivre à la « nuit de la foi ». Car comme d’autres grands saints, Mère Teresa traversa durant des décennies ce qu’elle nomma ses « ténèbres ». Une impression de néant, de désert, de froid, qui la faisait adhérer autant physiquement que moralement à l’agonie du Christ. « Ce fut l’expérience rédemptrice de sa vie lorsqu’elle prit conscience que la nuit de son cœur était sa participation spéciale à la Passion de Jésus, explique l’un de ses directeurs spirituels, le Père Neuner.

Marie, qui « gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur » (Luc, 2, 51) étant son modèle, Mère Teresa resta pourtant sur ce point extrêmement discrète, masquant ses tourments intérieurs par une inaltérable bienveillance. Persuadée que sa mission se poursuivrait au-delà de sa disparition, elle avait promis : « Si jamais je deviens sainte -je serai certainement une sainte des ténèbres. Je serai continuellement absente du Ciel – pour allumer la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres sur terre ». Béatifiée en express le 19 octobre 2003, la voilà désormais modèle mondial de sainteté. Sa joie spirituelle continue d’allumer « le feu qui ne s’éteint jamais… » [2].

[1]     Ed. Lethielleux, 2007.
[2]     Extrait de « Dans nos obscurités », chant de la communauté de Taizé.

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