« Petite arithmétique du couple et de la famille » par Mgr Wintzer

Mgr Pascal Wintzer, achevêque de PoitiersRéflexion sur le couple et la famille par Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, extraite de son livre « En chemin vers le Synode. Proposer une espérance aux familles » (Ed. Bayard), à l’occasion du Synode des évêques sur la famille (Rome, 4-25 octobre 2015).

Pour parler de la famille, et surtout la vivre, il faut prendre les choses dès le commencement, selon que le Seigneur y invite : Au commencement, à la création, Dieu les fit homme et femme (Mc 10, 6) ; ce sont toujours les trois premiers chapitre de la Genèse qui donnent le sens du projet de Dieu dans son œuvre de création.

Le chiffre de l’humanité, c’est le 2. C’est le chiffre du premier récit de la création : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme (Gn 1, 27). C’est aussi le chiffre de l’Eglise : celle-ci est sous le signe des deux colonnes, des deux apôtres, Pierre et Paul. Et c’est le chiffre des disciples : lorsque le Seigneur les envoie, c’est deux par deux ; et parmi ceux-ci, l’Evangile mentionne que plusieurs sont des frères. C’est enfin le chiffre de la Bible : celle-ci n’existe que dans la relation, dans la communion, le dialogue, entre l’Ancien et le Nouveau Testament.

Par ce chiffre, le 2, nous comprenons que personne n’est complet sans l’autre : c’est la relation à l’autre qui fait que nous sommes l’humanité. Ceci est vrai de l’homme et de la femme : sans la relation à l’autre sexe – une relation qui peut se vivre autrement que dans la sexualité – nous ne parvenons pas à exister selon notre pleine identité.
Pourtant, le 2 laisse un goût de manque.
Faites ce petit exercice d’appeler deux personnes, pourquoi pas un couple.
Que constatons-nous ?
Nous voyons qu’ils peuvent se regarder, mais ce regard pourrait aussi les empêcher de regarder quoi que ce soit d’autre : les regards s’attirent, et risquent sinon d’exclure tout le reste, du moins de ne plus y prêter attention. Le 2 appelle donc le 3.

Poursuivez l’expérience en invitant une troisième personne à s’approcher de ceux qui sont ensemble. On constate alors que lorsque l’on est 3 à se regarder, on ne peut fixer son regard sur les deux autres en même temps : alors, deux se regardent, et le regard du 3ème reste libre, libre du regard des deux autres, mais aussi libre de regarder ce qu’il y a à l’extérieur.
Le chiffre 2, le chiffre de la création, est appelé à toujours devenir un 3 : le 3 de l’éternité, le 3 de la Trinité : le 3 qui est la condition de la liberté, et le chemin de la plénitude.
Le 3 il est Dieu, et le 3, il est donné par Dieu, puisqu’il nous appelle à partager ce qu’il est. Puisque le 3 désigne une plénitude, celle du mystère de Dieu un et trine, le chiffre 3 désigne alors la vocation du couple qui ne se trouve que dans le dépassement du chiffre 2. Ce dépassement se vivra le plus ordinairement dans le fait de donner la vie, mais aussi dans l’insertion active dans la communauté chrétienne et dans la société, non plus comme personne, mais comme couple, comme famille.
La vocation humaine, c’est de construire le 2, mais c’est aussi de savoir répondre à l’appel de Dieu qui demande de savoir recevoir le 3 : c’est tout l’enjeu de l’acte de foi qui accepte de ne pas tout construire par lui-même.

Enfin, vous aurez noté que dans mon arithmétique chrétienne, il manque le chiffre « 1 ». Il est bien sûr le plus important, celui qui exprime les attentes les plus profondes : l’unité, la communion. L’unité dans le couple, dans la famille, et aussi l’unité dans l’Eglise.
Pourtant, ce chiffre, le 1, arrive de manière adéquate, non comme une origine, mais comme un terme. Lorsque l’on veut que l’unité soit à l’origine, on la contraint, on la provoque arbitrairement : et c’est alors la tyrannie, c’est la dictature, y compris domestique. La tour de Babel illustre cette attitude : les hommes se choisissent une unique langue, ce faisant ils anticipent l’avenir, ils édifient le Royaume de Dieu sur terre. Quelques-uns imposent leur loi aux autres. Babel n’est pas si loin des régimes liberticides du XXe siècle.

Bien entendu que chacun a raison et droit d’aspirer au 1, à l’unité, mais celle-ci n’est juste que si elle passe d’abord par le pluriel, c’est lui qui est le chemin du singulier. Seule la relation construit la communion, construit une unité de respect et de liberté. Hors du 2, du 3, de l’institution, de la communion, de la relation, aucune unité n’est possible ni souhaitable.

Mgr Pascal Wintzer

Archevêque de Poitiers

 Extrait du livre "En chemin vers le Synode. Proposer une espérance aux familles" (Ed. Bayard).

 

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