« En l’honneur des Confesseurs de la Foi… » par Mgr Simon

Du 22 au 25 septembre 2011, j’ai eu la joie de participer au voyage que le pape Benoît XVI vient d’effectuer dans son pays natal, de Berlin à Freiburg, en passant par Erfurt (…) Je ne vais pas revenir sur l’ensemble des moments que nous avons partagés à cette occasion. Je focaliserai seulement sur deux aspects qui m’ont paru particulièrement marquants dans ce voyage.

Pour ma part, j’ai vécu comme une sorte de « récollection épiscopale », si je puis employer cette expression, puisque je représentais la Conférence des Evêques de France parmi le groupe d’une soixantaine d’évêques venus d’Allemagne et de toute l’Europe. Nous avons beaucoup partagé ensemble et j’ai été très heureux de ces retrouvailles et/ou de ces nouvelles rencontres fraternelles. Il faut dire que j’ai de nouveau expérimenté la profondeur de la communion que permet l’enracinement dans l’Eglise : le fait de pouvoir me présenter comme le successeur de Mgr Piguet (évêque de Clermont de 1934 à 1952, NDLR) (qui a ordonné prêtre, à Dachau, en 1944, le Bienheureux Karl Leisner), ouvre immédiatement les portes et permet d’entrer aussitôt dans un échange fraternel….

Sous un magnifique soleil d’automne, nous avons ainsi beaucoup échangé et partagé des temps de prière d’une grande intensité. J’en retiens surtout deux : la messe d’ouverture au stade Olympique de Berlin, et la veillée de prière, vendredi soir à Etzelsbach, dans le diocèse d’Erfurt.

La première rencontre entre le pape et la population catholique de Berlin avait donc lieu dans le stade olympique de cette ville. C’est en effet devant l’affluence des inscriptions que la décision a été prise de déplacer la messe initialement prévue ailleurs… Et nous nous sommes ainsi retrouvés là même où Hitler avait inauguré les Jeux Olympiques en 1936. On ne peut pas ne pas penser à toutes les tragédies de cette époque lorsque l’on arrive devant cette construction si évocatrice. Dans le stade, l’atmosphère était profondément recueillie et le silence a semblé tout naturel lorsque la messe a commencé.

Dès le début de son homélie, Benoît XVI a évoqué les deux martyrs, victimes du nazisme, Bernard Lichtenberg et Karl Leisner, que le Pape Jean-Paul II était venu béatifier, dans ce même stade, en juin 1996. Et il a discrètement souligné ce qu’avait représenté pour lui et pour tous les Allemands cet incroyable renversement : dans ce qui avait été construit comme un temple à la gloire de la force et de l’idolâtrie de la race, un Pape polonais était venu, soixante ans plus tard, pour honorer le sacrifice librement consenti par deux prêtres, deux Allemands engagés de toutes leurs forces dans la résistance spirituelle à cette idéologie… Et lorsque les caméras projetaient, sur le grand écran, la vue extraordinaire de ce stade nimbé dans les nuages et les lumières du soleil couchant, il y avait dans cette harmonie comme une sorte d’acquiescement du ciel à la ferveur de la foule réunie dans la prière. Cette messe restera vraiment pour moi comme un point de repère dans l’Espérance : « Là où il y a Dieu, là il y a un avenir » disait le leitmotiv de ce voyage. Relire soixante-dix ans d’histoire européenne à la lumière de cette phrase, c’est entrer dans une méditation proprement biblique. Ne lit-on pas au Psaume 67 :
« Que les nations jubilent et chantent,
car tu juges le monde avec justice,
tu juges les peuples avec droiture,
sur la terre tu gouvernes les nations. »

Et pourtant, même dans cette douce lumière du soir, comment ne pas se souvenir de tous ces malheureux qui ont payé de leur vie leur espérance ? Le contraste entre cette évidence simple de notre célébration et l’abîme de souffrances évoqué par le stade où nous étions avait quelque chose de proprement vertigineux…
 

L’œcuménisme est plus qu’ un échange de cadeaux diplomatiques

Enfin, je souligne un autre aspect de ce voyage : lors de sa rencontre avec les chrétiens orthodoxes d’Allemagne, le samedi 24, Benoît XVI a invité les évêques de cette délégation à venir le lendemain matin à la Messe et à se mettre, non pas au premier rang de la foule, comme c’était prévu, mais près de ses frères évêques, sur le podium. Ce faisant, Benoît XVI a voulu souligner l’enracinement sacramentel du ministère apostolique. Je signale ce geste, très discret, mais qui peut aider à mieux comprendre l’homélie donnée à Erfurt, au couvent des Augustins, là où Luther a été ordonné prêtre. En effet, il a insisté pour montrer que l’œcuménisme ne peut pas ressembler à un échange de cadeaux diplomatiques entre communautés. Il s’agit de s’enraciner dans la volonté même du Christ: « Dans la prière de Jésus se trouve le lieu intérieur de notre unité. »

Ainsi, au point de rencontre de ces deux aspects que j’ai soulignés, nous pouvons mieux entendre ces paroles adressées par le pape aux représentants de l’Eglise luthérienne allemande : « Comme les martyrs de l’époque nazie nous ont conduits les uns vers les autres, et ont suscité la première grande ouverture œcuménique, ainsi aujourd’hui encore, la foi, vécue à partir du plus profond de nous-mêmes, dans un monde sécularisé, est la force œcuménique la plus forte qui nous réunit, nous guidant vers l’unité dans l’unique Seigneur. »

Mgr Hippolyte Simon
Archevêque de Clermont
Vice-président de la Conférence des évêques de France

Des lieux chargés d’histoire

De la même manière, le lendemain soir, notre pèlerinage à Etzelsbach avait quelque chose de prophétique. Partis de Weimar, la patrie de Goethe, nous avons aperçu le mémorial du camp de Buchenwald, puis nous avons tourné à n’en plus finir sur des routes forestières pour aboutir au milieu de nulle part, près d’une petite chapelle blottie au coin d’un bois. Heureusement pour nous, le Cardinal Meissner, Archevêque de Cologne, nous a servi de guide. Il nous a expliqué que ce petit coin de terre, à l’époque de la Guerre Froide, marquait la frontière entre la DDR et la RFA. Bien que particulièrement surveillé, il avait été un lieu de résistance spirituelle pour tous les catholiques de cette région. Lui-même avait été vicaire, puis évêque auxiliaire dans ce diocèse d’Erfurt. Et il avait été témoin de toutes les tracasseries, pour ne pas dire les persécutions, subies par les chrétiens sous la dictature communiste. Et voilà que nous vivions cette belle veillée de louange et d’intercession sur une terre qui, il y a encore moins de vingt-cinq ans, semblait destinée à devenir le lieu de l’affrontement entre les chars soviétiques et ceux de l’OTAN… !

A plusieurs reprises, le Pape et ceux qui l’accueillaient, Mgr Woekli à Berlin, Mgr Wancke à Erfurt, ont fait référence, discrètement mais explicitement, aux deux dictatures qui ont broyé leur pays. Par dessous l’actualité médiatique, il fallait entendre cet arrière-plan pour mesurer toute la signification de ce voyage du Pape Benoît XVI dans sa patrie natale. Et aussi pour situer la portée de son discours devant les parlementaires réunis au Bundestag. Reprenant un thème déjà développé lors de sa conférence à l’occasion de l’anniversaire du débarquement en Normandie, le 6 juin 2004, à Caen, le Pape a rappelé cet avertissement : « Enlève le droit – et alors qu’est-ce qui distingue l’État d’une grosse bande de brigands ? » a dit un jour saint Augustin. Nous, Allemands, nous savons par notre expérience que ces paroles ne sont pas un phantasme vide. Nous avons fait l’expérience de séparer le pouvoir du droit, de mettre le pouvoir contre le droit, de fouler aux pieds le droit, de sorte que l’État était devenu une bande de brigands très bien organisée, qui pouvait menacer le monde entier et le pousser au bord du précipice. »

Le souvenir de tant de tragédies affleurait tout moment pendant ce voyage et n’en rendait que plus vive la ferveur de tous ceux qui étaient venus pour prier avec le pape. Ce n’est pas négliger les débats de société, qui se font jour actuellement, et qui ont occupé beaucoup de commentaires, que de les remettre ainsi en perspective. Mais on peut comprendre qu’ils n’ont pas à prendre tout l’horizon.
 

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